dimanche 23 décembre 2018

♪ 76 : Rétrospective dysnomique de cinq rêves vénéneux

Il semble que Coin Locker Kid tire son nom d'une histoire pour faire peur, avec une femme enceinte qui abandonne son enfant dans un casier à la gare… du moins c'est ce que j'ai trouvé en cherchant “coin locker kid”. L'histoire n'a rien de très intéressant. L'artiste mérite d'être écouté.

Traumnovelle, c'est du hip hop expérimental introspectif, plus ou moins torturé, où l'on peut entendre entre autres : un instrumental entièrement acoustique avec percussions en bois et chant traditionnel, une histoire récitée par une voix digitale sur un grondement quasi-inexistant, une piste presque rock avec une coda chaotique, un final fragmenté imprévisible… Ça fourmille d'idées, c'est accrocheur et en même temps il y a un sentiment de vide vertigineux dans cet album quand on s'y plonge. Pas de featuring ici, ce ne serait pas vraiment le genre. Ou alors ce serait feat. le fantôme d'un roi fou, feat. un amour perdu, feat. la poussière du grenier.

L'artiste a aussi un projet de phonographies. Et il paraît qu'il a un long album hybride à histoire entre les deux projets qui est un chef-d'œuvre, il faudra que j'écoute ça, parce que Traumnovelle me plaît déjà beaucoup.



Le rock est-il encore du rock si la guitare est remplacée par un oud ou un buzuq¹ ? Aucune importance, l'énergie et l'électricité sont carrément là sur Aynama-Rtama d'Alif, et les chansons en imposent : c'est solennel sans être statique, ça vibre, c'est beau, c'est prenant. Le groupe est libanais et chante intégralement en arabe², le style est personnel et ne sent ni l'emprunt ni la tradition. J'aimerais pouvoir décrire ce disque un peu correctement parce qu'il le mérite, je ne peux que vous le recommander vivement.

¹ Le nom arabe du bouzouki. J'ai regardé, il n'existe apparemment pas d'instrument qui s'appellerait un bashi, hélas.

² Joli point en passant pour le livret, où chaque titre en arabe est typographié de manière à former une ligne séparatrice entre les paroles originales et leur traduction anglaise.



Les Melodìas venenosas de Miss Dinky ont une palette de sons restreinte, un peu primitifs, presque chiptune sans en être vraiment. Sans ressembler à une musique de jeu vidéo en tout cas, ou alors à un vraiment très indé ; c'est de la musique crépusculaire, mélancolique, qui paraît très simple et pourtant reste à moitié dans l'ombre. Ce n'est pas ce que je cherchais du tout quand j'ai écouté l'album, mais j'y reviens assez souvent.

Et en cherchant un lien pour partager ça, j'ai trouvé la chaîne Youtube La Cazouille qui est vraiment cool !




Sur des fondations de techno minimale, Thomas Brinkmann construit des pistes avec des éléments inattendus ou bizarroïdes, des drôles de samples, de la house, du chant, des breaks qui virent parfois carrément au loufoque (genre “Sur Ace”, la piste que j'ai le plus écoutée ces derniers temps). C'est ludique, les grooves sont carrément efficaces, ça touche parfois au génie.

Comme son nom l'indique, Retrospektiv est une compile (qui retrace vingt ans de productions). D'habitude j'évite les best of parce que ça gâche les albums, mais pour la dance music… *haussement d'épaules* j'ai regardé vite fait, la plupart de ces pistes étaient sorties en singles ou EPs de toute façon, certaines pourraient être inédites. En tout cas c'est une sacrée bonne sélection qu'on a ici, dans laquelle piocher comme il vous chante.

J'ai aussi écouté une autre collection de lui, Rosa (pistes choisies sur une sélection d'une douzaine d'EPs), mais j'y accroche nettement moins — trop minimaliste en général, un peu austère.



… Mais si vous préférez les disques qui s'écoutent du début à la fin et que les deux heures trente-huit de Retrospektiv vous découragent, prenez-vous son mini-album en collaboration avec Markus Nikolai et Dominique Petitgand. Avec par exemple une vieille dame qui se plaint d'un parfum à la rose trop fort tandis que des enfants jouent avec des camions, et autres scénarios anodins, aléatoires et absurdes du même genre. À part ça le son n'est pas si différent de Brinkmann en solo, c'est du tout bon, d'ailleurs la dernière piste est une version alternative d'“Isch” (une des meilleures pistes compilées sur Retrospektiv). Quant aux samples que je décris, ils sont tirés de “Le visiophone odorant” de Dominique Petitgand, sans les beats, de la série Cinéma pour l'oreille chez Metamkine (on change tout de suite d'univers !)… Si ça se trouve l'album entier n'est qu'une sorte de mashup ? Ça fonctionne en tout cas. Ah, et ce disque n'a pas de titre, et les titres non plus n'ont pas de titres. Cette phrase me paraît erronnée mais je l'aime bien alors je la laisse.



Je recommande aussi le cinquième EP d'Apparel Wax si vous aimez les disco edits pour danser joyeusement ; comme souvent dans le genre, tout est sans titre et anonyme, Apparel Wax n'étant pas le nom de l'artiste mais celui du label/collectif. Ils sortent plein de disques numérotés sans titres et les vinyles sont accompagnés de gadgets comme dans les paquets de céréales, pour le 5 c'est une… mini-main en gelée verte pour donner de fausses claques avec ? Peu importe.

La troisième piste est tirée d'“I Like It” de DeBarge, je n'ai pas encore cherché les autres !



La répétition est une forme de changement*, mais je crois que parmi les arts, il n'y a que la musique pour savoir en faire un si bon usage sans rien perdre. Dysnomia de Dawn of Midi est un album minimaliste, jazzy et rythmé, mais ce sont ces répétitions qui en font quelque chose d'à la fois relaxant et dansant. Si vous aimez les Necks, vous devriez aimer aussi ! Si vous n'avez jamais écouté les Necks, écoutez les Necks. (Aquatic ou Chemist sont mes préférés pour le moment.) Mais vous pouvez écouter Dysnomia aussi. Et pour d'autres disques du genre, je vous renvoie à la liste “Minimal Improvisation / Tonus-Music / Zen-Funk” de Selenaru_Negrea.

