mercredi 27 février 2019

♪ 78 : Îles tropicales enneigées rivales

Alex Kassian
Hidden Tropics

(Utopia Records, 2018)
Dans le domaine des musiques mi-deep house, mi-ambient exotiques, dont le groove est tellement posé qu'il s'évapore presque, je vous recommande carrément Hidden Tropics d'Alex Kassian (DJ et compositeur de musiques pour danse et théâtre, si ça peut vous aider à le situer). La description officielle n'évoque que le Japon comme influence, ce qui s'entend dans certaines structures minimalistes, mais j'ai l'impression qu'il pioche des éléments un peu partout pour brouiller les pistes, inventer un cadre imaginaire. Il y a autant sinon plus d'instruments à vent, bois, percussions acoustiques diverses que de beats ici, en fait il n'y a que la piste titre qui tient de la house ; toutes les autres forment un environnement ambient coloré plus mystérieux à explorer, structure qui fonctionne étonnamment bien, je n'ai pas arrêté d'écouter ce disque ces derniers jours.

C'est le seul EP de l'artiste pour le moment, mais si ça vous plaît, jetez aussi une oreille aux autres disques du label (Utopia Records) !




Patti Austin
Every Home Should Have One
(Qwest, 1981)
Every Home Should Have One de Patti Austin est à l'image de sa pochette, avec ses effets sur les synthés et les guitares, son glamour, son rose néon — les années 80 plein les yeux et les oreilles ! Parfois j'aime vraiment quand la musique a un côté daté ; ça dépend surtout de si elle a gardé son énergie ou pas, ici rien à redire, ce type de pop vieillit très bien.* La meilleure chanson est la première (Do you looove meCan we still be a part of tomorrow ♬) mais l'album en entier est concis, accrocheur, avec assez de groove pour que même la plupart des ballades tiennent la route. À noter que c'est Quincy Jones qui a produit le disque, on me dit qu'il faudra que j'écoute d'autres disques de Quincy Jones en plus d'autres disques de Patti Austin. Je précise que je n'ai prêté aucune attention aux paroles, j'ai juste remarqué que celles de la piste-titre ressemblent plus à une réclame pour de l'électroménager qu'à une déclaration d'amour ; c'est sans doute cet aspect-là de la musique qui a mal vieilli et qu'on pourra lui reprocher. En même temps, bon, les chansons d'amour…

* Autre exemple que j'adore : “Don't Make Me Wait” de Bomb the Bass (encore mieux avec le clip). Sur l'album Into the Dragon, qui ressemble plus à un maxi single pour “Megablast (Hip Hop on Precinct 13)” qu'à un vrai album, mais il vaut le coup pour ces deux pistes-là plus une ou deux !




Burial
Rival Dealer

(Hyperdub, 2013)
Tout ce que je connaissais de Burial jusqu'à présent, c'était Untrue — un disque sur lequel j'avais changé pas mal d'avis, pour finalement concéder que seule “Etched Headplate” me plaisait vraiment là-dedans. Untrue se répète un peu trop, son ton est juste mais monotone, avec les mêmes rythmes et idées qui reviennent en boucle…

Je lui préfère nettement Rival Dealer. On sent que c'est le même artiste, mais tout sur cet EP est heurté, fragmenté, les beats comme échos pour s'y retrouver dans le chaos urbain, des présences humaines que l'on perd et que l'on retrouve, une véritable histoire se laisse deviner. Un message, aussi, inattendu et qui fait du bien ! C'est un disque sensible, marquant. Inégal aussi, parce que si Burial est carrément doué pour jouer dans les tons bitume, nuit noire et néon, ses teintes gaies et colorées sont trop appuyées, limite laides. Ce qui aurait coulé un disque moins bon, mais ici, et avec de tels contrastes, ça fonctionne quand même.




