mercredi 30 septembre 2015

♪ 37 : Les Lumières Syriennes des Rois Menteurs Pleurent des Cercles dans la Nuit

Avant de vous parler de Liars de Todd Rundgren, je vous passe un lien vers la critique de Piezo, qui m'a fait écouter l'album à l'époque sur le forum dead.flag.blues il y a une dizaine d'années.

OK, donc. Liars de Todd Rundgen est un album pop conceptuel sur le mensonge de notre société. Rundgren est surtout connu pour ses albums d'art pop des années 70, Something/Anything? et A Wizard, a True Star — des chefs d'œuvre selon beaucoup de gens (personnellement, je les aime mais je le trouve inégaux, il y a des chansons géniales mais d'autres mielleuses et lourdingues que je zappe). Après quelques succès plus mineurs dans les années 80, dont le tube parodique méga-débile “Bang the Drum All Day” que trop de gens ont pris au sérieux, il semble qu'il se soit mis à sortir un peu n'importe quoi : plein de disques aux pochettes laides comme pas possible, avec du rap, des reprises bossa nova de ses propres chansons, de l'arena rock, etc. Seuls les fans acharnés semblent les avoir écoutés.

Et au milieu de tout ça, il y a Liars, sorti en 2004. Un album qui a lui aussi des allures de n'importe quoi : souvent trop long, avec des sonorités synthétiques et des effets kitsch comme pas possible… et qui tient la route parce qu'il est super bien écrit. Avec des mélodies accrocheuses, dansantes ou cool (l'artiste n'a aucun scrupule à se lancer tout seul dans des incursions soul, quasi-metal ou vaguement arabisantes), des paroles franches et intelligentes, des chansons faites avec les moyens du bord et sans se soucier des tendances actuelles mais dans les règles de l'art.

Liars est un album où Rundgren se fait plaisir et ne se refuse rien. (D'ailleurs, à part deux solos, c'est lui qui a tout fait dessus.) C'est un album que plein de gens considéreront comme laid, un album égocentrique à tous les niveaux et qui en fait souvent des caisses, mais qui s'assume à fond. Et pour peu qu'on rentre dedans, c'est un sacré bon album.



L'autre jour, je me dis qu'il serait temps que j'écoute un troisième album de King Crimson (jusque là, je ne connaissais qu'In the Court of the Crimson King et Red). Donc j'écoute Discipline, et — ça alors, on dirait les Talking Heads ! Je ne sais même pas si j'aurais reconnu King Crimson sur ce disque. Et ça m'a fait super plaisir, parce que les Talking Heads font partie de mes groupes préférés (même si j'ai lâché l'affaire après Little Creatures).

“Elephant Talk” et “Thela Hun Ginjeet” ressemblent beaucoup aux Talking Heads, “Frame by Frame” part de là mais rajoute de grandes envolées prog/pop, ce qui n'est pas mal non plus… et ma préférée est “Indiscipline”, rythmée et toute fragmentée, avec un chant presque parlé et une structure imprévisible. Les autres pistes sont malheureusement un peu anecdotiques, ce qui fait de Discipline simplement un « bon » album. Mais un bon album qui m'a tapé dans l'oreille. Ça me donne envie d'écouter le reste de leur discographie.



En Nouvelle-Zélande, il y a un homme qui s'appelle Alastair Galbraith. Et dans une cabane du village de Taieri Mouth, en chantant avec une guitare, un violon, un orgue et en manipulant les résultats sur son enregistreur quatre-pistes, il a enregistré un drôle de disque de folk. Des pistes souvent très courtes, souvent moins de deux minutes, voire moins d'une. La voix d'Alastair est toujours belle et calme, il parle plus qu'il ne chante, mais sur des musiques étonnantes, souvent dissonantes, bidouillées avec les moyens du bord (il aime bien découper des passages et les passer à l'envers notamment). Sur la pochette de son disque, Alastair écrit un poème qui parle d'un grand monde lumineux avec un petit point noir au milieu qui, quand on le regarde de près, fait voir un monde sombre et triste avec un petit point lumineux au milieu.

Je ne sais pas si c'est un album très original ou classique au sein du freak folk. Je sais juste que j'aime bien. C'est une musique spontanée, bizarre mais belle à sa manière.

Il s'appelle Cry. Je n'ai pas encore écouté les autres.



Des années après tout le monde, je me mets à Subtle, cLOUDDEAD, Themselves, Deep Puddle Dynamics, bref, toute la clique d'Anticon & co. (Enfin, j'avais déjà essayé cLOUDDEAD, mais à l'époque ça ne m'avait pas parlé du tout — j'y reviendrai.)