* Dixit… qui déjà ? Je me souvenais de ça dans un cours sur le modernisme en poésie mais Google dit que c'est une carte des Stratégies obliques de Brian Eno et Peter Schmidt, et que la citation serait de Peter Schmidt. À l'origine, ou l'a-t-il prise ailleurs ? À vérifier.

jeudi 29 novembre 2018

Rêve n° 44


J'ai un cours qui commence à dix-huit heures. J'ai le temps, du coup je vais à la librairie… mais j'y passe trop de temps et je me rends compte qu'il est déjà six heures moins dix. Du coup je me précipite dehors,


je traverse la place et entre dans le passage souterrain — je saute par dessus la rangée d'escaliers (un truc que je crois que je peux faire à cause des jeux vidéo…), il y a un restaurant portugais qui sert des plats italiens (un plat de pâtes qui a l'air délicieux), j'ai peur de tout flanquer par terre en sautant mais ça passe,


plus bas le passage ressemble à une salle de musée avec des colonnes en marbre rouge et de beaux tableaux genre âge d'or hollandais…


… je regarde ma montre — zut, il est déjà sept heures ? Pourtant une heure n'a pas pu passer, c'est impossible. Je regarde mon portable : j'ai 63 messages non lus, dont beaucoup qui viennent d'un contact appelé “Mort”. Pourquoi la Mort m'a-t-elle envoyé tant de messages ?

vendredi 23 novembre 2018

♪ 75 : Onze enfants-bruits de l'envers lointain

C'est rare que ce soit une voix qui me fasse aimer un disque, mais j'ai eu un coup de cœur immédiat en écoutant “Mother Maybe” de Kadhja Bonet. Une chanson de soul psychédélique qui semble venir des années 60, directe, éblouissante. C'est la piste la plus classiquement soul de Childqueen, les autres penchent un peu plus vers la pop (là aussi dans un style années 60), avec des grooves plus légers ou ralentis presque jusqu'au délitement comme sur “Delphine”, une écriture toute en élégance et en concision. “Thoughts Around Tea” par exemple : à peine plus de deux minutes, cette mélodie, ces chœurs avec elle-même, ce xylophone, c'est parfait.



Vous aimez les arpèges ? Das Buch der Klänge (« Le livre des sons ») de Hans Otte est une très belle composition minimaliste en douze mouvements, avec des arpèges au piano qui se répètent au point que les mélodies prennent des airs de motifs, de textures. Chaque partie reprend cette idée mais les mouvements peuvent être très différents, entre la fluidité absolue du deuxième, la froideur du sixième qui met en avant le silence, les marteaux et les cordes… Mes préférés sont en général ceux qui sont un peu ambigus, instables, comme le septième (superbe). Dommage seulement que le dernier mouvement finisse par une note trop sucrée (et arrêter au onzième, excellent, ne fonctionne pas si bien que cela non plus, on sent qu'il manque une conclusion).



Je ne sais pas si les « onze questions » que posent Markus Reuter et Robert Rich le long de leurs treize pistes appellent une réponse, si même ce qu'elles sont, mais elles piquent la curiosité. Treize pistes instrumentales qui touchent à l'ambient mais en plus riche, avec trop de mélodies, rythmes, voix… pour que cela reste une musique d'arrière-plan. Chaudes et mystérieuses, principalement acoustiques, très détaillées avec beaucoup d'instruments et de sources sonores ; beaucoup de jeux entre apaisements et tensions aussi, et une atmosphère toujours changeante qui captive sans que l'on puisse la cerner.




L'univers de Carlton Heston(ne) est en noir et blanc, granuleux, étrange. Il a un site web à l'ancienne avec des jeux, des dessins et de la musique, et aujourd'hui je peux vous recommander Screamers, The, sorti pour Halloween (et qui s'accompagne d'un mini-jeu en Flash). C'est un EP de collages imprévisibles, entraînants et déroutants, qui sentent autant le vieux grenier plein de squelettes qui jouent de la guitare sèche et d'araignées que la piste de danse psychédélique, avec une dose de saturation noire par moments. Du WTF du début à la fin et un son original, j'aime beaucoup ! Vous pouvez écouter et télécharger ça ici, c'est gratuit (attention, la lecture démarre automatiquement).



La musique de Vinyl Speed Adjust semble plus circulaire que linéaire. Certes, c'est de la tech house ou de la house minimale, répétitive par nature, mais ici les progressions (il y en a) semblent vouloir se faire oublier, tout tourne autour des boucles, des boucles super accrocheuses dont on a envie qu'elles ne s'arrêtent jamais. Deux pistes sur les trois n'ont d'aileurs pas de vraies fins, elles s'arrêtent si abruptement que ça en paraît arbitraire. C'est sans doute que cette musique est faite pour être mixée ; en attendant, leur Retro EP est déjà très recommandable tel quel.





Si vous avez envie d'un beau disque qui fait du bien, je vous conseille vivement 遠い音楽 (« musique lointaine ») de Zabadak. C'est de la pop japonaise de 1990 avec des inspirations un peu celtiques, un peu new age sans que ça fasse genre ; c'est beau, c'est touchant, candide sans être kitsch, souverain pour les moments où on a besoin de réconfort, quand tout paraît chaotique, désespérant ou de mauvais goût et qu'on a envie de s'éloigner de tout ça. Le groupe tire son nom d'une chanson de 1967 (qui me convainc moins). Et un astéroïde a été nommé d'après le groupe.

Mots (7)



66.
Quelque chose me gêne dans le verbe « punir ». Peut-on l'utiliser sans avoir l'air de cautionner — ne serait-ce qu'un tout petit peu, par connotation — l'acte dont il est question ? Si je dis par exemple que des religieux fanatiques ont « puni » une personne pour homosexualité… je ne sais pas. Le Larousse reste flou à ce sujet. Le Wiktionnaire parle de « sens étendu » quand il s'agit de rendre le mal pour le bien.


67.
Le mot « catharsis » a des sens originaux plus spécifiques que celui utilisé habituellement. Mais comme il n'y a pas de mot au registre soutenu pour désigner le « défouloir », l'extériorisation de sentiments négatifs (ce que l'on recherche par exemple quand on écoute un disque de musique aggressive à fond ou qu'on casse quelque chose pour évacuer son mal-être), tout le monde l'utilise dans un sens plus large. Encore plus en anglais, ou il n'y a même pas à ma connaissance d'équivalent pour « défouloir » !


68.
L'haüyne est une sorte de pierre bleue, nommée en l'honneur du minéralogiste René Just Haüy.


69.
« Troussepinette » est le nom d'un apéritif vendéen, soit un vin aromatisé avec des branches, pousses ou épines de prunellier.


70.
« Jarnicoton ! » est un juron cocasse qui a une histoire amusante — d'après Wikipédia : « Henri IV avait la mauvaise habitude de dire jarnidieu (“je renie Dieu”) ; le père Coton, son confesseur, l’en reprit, lui faisant remarquer que c’était indécent dans la bouche d’un roi chrétien. Comme le roi s’en excusait en disant qu’il n’y avait pas de mot qui lui fut plus familier que le nom de Dieu, excepté peut-être celui du père Coton : “Eh bien ! Sire,” repartit le religieux, “dites : jarnicoton !” »


71.
L'adjectif « macaronique » désigne une écriture garnie de faux latin, soit par exemple des mots français affublés de terminaisons en -um, -us, etc. On parle aussi de « latin de cuisine » (il y a une différence subtile entre les deux mais je l'ai oubliée). À noter que “macaronic language” existe aussi en anglais, mais a un sens différent : il s'agit alors de langues mélangées, volontiers avec des jeux de mots ou autres.