Sachiko M + Ryuichi Sakamoto
Snow, Silence, Partially Sunny
(Commmons, 2012)
Comment j'ai pu rater ça : une collaboration entre Sachiko M et Ryuichi Sakamoto ! Snow, Silence, Partially Sunny est une composition élégante, délicate mais austère et presque brutale, en plusieurs phases qui vont du plus sombre et froid au plus coloré. Sachiko M est parfaitement dans son élément avec des ondes sinusoïdales pures, Ryuichi Sakamoto la suit au début avec de l'atonalité, des grincements métalliques stridents, des grondements sombres et lointains… Plus loin, quelques notes apparaissent, fragiles, éparses, comme des flocons ou des perce-neige. Les mélodies n'éclosent qu'à la fin dans cette série de scènes hivernales. Tout me plaît mais c'est à ce moment-là que la musique prend une autre dimension, comme si des personnages émergeaient, ou du moins un personnage émergeait dans le paysage.

Alors oui, il faut aimer les dissonances et le bruit pour apprécier ce disque, le passage le plus accessible étant quand même des « iiiiiiiii » stridents électroniques superposés à des mélodies lentes au piano. D'ailleurs attention aux bourdonnements si vous écoutez au casque. Mais si on aime, c'est vraiment très beau !

Si vous n'aimez pas le bruit, écoutez plutôt async de Ryuichi Sakamoto en solo si vous ne l'avez pas fait, il n'y a pas de « iiiiiiii » stridents là-dedans et c'est super aussi.




Michael Prime
Borneo
(Mycophile, 2007)
Borneo de Michael Prime est une exploration de l'île et des espèces qui y vivent, perçue avec deux sens différents — l'un humain, l'autre non. On commence en pleine ville où tout va très vite, l'agitation humaine est partout, la foule, les bruits, les musiques ; on n'entendra plus aucune présente humaine par la suite, mais planter le décor de cette manière colore tout ce qui suivra. Prime se focalise ensuite sur un lieu ou une espèce par piste… et ce qui est particulier, c'est qu'en plus des enregistrements audio directs, on a des enregistrements de signaux bioélectriques de la faune et de la flore, soit des sons aux timbres électroniques (un peu acidulés) mais de facture complètement organique. Le voyage sonore dure deux heures. Et on passe de sujets clairement identifiés (“Rafflesia”, “Montane Forest”) à des présences complètement inconnues, parfois déstabilisantes (“Hungry Ghosts”). La dernière partie de cette piste-là est un peu longuette, tout le reste est super.

vendredi 15 février 2019

Divinités / religions

Ça m'étonne toujours un peu de me rendre compte que la majorité des êtres humains, malgré des cultures très différentes, sont croyants. Pourquoi cette idée, pourtant complexe et loin d'être évidente, est-elle si répandue ? Avons-nous un manque « naturel » que comble la croyance ? Même si l'athéisme a pu être plus répandu dans le passé qu'on ne pourrait le croire, reste que le pourcentage des croyants dans le monde est… autour de 90 % grosso modo.

Il y a des hypothèses intéressantes qui expliqueraient la présence de la religion au sein de l'évolution de l'espèce humaine ; par exemple, supposer un agent (plutôt que le hasard) derrière chaque événement serait un trait avantageux pour la survie. Pascal Boyer, quant à lui, explique que la religion émerge de manière tout à fait naturelle si l'on considère les manières dont les humains pensent en général… et souligne le fait que la religion n'est pas n'importe quoi, ni un simple « sommeil de la raison ». (Je résume ça très grossièrement.) Je ne sais pas si ces hypothèses sont étayées ou s'il ne s'agit que de pistes.

Mais qu'est-ce que ça veut dire au juste, croire en Dieu ?

Le concept me paraît loin d'être évident. Notre univers est-il éternel et en changement perpétuel, a-t-il une origine précise, ou y a-t-il d'autres possibilités ? (Les deux premières me paraissent improbables, je n'ai aucune idée de ce à quoi une troisième pourrait ressembler.) Imaginer qu'une entité — au sens le plus large possible — ait pu créer notre univers ne me paraît pas déraisonnable en tout cas. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est probable, je n'en sais rien. Mais ça se laisse envisager.