72.
Le mot “kamelåså”, qui n'a aucun sens, fut créé pour un sketch humoristique sur les Danois qui ne se comprennent pas entre eux à cause de leur langue peu intelligible. Depuis, le mot est devenu très célèbre. Comme le “kamoulox” de Kad et Olivier chez nous.


73.
Une recette de cocktail notée de façon minimaliste peut n'appartenir à une langue en particulier. (Exemple : “Godfather : 6 cl whisky, 2 cl amaretto”.) Les nombres et unités sont internationales, les noms des alcools et de la recette même ne sont pas traduits.

Il y a sans doute des textes bien plus longs qui pourraient se lire dans plusieurs langues ? Des écrivains de l'Oulipo ont utilisé cela comme contrainte, soit un même texte qui puisse se lire dans deux langues différentes — mais sans que le sens soit nécessairement le même. Ce qui pourrait être plus impressionnant encore… sauf que les deux exemples que j'ai lus n'avaient aucun sens, ni en français ni en anglais — dommage.

Quant à avoir le même effet à l'oral… c'est peut-être possible approximativement ? Mais ça doit être encore plus difficile !


74.
Il existe un sport (ou un jeu) qui ressemble à du golf, mais avec des frisbees à la place des balles. Ça s'appelle le frolf. (Ou “disc golf”, mais ne pas utiliser le mot “frolf” alors qu'on l'a à sa disposition, c'est un gâchis inexcusable.)


75.
Pour une langue qui a la réputation d'être claire et précise*, il est étonnant — mais en fait très logique — de voir qu'elle a un pronom défini par l'indéfini : « on ». Il y a bien un pronom indéfini en anglais par exemple, “one”, mais il est nettement moins usité. Sauf chez Virginia Woolf. J'aime bien Virginia Woolf. Elle a raison d'utiliser “one”.

* Cf. par exemple “La beauté de la langue française” de Gabriel de Broglie : « L’espagnol est considéré comme une langue noble, l’italien comme une langue harmonieuse, l’allemand comme une langue précise, l’anglais comme une langue naturelle et pour le français on met généralement en avant la qualité de la clarté. » (À vous de voir si vous êtes d'accord, c'est pas moi qui le dis.)


76.
Un bréphophage, c'est quelqu'un qui mange des bébés.


77.
L'eigengrau (soit : le gris qui nous est propre) désigne la couleur gris foncé que les yeux humains voient dans le noir complet. On peut voir plus noir que cela, avec du contraste !


78.
Le mot “biweekly” en anglais britannique est ambigu, car il peut signifier « toutes les deux semaines » ou « deux fois par semaine ». C'est peu pratique. (Et même quand il n'y a pas d'ambiguité en vrai, je confonds souvent « bimensuel » et « bimestriel » ainsi que les autres cas du même genre… il faut toujours que je vérifie.)


79.
« Un de mes élèves avait écrit “libellule” avec quatre “l”. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a simplement répondu “bah, sinon elle peut pas bien voler la libellule ! » Source : https://bande-de-dechets.blogspot.fr/2018/03/mauvaise-en-orthographe-et-alors.html. … (Mais hé, il y a bien quatre “l” dans “libellule” ?)


80.
Et puis, bien plus divertissant et intéressant que ce post, je vous renvoie à la nouvelle série de posts sur l'étymologie en BD de http://boutanox.blogspot.com ! Où l'on apprend entre autres l'étymologie du mot « mot ».

dimanche 28 octobre 2018

♪ 74 : Les frontières se chauffent de bois argentés

Je ne sais pas parler de pop, mais tant pis (zappez le reste de ce paragraphe et écoutez le disque plutôt !) : Japanese Girl d'Akiko Yano (矢野顕子) est un super disque d'art pop sorti en 1976, avec une face A présentée comme « américaine » et une face B « japonaise ». Différence qui ne se retrouve pas vraiment à l'écoute, tant la musique emprunte aux deux cultures tout le long. Tous les textes sont en japonais et il y a des influences de musiques traditionelles japonaises, mais aussi une bonne petite dose de jazz ; ça donne de l'art pop qui… j'hésite à reprendre la comparison à Kate Bush que je vois un peu partout parce que tant de femmes qui chantent se font systématiquement comparer à Kate Bush, mais en l'occurence c'est vrai que ce type de démarche me rappelle The Dreaming (art pop accrocheuse avec des influences de différents pays). Sur quelques pistes du moins.




Silver World (銀界) de Hozan Yamamoto (山本邦山) est un très bel album de post-bop et de gagaku. J'aime bien les musiques élusives que l'on ne peut pas cataloguer trop facilement ; c'est le cas ici, en partie parce que les genres — presque des langages différents — se mêlent et se séparent selon les moments ; on a de très beaux passages avec, par exemple, une mélodie jouée à la flûte en bambou avec ce qu'il faut de silences à laquelle répond une phrase de jazz avec piano, basse et batterie. C'est presque une danse entre les deux. C'est beau.




Curse ov Dialect est un groupe australien qui définit sa musique comme du « hip hop multiculturel surréaliste ». Multiculturel en tout cas ça s'entend ! Le groupe est composé d'un macédonien, d'un pakistanais, d'un maltais et d'un maori, et sur Wooden Tongues on passe de musiques arabes à du rap en japonais à un sample de voix aigue d'opéra à Comus à… c'en est presque excessif, il s'en faudrait de peu que ça devienne un gimmick agaçant, mais il y a tellement de bonnes idées et d'enthousiasme là-dedans que ça marche carrément malgré tout. C'est plutôt expérimental, joyeux, totalement aux antipodes des hip hops plutôt rudes, sombres ou agressifs qui ont toujours la cote.




Hessdalen de Volruptus : un EP d'electro crépusculaire qui impressionne tout en restant difficile à cerner ; il est relativement minimaliste et serait presque froid si les grooves n'étaient pas aussi entraînants. Aucun des éléments ici ne s'affiche en pleine face et pourtant tout fait de l'effet, c'est presque un tour de passe-passe. Très réussi en tout cas.








J'ai ressorti les EPs Ventolin d'Aphex Twin. La version la plus connue de la piste est celle sur I Care Because You Do, avec ce ton aigu tout le long et des percussions qui font penser à de l'industriel sans en être vraiment ; une drôle de piste, mi-absurde mi-inquiétante avec une pointe de facétie, accrocheuse à sa manière. Et qui ne colle pas si bien que ça sur l'album.

Donc il y a ces deux disques qui développent un peu plus le concept, un avec des pistes différentes, l'autre avec des remixes. Le premier est paradoxal : les pistes paraissent souvent à moitié finies, brouillonnes ou simplement bizarres, elles tournent souvent en rond avant de s'interrompre brutalement. Mais elles ont aussi de bonnes idées et le tout est étonnamment cohérent pour un disque d'Aphex Twin ; les styles sont variés mais ce disque a un esprit particulier qui me plaît bien, qui ne ressemble pas à grand chose d'autre en fait. Le second EP est plus direct : des remixes de la version la plus connue de “Ventolin”, tous sont intéressants et il y en a qui sont vraiment bons.

Ce ne sont vraiment pas des disques indispensables, mais ils valent le coup quand on aime la piste originale ! À noter que le son aigu ne se retrouve qu'occasionnellement sur ces deux disques, ce qui pourra décevoir les fans d'acouphènes.




Exposure, œuvre de la danseuse et chorégraphe Anne Collod en collaboration avec plusieurs autres artistes (son, lumières, architecture), « s’intéresse aux échanges énergétiques qui se jouent entre humain·e·s et machines et à la possibilité d’une écologie des perceptions dans un environnement industriel ». C'était une performance organisée à la Régie de Chauffage Urbain de Fontenay-sous-Bois… à laquelle je n'ai pas assisté. Mais le concept définit plutôt bien la composition que Francisco López a créée pour l'occasion.

Sur vingt minutes, diffusées in situ sur 46 canaux à l'origine, c'est une puissance quasi-abstraite qui s'exprime, dans une composition très dynamique à la beauté formelle. Comme toujours avec López, il s'agit de phonographies, ici des enregistrements des machines de la régie. Aucune émotion, l'intention est presque impénétrable, ce ne sont que sensations brutes et froides, énergies et formes. Sur Untitled #352, on retrouve cette piste (en stéréo uniquement) et dix drones d'une demi-heure chacun, « mantras électriques » créés à partir des mêmes matériaux sonores. L'artiste recommande de les écouter avec attention au casque — on a les oreilles qui sifflent après, mais il est vrai qu'ils sont fascinants !

Untitled #352 est-il un album dans le sens inhabituel du terme ? Je ne l'écouterai jamais d'une traite du début à la fin, et je ne pense pas qu'il soit fait pour ça. Cette œuvre me plaît beaucoup, mais dit-elle quoi ce soit ? A-t-elle quelque chose d'humain ? À vous de voir : qu'appelle-t-on « humain » ?

mercredi 10 octobre 2018

L'Expédition Montargent


Nouvelle BD ! Elle fait 21 pages, c'est l'histoire d'une expédition qui cherche des pierres précieuses à bord d'un train à chenilles. → L'Expédition Montargent (disponible en français et en anglais)

jeudi 27 septembre 2018

♪ 73 : Portrait stratégique de la ballade du feu noir

Il semble que la drum and bass atmosphérique connaisse un renouveau ces derniers temps, et ça n'est pas pour me déplaire ! J'avais déjà recommandé Fabriclive 50: Autonomic ici ; les nouveaux albums de Skee Mask et Djrum vont encore plus loin.

Compro de Skee Mask, déjà : une atmosphère solitaire, froide, diffuse. C'est même un album d'ambient au début, avec une lenteur et un minimalisme qui forcent le calme et l'attention ; les beats prennent tout leur temps pour se mettre en place, un quart d'heure facile, et ce n'est qu'au bout d'une demi-heure qu'on entend un think break — sur une seule piste, pas plus, comme un clin d'œil au passé. Une autre piste emprunte un peu de la noirceur de l'UK bass contemporaine, genre qui aura évolué en parallèle. Il est presque étonnant que ce disque ne soit pas un mix continu mais une collection de pistes, qui pourtant marquent une progression très lente du froid au chaud, plus mélodique, plus rythmé.

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Portrait with Firewood de Djrum, ensuite, qui fait suite au magnifique EP Broken Glass Arch sorti l'an dernier (et qui est une recommandation facile si vous l'avez aimé, c'est dans le même style). Une production tout aussi fine et un son nettement plus chaud, intimiste que sur Compro ; on a beau savoir que l'artiste fait de la bass music, les rares éléments qui tiennent encore de ce genre sont si loin qu'on ne les entend qu'en tendant l'oreille (exception faite de “Showreel, Pt. 3”). Ce sont le piano, le xylophone, les voix qui sont au premier plan, une musique qui émeut et dont les attaches à la dance music ne sont que ténues.


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Il y a eu des disques de downtempo sombres, quasiment tous ceux de trip hop l'étaient un peu, mais le genre fut loin d'aller aussi loin qu'il aurait pu dans les abysses. Pour preuve : Blackmouth, un projet qui combine downtempo, dark ambient et industriel… mené par Jarboe, la chanteuse de Swans. Les instrumentaux n'auraient pas détonné dans une bande originale de Silent Hill, mais impossible de reléguer cette musique à du décor avec cette voix, tour à tour cruelle, torturée, dérangée — une noirceur âcre, malsaine, un personnage aux personnalités multiples (cf. “The Black Pulse Grain”, “And I Call Myself Hag”) qui aurait tout de la sorcière dans une société superstitieuse.

Blackmouth fait mouche quand le groupe reste suggestif ou assez minimaliste, ce qui est le cas la plupart du temps ; ce n'est que sur les trois dernières pistes qu'il se plante un peu, entre les ficelles grossières de “Seduce and Destroy” (dans le genre intense, “The Burn” est autrement plus réussie) et les remixes qui n'avaient rien à faire là. Bidouiller un peu la liste de lecture ne fait pas de mal, la musique en vaut la peine.

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Pour changer complètement d'ambiance tout en gardant un des ingrédients, ma recommendation dance music du mois : Late Night Sessions de DJ Harvey*, un mix de house aux accents downtempo, super bon, deep mais avec des pistes de garage house aussi (ça date de 1996 sans pour autant oublier ce qui se faisait avant). C'est surtout le chant de “Garden of Earthly Delights” qui me reste en tête et me fait revenir à ce disque, mais pour vous donner le niveau, “New Day” de Round Two n'est même pas éclipsée par les autres.

* Aucun rapport avec PJ, du moins pas à ma connaissance. (Mais j'avoue que la ressemblance des noms a dû jouer dans mon envie d'écouter le disque.)


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Ryoko Akama est une artiste japonaise surtout connue pour ses compositions qui, bien que complètement expérimentales, sont étonnantes de candeur. J'ai entendu parler d'elle avec l'album places and pages, sorti chez Another Timbre… qui, sans me convaincre vraiment, m'a donné l'impression qu'il y avait quelque chose à creuser là-dedans. Histoire d'en parler quand même, parce que c'est son disque le plus populaire : places and pages consiste en cinquante vignettes minimalistes, souvent courtes, qui se basent sur une idée simple à chaque fois. Ce que j'aime bien dans ce disque, c'est qu'il est très vivant, spontané, varié. Mais tout y est à mes oreilles trop court, trop minimal, aucune atmosphère ne se crée vraiment — et ça me laisse un peu de marbre.