De là à considérer que cette entité soit (a) vivante, (b) consciente, (c) omnisciente, (d) omnipotente, (e) bonne si ce n'est infiniment bonne, (f) à l'image de l'être humain, (g) masculine, (h) à notre écoute, (i) qui contrôle nos êtres qui (j) sont en réalité des « âmes » immatérielles et (k) éternelles et (l) qu'il faut prier pour Lui même si personne ne L'a jamais vu à part des mystiques dont les témoignages paraissent impossibles et … (m n o p etc.) bref, tout ça, ça me paraît tellement injustifié et improbable que ça tient de la folie. (Rien que les trois premiers points sont incompatibles entre eux ou avec la réalité telle qu'on la connaît, quoi qu'en dise Leibniz. Des philosophes croyants ont bien essayé de réconcilier cela avec des « théodicées » mais je n'en ai vu aucune qui me convainque.)

En fait, il me paraît faussé de parler de « croire en Dieu » ou pas. Le pari de Pascal par exemple ne tient pas la route, c'est un faux dilemme — on pourrait tout aussi bien imaginer une entité qui punirait toute personne croyante. Ou une infinité d'autres possibilités.

J'aime bien la conception de Spinoza, qui considère (en très gros, je résume au bulldozer encore une fois) que Dieu serait la nature même. C'est la seule conception de Dieu que j'ai lue qui me paraît sensée. Et c'est peut-être aussi la seule hypothèse d'un monde avec des divinités qui ne soit pas glaçante ! Pour moi, c'est absolument horrible de penser qu'on puisse être sous la coupe d'une entité éternelle qui peut faire ce qu'elle veut de nous, je n'y vois aucun réconfort. Et je me demande d'ailleurs combien de personnes croyantes n'ont pas, au fond d'elles-mêmes, peur de Dieu. Le mot “God-fearing” est utilisé en anglais en tout cas, pour désigner quelqu'un de très croyant. Peut-être y a-t-il aujourd'hui de la peur et de l'amour mêlés, en plus d'autres choses ? Je m'y connais trop peu pour dire.

Sinon, les histoires de mythologies, en général c'est trop dérangeant pour moi. Mais à choisir, je préfère un peu le polythéisme au monothéisme, et je ne vois pas en quoi l'un serait plus probable que l'autre.

D'après une citation de Stuart Chase : « Pour qui a la foi, aucune preuve n'est nécessaire ; pour qui ne l'a pas, aucune preuve n'est possible. »

lundi 11 février 2019

Itayaxa (1)


Itayaxa est la grande déesse aléatoire et la grande déesse de l'aléatoire, ou peut-être n'est-elle que l'une d'entre elles. Peut-être est-elle plus. Difficile à dire parfois. Si vous croyez en elle, vous aurez une chance aléatoire que quelque chose d'aléatoire vous arrive, et ce ne sera probablement pas de sa faute.

Itayaxa n'existe sans doute pas en ce monde, mais c'est vrai aussi d'autres divinités et ça n'a jamais empêché de croire en elles. Ça ne l'empêche pas de croire en elle-même aussi, quand elle en a envie.

Il n'est pas interdit de représenter Itayaxa (elle n'est pas difficile), mais elle change tout le temps. Toutes les représentations d'elle ont une chance aléatoire d'être justes.

La plupart des montres en état de fonctionnement retardent ou avancent, ou les deux en même temps selon votre point de référence. Une montre arrêtée dit l'heure exacte deux fois par jour, sauf si c'est une montre arrêtée inhabituelle, comme une montre sans aiguilles qui dans ce cas ne l'indique qu'à la fin du temps. Itayaxa porte une montre aléatoire, qui indique une heure aléatoire.

Ce blog était censé être dédié à Itayaxa, je ne sais pas s'il l'est toujours en théorie, je l'ai perdue de vue avant d'avoir écrit le premier article. Elle revient de temps en temps cela dit. Le tout est de la reconnaître.