Je lui préfère sa série de « propositions », toutes réalisées par un artiste différent à partir d'une partition abstraite et cryptique, qui durent neuf, dix-huit ou vingt-sept minutes. inscriptions par exemple est pas mal du tout (j'ai écrit une critique-description sur RYM que j'ai la flemme de traduire, le disque n'est plus disponible nulle part légalement de toute façon.)

… Mais pour le moment, mon disque préféré d'elle est kotoba koukan*, avec Greg Stuart, où la simplicité apparente des compositions est contrebalancée par des textures sonores très présentes. (Par exemple : quelques notes de piano sur un enregistrement qui ressemble à du vent et à un son mécanique qui rappelle une roue qui tourne très vite ou une crécelle.) Il suffisait de ça pour que ça fonctionne carrément mieux, ça donne un disque à la fois simple, riche et difficile à cerner. La dernière piste, “fade in and out procedure”, fait un usage impressionnant d'un des éléments les plus simples qui soit : un drone qui monte et descend très lentement en volume pendant toute la durée, ça n'a l'air de rien mais l'effet est génial.

 * Seules deux pistes sont disponibles à l'écoute sur Bandcamp mais il y en a quatre en vrai.

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… Et un truc marrant, c'est que Ryoko Akama avait pris une direction complètement opposée sur son projet électronique Ryo Co. Impossible d'y reconnaître la même artiste tant les deux n'ont rien à voir ! Lo-Fi Graduation 打ち込み作戦 1 est un collage rythmique qui part dans tous les sens, du hip hop à la drum and bass en passant par plein d'hybrides expérimentaux et inclassables ; à la première écoute, j'ai trouvé ça fatigant et vraiment trop bordélique. Depuis, je trouve ce disque très bon. Je ne sais pas trop de quoi le rapprocher, à part peut-être Planetary Natural Love Gas Webbin' 199999 de DJ 光光光 (Yamatsuka Eye).


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Les deux pistes de Grief to Grind the Fire de Jazzfinger n'ont aucune structure apparente, mais elles ont une telle intensité qu'elles s'en passent très bien. Elles durent une demi-heure chacune sans jamais faiblir ni lasser, c'est comme regarder un incendie, un volcan, une force naturelle destructrice. “Legs in the River” demande à être écoutée fort et est si abrasive qu'on sait déjà qu'on en ressortira avec des acouphènes ; “Burnt Hole”, grondement avec juste une phrase mélodique, a des allures de paysage dévasté après une catastrophe mais ne perd pas de tension pour autant. C'est fait avec de la guitare électrique et un orgue-jouet, il paraît.


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Et avec une beauté plus académique, je recommande les drones électro-acoustiques de Ballads d'Ashley Bellouin. “Bourdon” a une très belle richesse, avec son violoncelle et ses sons cristallins ; “Hummen” est un peu plus psychédélique, déstabilisante, et me rappelle un peu Time Machines de Coil par certains côtés. Les deux pistes évoluent plus qu'il n'y paraît. C'est court (une demi-heure en tout) mais excellent ; l'artiste n'a sorti que ce disque pour le moment, j'espère qu'il y en aura d'autres !



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Sinon j'ai réécouté Parklife de Blur (très bien) et j'ai testé R.E.M. (pas aimé).

dimanche 23 septembre 2018

Identité



Est-ce uniquement par la différence et la négation que l'on définit quelque chose ? Y compris soi-même ?

L'identité personnelle, est-ce comment l'on se définit soi-même, comment notre entourage nous voit… ou l'intersection des deux — ce qui nous paraît correct dans le reflet que les autres nous renvoient ? (C'est peut-être un peu une bataille sémantique ?)

Je ne ressens pas de sentiment d'appartenance à mon pays, mais je pense qu'en parlant avec une personne d'une culture très différente de la mienne, je remarquerais les différences (dans les habitudes, les incompréhensions…). Je peux dire ce que je ne suis pas plus facilement que ce que je suis.

Sur internet, j'ai plusieurs pseudos (même si j'ai — trop ? — tendance à réutiliser les mêmes). Je regrette de ne pas avoir créé deux ou trois comptes différents sur Facebook, un « professionnel », un « vie réelle » et un « internet ». Des frontières que j'ai vraiment envie de garder. Mais qui ne seraient pas si évidentes que ça à tenir, évidemment.

Parfois, j'ai l'impression d'être comme une caméra, un curseur, qui doit se trimbaler un corps et des responsabilités dont je ne veux pas vraiment. Et que mes préférences personnelles (j'aime le calme, j'aime le thé, j'aime les musiques électroniques…) sont ce que j'ai de plus personnel, parce que j'y tiens plus qu'à mon lieu de naissance, mon corps ou ma situation sociale. Autant de facteurs qui, pourtant, ont déterminé ma vie.

Pour ce qui est de l'identité de genre… J'ai cherché et j'ai eu beaucoup de mal à trouver une définition plus détaillée et explicite que « comment on se sent intérieurement ». Il n'y en a peut-être pas. Le genre social, performatif, je comprends. Mais se sentir femme ou se sentir homme, je sais pas si je m'imagine correctement ce que cela fait, à part l'aspect de la préférence esthétique… j'ai l'impression que c'est aussi quelque chose qui se ressent par contours, en négatif (par exemple : comment vous sentez-vous si on vous appelle « monsieur » ou « madame » ?). D'autres remarques que j'ai lues qui peuvent éclairer un peu : (a) au sujet de la dysphorie de genre, c'est comme si tout le monde te prenait pour quelqu'un que tu n'es pas ; (b) au sujet de l'identité de genre : accepterais-tu de changer de sexe définitivement si on t'offrait, disons, une grosse somme d'argent ? Sinon, pourquoi ? Intéressant à lire à ce sujet : l'article “Cis by Default” (en anglais), où il apparaît que parmi les personnes cisgenres interrogées, à peu près la moitié n'ont pas d'identité de genre forte et s'accomodent simplement de la situation. (Y a-t-il des personnes qui se situent en dehors de l'axe ♀—♂ sans être « neutres » (neutrois) ou « nulle part » (agenres) ? Il semble que oui, le mot utilisé pour le moment est « maverique ». Je n'arrive pas à me représenter cela, c'est comme si j'avais du mal à voir les couleurs et qu'on m'annonçait qu'on venait d'en découvrir une nouvelle, mais j'aime beaucoup l'idée.)

(Je pourrais écrire plein de paragraphes sur ce sujet mais ce serait pour les éditer ensuite, ce sera peut-être pour une autre fois.)

Souvent, je m'imagine d'autres vies. Je me fais des films, avec d'autres corps, d'autres vies dans d'autres mondes. J'en change très souvent. Je ne m'imagine jamais moi-même quand je fais ça, enfin, moi-même au niveau corporel je veux dire. Si j'avais le choix de devenir une de ces personnes… j'aurais beaucoup de mal à me décider.

J'aime les jeux vidéo où on peut créer son propre personnage, ça me manque quand on ne peut pas le faire. Je ne m'identifie jamais totalement au personnage, mais ça affecte mon sentiment d'implication un petit peu quand même. Et ça me frustre un peu quand le seul choix est d'incarner un personnage qui ne m'a pas l'air sympathique ou que je n'aime pas. Parfois je préférerais même que l'ennemi gagne.

(Bon, je laisse tomber la question des « politiques d'identité », j'ai pas envie d'écrire sur de la politique là.)

Une autre question encore serait celle de la cohésion de tout ça. De ce qui constitue le « soi », si ce n'est pas un bateau de Thésée (et oui, je sais que le « soi » et l'identité personnelle ne sont pas la même chose, mais bon). Un test intéressant à faire (en anglais), et auquel j'ai échoué : “Staying Alive”, sur le site Philosophy Experiments.

Je ne sais toujours pas quoi répondre à la question « qui es-tu ? » ou « qui êtes-vous ? ». Mais je sais dire ce que je fais et ce que j'aime, et c'est peut-être plus intéressant.

jeudi 30 août 2018

♪ 72 : Trois ou quatre piqûres de pieuvres printanières dans le jardin du soleil

Darrin Verhagen est un génie. C'est le fondateur du label Dorobo (qui a sorti entre autres le fameux Night Passage d'Alan Lamb), et sa propre discographie sous cinq ou six alias comporte des bandes son pour opéras et danse, de l'ambient, du breakbeat, du noise, du lowercase… il fait carton plein chez moi, que des trucs que j'aime, avec un design sonore très travaillé et des dynamiques très puissantes. C'est de loin l'artiste que j'ai le plus écouté ce mois-ci, je vous fais un topo vite fait (dans l'ordre où je les recommande) :

Zero / Stung, deux bandes son pour deux chorégraphies différentes, parfois ambient avec beaucoup d'espace mais aussi des rythmes et mélodies inattendues qui créent des univers sonores assez complexes, retors et pourtant « propres ». (Un de mes passages préférés : l'interlude sans titre sur Zero, où une boucle qui tient un peu du jazz, un peu du dub, tourne presque étouffée et offre un petit espace de répit.) Entre les grands éclats de Zero et la tension de Stung, ça fait son effet. Le disque que j'ai le plus écouté pour le moment ; un bon point de départ.

Si vous préférez le côté ambient, vous pouvez prendre Soft Ash, un album conceptuel sur les émanations toxiques dans l'histoire ; intrigant, pas évident d'en faire le tour (comme souvent chez Verhagen les pistes peuvent être très différentes, mais il n'y en a aucune qui vous explose en pleine face ici), le tout donne une impression aussi élusive que menaçante. Je conseille de lire le livret qui explicite un peu tout ça (il y a les scans sur Discogs).

Si vous avez aimé les passages les plus durs, que l'ultraviolence psychédélique c'est votre truc, je vous conseille carrément Junk, signé Shinjuku Filth. Des beats rageurs, blindés de tétanos (et difficilement classables), des explorations d'ambient aux influences parfois orientalisantes, ou avec des violons pour les passages les plus apaisés. De la musique industrielle qui n'est pas glauque mais éblouissante. On commence en plein cœur de la déflagration et on finit par les dernières ondes de choc. C'est un chef d'œuvre, les raisons pour lesquelles je recommande Zero / Stung en premier sont que Junk est un peu plus daté années 90 et qu'il arrache quand même les oreilles.

Medea, toujours signé Shinjuku Filth, est une bande son orchestrale / dark ambient / noise pour une représentation de la fameuse pièce. Je ne l'ai écouté qu'une fois pour le moment mais c'était très prometteur !

Le projet P3, en collaboration avec Matthew Thomas : une série de réinterprétations délicates d'un enregistrement de shakuhachi. On ne reconnaît pas vraiment l'instrument, c'est à ranger dans le lowercase / glitch / microsound, à écouter la nuit (enfin tous les disques de Verhagen sont à écouter la nuit je crois). Le projet fut édité sur deux mini-CDs du même nom, un par Verhagen et l'autre par Thomas (plus dark ambient) ; à noter que ce dernier peut être difficile à lire vu qu'il commence à l'index 6, sans index 1 à 5 avant (!) — j'ai dû désactiver la reconnaissance automatique des disques sur mon ordinateur pour pouvoir copier les fichiers manuellement afin de les convertir.

La trilogie Black | Mass : un album de harsh noise (Black Ice), un de lowercase (Black Frost) et un de dark ambient/drone (Matte Black), chacun sorti sous un alias différent. C'est aussi monochrome  plus minimaliste et austère que ses travaux précédents ; l'album de noise est très classique (c'est celui auquel j'accroche le moins), les deux autres me plaisent davantage, Black Frost fait penser aux disques de Richard Chartier.


J'ai beaucoup écouté ce disque de compositions de Georges Lentz aussi. Un compositeur contemporain dont les musiques (du moins ici) sont épurées et intenses, avec des passages où les instruments se font à peine entendre puis fusent, cinglantes. Du moins sur “Caeli enarrant…” III et IV ; entre les deux, “Birrung” and “Nguurraa” sont plus paisibles et contemplatives. Toutes ont quelque chose de mystérieux.

Après, comme souvent avec le classique, je n'arrive pas à reconnaître les idées qu'évoque le compositeur. Ici ça touche à l'astronomie (idée qui m'intéresse) et à la foi et à la spiritualité (là, ça ne me parle pas du tout). Mais c'est intéressant de savoir par exemple que “Caeli enarrant… III” est basé sur une circularité sérielle et influencée par des musiques tibétaines ; sur son site, Lentz parle un peu de ses compositions et aussi de la manière dont son propre point de vue a évolué à leur égard.

Pour info, on peut commander ce CD pour quatre pauvres euros à la Fnac, frais de port compris si on le fait venir et qu'on le récupère en magasin. Le label Naxos est connu pour ça : des CDs de classique pas chers où l'on peut trouver du très bon (j'aime aussi beaucoup le Debussy interprété par François-Joël Thiollier chez eux).


Kate Carr raconte comment, en 2015, elle s'est retrouvée dans un petit village français pour y prendre des enregistrements de la Seine, à proximité d'une énorme centrale et de fermes désaffectées. L'environnement aurait pu être morose et déprimant au possible — début de printemps brun encore à moitié gelé, ville à l'abandon avec hôtel fermé, bar fermé, pas de magasins, la mairie récemment passée au FN… — mais l'artiste sort des murs et y trouve beaucoup de vie, entre l'électricité (qui l'empêche même parfois de prendre certains enregistrements dans l'eau), les animaux, l'eau, le vent. Un paysage clairement changé par l'activité humaine, mais qui a sa propre vie, indépendamment des humains. Le tout est assemblé et accompagné par des touches d'ambient, de guitares ou de mélodies électroniques, c'est à la fois relaxant et étrange, une ambiguité agréable.

Ça s'appelle I Had Myself a Nuclear Spring. Et je recommande aussi The Story Surrounds Us de la même artiste.


La recommandation techno du mois s'intitule Вдруг появился осьминог и всех съел, и раздумывать не стал (soit : « sans prévenir, une pieuvre apparut et dévora tout le monde alentour »). C'est un album multi-artistes sorti sur le label трип (« trip » ) de Nina Kraviz, dans un style tellement minimaliste qu'il en est squelettique, mais toujours entraînant et décalé. (Par exemple : un beat hyper-basique, un sample de trois mots parlés qui tourne en boucle et une boucle de bruit qui fait un effet psychédélique, des effets et sons inattendus surviennent plus loin mais on atteint à peine le stade du mélodique.) Peut-être que l'étrangeté du disque était absolument nécessaire pour que ça fonctionne ; cette esthétique spartiate jusqu'à l'absurde est elle-même une sorte de bizarrerie. Toujours est-il que ça fait quelque temps que j'ai ce disque dans ma mp3thèque et qu'il tient vraiment la route.

Sinon oui, le titre est tiré d'un rêve qu'a fait madame Kraviz. Et l'édition digitale a un titre anglais plus pratique (The Deviant Octopus), mais je préfère le russe.


En général, il n'y a pas grand chose à dire sur le dark ambient — c'est un genre nécessaire mais qui peut se permettre de rester superficiel et cliché. J'en écoute un peu moins qu'il y a quelques années, même si ça passe toujours nickel pour lire un roman la nuit. Pourtant là, il y a un disque qui m'accroche bien depuis quelque temps, qui a assez de complexité et de matière pour ne pas se limiter à du papier peint sombre : The Incarnation of the Solar Architects d'Inade, qui a une production très travaillée, du mouvement, des rythmes, des paroles… c'est un album qui n'évoque pas tant un vide, une frayeur ou une hostilité informes que l'exploration de mystères. Il y a d'ailleurs des moments de paix là-dedans, comme la belle “The Veil of Eternal Unity”. Et même une sorte de tube accrocheur (relativement au genre), avec les répétitions des paroles déclamées sur “A Lefthanded Sign”.


Si vous ne le connaissez pas déjà : Come to My Garden de Minnie Riperton est un chef d'œuvre de soul. Les mélodies et instrumentations sont d'une classe absolue, c'est de la musique qui peut s'écouter presque n'importe quand avec n'importe qui mais qui n'a rien de superficiel, les mélodies font mouche aussi bien pour mettre de bonne humeur que pour émouvoir, et même si ce n'est pas ce qu'on remarque en premier il y a aussi de bons grooves là-dedans.





DJ Krush a beau faire partie de mes artistes préférés, il faut avouer que sa discographie a des hauts et des bas. Des hauts remarquables, et des bas un peu trop nombreux ; j'attendais qu'il sorte un nouveau bon disque pour vous le présenter, mais Butterfly Effect avec son style sombre et froid ne m'a pas laissé grand souvenir ; 軌跡 Kiseki, bof, je suis rarement fan de ses MCs et je préfère nettement ses instrumentaux ; Cosmic Yard, instrumental et dans son style classique, est correct mais ne décolle jamais vraiment…

Du coup tant pis, je reviens en arrière. Parmi les disques qu'il faut prendre chez lui, et qui me le font préférer à Nujabes entre autres : 寂 Jaku (l'influence de musiques japonaises traditionnelles y est parfaite), Strictly Turntablized (plus old school, concis, avec quelques vrais tubes comme “Kemuri”), sa série de singles mensuels sortis en 2012 (la plupart sont carrément réussis)… et Code4109, son mix sorti en 2000, qui sent les vapeurs de bitume avec un peu d'expérimentation, des grooves, du jazz, c'est presque un peu labyrinthique, nickel. (“Kemuri” est dessus aussi.)

En attendant, je cherche d'autres recommendations en hip hop instrumental. Et j'en trouve, c'est assez facile, mais moins évident d'en trouver qui se démarquent vraiment.

mercredi 1 août 2018

Plein de mixes pour la fin de l'été

Deux mixes signés par un de mes contacts sur RYM : Kinshift Draft est mi-pop mi-électronique, Impacto est du jazz big band :








Plein de compiles signées Carton alias Cardboard, du collectif L’Œil Sourd — par exemple :


avec Eyeless in Gaza, Ghédalia Tazartès, Raymond Scott et plein de trouvailles moins connues !
"certain bleeps" : électronique, 1958-1969 (~) blip, poc poc, dzii, le tout dans son emballage magnétique magnifique
https://www.mixcloud.com/…/certain-bleeps-electronics-50s-…/

"remue-poussière" : boîtes à rythme, années 80, son fatigué et rouillé
https://www.mixcloud.com/cardboardcar…/remue-poussi%C3%A8re/

et deux jumelles qui s'emboîtent, quand l'une est pointilliste, l'autre fait de grandes flaques /// plein de blips, de glissements de terrain, de trous d'air, de rythmes liquides :
"10,000 pulsations" : pour courir vite et loin
https://www.mixcloud.com/cardboardcarton/10000-pulsations/

"danses non-sentimentales" : pour célébrer le rythme de toute chose et les transes de l'esprit
https://www.mixcloud.com/cardboar…/danses-non-sentimentales/


J'en profite enfin pour poster ma compile perso de pistes d'Aphex Twin, je crois que je ne l'avais pas encore fait ici :


1. “On” (On)
2. “Cordialatron” (Joyrex J4, Caustic Window Compilation)
3. “Xtal” (Selected Ambient Works 85-92)
4. “Icct Hedral” (…I Care Because You Do)
5. “jynweythek” (drukqs)
6. “aussois” (drukqs)
7. “Come to Daddy (Pappy Mix)” (Come to Daddy)
8. “Crying in Your Face” (Analord 4, Chosen Lords)
9. [white blur I] (Selected Ambient Works, Volume II)
10. “Ageispolis” (Selected Ambient Works 85-92)
11. “(CAT 00897-AA1)” (Analogue Bubblebath 3)
12. “Windowlicker” (Windowlicker)
13. “You Can't Hide Your Love (Hidden Love Mix)” (26 Mixes for Cash)
14. “En Trance to Exit” (Analogue Bubblebath)
15. “Every Day” (Hangable Auto Bulb)
16. “Polynomial-C” (Xylem Tube or Classics)
17. “On (µ-Ziq Mix)” (On Remixes)

samedi 28 juillet 2018

♪ 71 : Le vortex des perles fétichistes du zéro naturel

Nao a une voix un peu acidulée que j'aime beaucoup, et elle fait du R&B contemporain funky, électropop, avec pas mal de sonorités électroniques qui rappellent les années 90. (Ce qui me fait un peu penser à Art Angels de Grimes, même si les similarités s'arrêtent là.) C'est en tout cas un de mes albums préférés parmi les disques de R&B « alternatif » récents, genre où jusqu'ici j'ai surtout trouvé des EPs et singles qui brillaient.

Pas que For All We Know soit parfait ; c'est le genre d'album-collection sans thème particulier, avec de vrais tubes, des expériences plus ou moins mémorables, on touche un peu à tout et on voit ce qui marche. Ce qui me convient sans problème quand le niveau est aussi bon.

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Oil of Every Pearl's Un-Insides de Sophie (son premier véritable album, si on considère que Product était une compilation de singles) est un album brillant à la limite du supportable, une musique pop extrême et résolument hyper-artificielle qui est aussi une œuvre personnelle et touchante.

Heureusement que le disque commence en douceur avec “It's Okay to Cry”, parce que les singles suivants (“Ponyboy” et “Faceshopping”) sont tellement durs que je n'ai pas pu les écouter jusqu'à la fin quand les clips sont sortis. (Ils passent nettement mieux en entier et en contexte.) La suite de l'album est variée, avec la synthétique mais quasi-éthérée “Is It Cold in the Water?”, le tube pop “Immaterial”, une ou deux pistes d'ambient, et surtout le final “Whole New World / Pretend World” qui pousse l'intensité encore plus loin que les pistes précédentes. Le tout (qui doit aussi beaucoup au chant de Cecile Believe, présente sur la plupart des pistes) peut s'écouter à la fois comme l'expérience personnelle de l'artiste et comme un état des lieux du monde actuel, anxiogène, fabuleux, horrible, où la sensibilité autant que l'artificialité sont exacerbées.

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Moor Mother fait du hip hop de cauchemar pour faire entendre une réalité intenable. Pour vous faire une petite idée du son, imaginez un croisement entre Death Grips et Meira Asher ; une musique amère, acide et psychédélique. Les paroles sont revendicatrices à la limite de la rage et du désespoir, la mort y est omniprésente (l'artiste elle-même s'y voit morte, encore et encore), les voyages temporels aussi. On y entend, autant dans les paroles que dans les sons, l'histoire et la musique noires aux États-Unis, avec plusieurs périodes qui se téléscopent et se répondent.

Fetish Bones est aussi kaléidoscopique dans sa structure : les pistes sont courtes, obliques, ont une étrangeté qui attire toujours l'attention même si peu de choses là-dedans sont conçues pour être plaisantes à l'écoute et que certaines ne tiendraient pas plus longtemps que deux minutes. La voix de Moor Mother n'est pas en reste, étrange mais qui me plaît bien. Moi qui n'aime pas Death Grips à cause de la voix du MC, je n'y perds pas au change !

▷ Bandcamp

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Hiroshi Yoshimura a sorti de bons albums d'ambient, mais il a aussi écrit les compositions du premier album de Koto Vortex, un quatuor de kotoïstes (parmi lesquelles Michiyo Yagi, que vous avez peut-être entendue sur le coffret Improvised Music for Japan ou chez Hoahio, et qui a sorti quelques magnifiques pistes en solo).

Koto Vortex I va de l'aérien à une certaine forme de pastoralité mélancolique, toujours de manière subtile et enchanteresse, les mélodies sont à la fois immédiatement touchantes et ont quelque chose de difficile à saisir quand elles sont jouées comme ça à quatre mains. (Je n'arrive pas à décrire mieux que cela — je viens de chercher des critiques pour avoir de l'inspiration, je n'ai pas trouvé grand chose si ce n'est un commentaire sur cette page —je ne connais pas l'album dont ils parlent, mais du coup je viens de le télécharger aussi !)

Koto Vortex a sorti un deuxième album que j'aimerais bien écouter, mais il est complètement introuvable (à part une piste, la reprise de Moondog). Seuls quelques boutiques japonaises et coréennes le proposent à la vente.

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Definition de Murmer est un beau disque où les sons se développement tout naturellement, où les frontières s'effacent entre phonographies et compositions minimalistes. “Oracle Extended” est proche du drone avec sa boucle de synthé comme une vague qui va et vient continuellement, ponctuée par d'autres sons par moments ; “Spoke Speak” fait penser à une composition pour métallophone et bouteilles, mais tout y est joué avec une roue de vélo ; “Liquid Solid”, la plus particulière des trois, combine sons de pluie, d'un réfrigérateur, d'une lampe fluorescente, d'un train d'atterissage et d'une alarme. Si ces descriptions vous paraissent étranges, les pistes ne le sont pas, elles semblent couler de source et tout est très agréable.

Le disque est disponible en téléchargement gratuit ici sur le site officiel de l'artiste.

▷ Murmer
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Natural Control de Jensen Interceptor & Assembler Code est un très bon EP d'electro ou de techno industrielle atmosphérique ; “Pipe” en particulier est exceptionnelle avec son ambiance à la fois mécanique et feutrée, je pourrais l'écouter pendant des heures.








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Une fois n'est pas coutume, un disque de Richard Chartier (spécialiste des paysages sonores ténus, souvent à la limite de l'audible) s'écoute à fort volume ! Sur Central, son hommage à Mika Vainio*, les sons sont des présences colossales, étranges et hypnotisantes ; une sorte de signal d'alarme lent et diffus, à l'échelle d'une planète. Il y a des accalmies aussi, tout est en flux progressif… mais seule la toute fin de la seconde piste (noise), sur même pas une minute, semble pointer une sorte de soupir, une émotion, un certain calme. Tout sonne très juste, on y entend autant le style de Chartier que l'influence de Vainio.

▷ Bandcamp

* Artiste connu notamment pour faire partie du duo Pan Sonic, mort en 2017.

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LP Zero d'Ella Guro* est une petite histoire de voyage et de science-fiction introspective, sous la forme d'un album qui ressemble à une bande son de jeu vidéo (et l'est en partie : quelques pistes ont été utilisées pour l'un ou l'autre jeu indépendant). Chaque piste est accompagnée d'une illustration pixellisée, glitchée au point d'être semi-abstraite, qu'on imagine être la surface d'un autre environnement ; il y a de quoi s'imaginer sa propre histoire, ça marche vraiment bien. Seules les joyeuses “Wake Up” et “Flowers” sont moins réussies ; les contemplatives “Planet 193 (Unknown Anomaly)” et “Planet 768 (Out of This World)” sont magnifiques.

* Références à “Ella Guru” de Captain Beefheart et au “guro”, type de pornographie gore extrême japonaise que je vous déconseille fortement de chercher sur internet.

▷ Bandcamp