C'est l'album de Boom Bip & Doseone que j'ai aimé en premier. Je le trouve fascinant. Les beats n'y ressemblent qu'assez peu à du hip hop et ne sont que rarement dansants, mais on peut y entendre des éléments d'une dizaine d'autres genres. Doseone semble quant à lui plus faire du slam que du rap, avec une voix nasale particulière sans aucune animosité, on dirait un personnage de dessin animé qui aurait décidé d'arrêter sa carrière d'amuseur public et de se lancer dans un double cursus artistique et nous présenterait un de ses projets-fleuves pendant soixante-dix minutes, une sorte de poésie semi-biographique en courant de conscience sur des pistes instrumentales variées, textes que j'imagine gribouillés dans tous les sens dans un gros carnet qu'il aurait trimbalé partout. Tout l'album s'enchaîne d'une traite, d'ailleurs les paroles dans le livret sont écrites comme ça, sans interruption ni temps mort.

C'est du hip hop complètement déraciné, on n'y retrouve aucun des clichés du genre, ils n'ont gardé que la structure de base : des paroles plus scandées que chantées et des instrumentations rythmées. Je n'ai entendu personne d'autre renouveler le genre comme ça, du coup même si le disque a quinze ans, il n'a pas pris une ride… Si vous connaissez d'autres exemples, prévenez moi ! En attendant, je continue de découvrir leurs autres projets. J'aime déjà beaucoup Subtle.

(Au fait, on appelle souvent ce disque Circle, mais son vrai titre est un symbole, avec deux flèches en arc de cercle qui vont dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. J'ai cherché mais il n'existe pas de symbole Unicode correspondant. D'ailleurs on ne trouve pas non plus les paroles sur internet.)



Frank Bretschneider, je ne le connais quasiment pas, apparemment il fait du glitch. (Effectivement, en cherchant son nom dans ma mp3thèque, j'ai une piste de lui sur la compile Clicks + Cuts de Mille Plateaux.) Steve Roden, j'ai écouté une petite dizaines de disques de lui, c'est un des pionniers de la lowercase music et il a sorti pas mal de disques expérimentaux basés sur des poèmes variés et des sources sonores uniques manipulées. C'est lui aussi qui a peint la pochette ! Je ne savais pas qu'il faisait des arts visuels.

Sur Suite Nuit, Bretschneider joue du synthé modulaire et Roden des pédales d'effet, phonographies, micros de contact et « objets trouvés ». Le résultat est un mélange de micro-rythmes froids et de sons fluides, et je n'avais aucune idée de comment le décrire avant d'apprendre qui a fait quoi. On dirait un biotope de sons qui évolue de lui-même, aussi bordélique qu'harmonieux. La première piste est un enregistrement en concert, la deuxième est une répétition, mais ça non plus, je ne l'aurais pas deviné à l'écoute.



« Jacques Dudon est un compositeur et luthier expérimental français né en 1951 à Villecresnes. Il est surtout connu pour ses recherches sur la synthèse sonore microtonale utilisant des disques photosoniques: instrument de synthèse graphique permettant la génération optique des sons, développé à partir de 1972. La synthèse sonore "photosonique" n'utilise aucun synthétiseur électronique mais la simple lumière, naturelle ou artificielle, traversant les formes dessinées sur des disques transparents en rotation pour venir éclairer une cellule photovoltaïque directement branchée à l'entrée d'un amplificateur. Le fait de recouvrir partiellement deux ou trois disques en mouvement, associé aux diverses formes dessinées, permet de grandes variations dans les formes d'ondes produites et donc de la musique harmonique qui en résulte. Il a aussi créé dans les années 1970 une série de 150 instruments utilisant l'eau, nommés "aquaphones" décrits dans son livre "La Musique de l’Eau" incluant le "flutabullum", un système de transformation de sons de flute par un enregistrement subaquatique. Il est l'actuel président de l'Atelier d'exploration harmonique (AEH) au Thoronet dans le Var où il anime l'atelier de recherches psychoacoustiques. »
— Wikipédia

… Donc voilà, Lumières Audibles, c'est de l'ambient « photosonique » ! Pas exclusivement, à part deux pistes il y a aussi quelques autres instruments. Ça a des sonorités un peu new age sans être kitsch, ça respire beaucoup, c'est un bon disque.



In a Syrian Tongue de Regis est un vinyle deux-titres de techno qui frappe dans le mille. Brutal sans être agressif. C'est rare. Cette musique n'a pas l'air extrême, comme ça, et pourtant… Ça s'écoute fort, j'ai envie d'écouter ça sur un système qui a des basses énormes (ce qui ne m'arrive quasiment jamais), sans qu'il y ait quoi que ce soit d'excessif ou d'ostentatoire dans cette musique. Ce ne sont pas les machines massives et crasseuses de l'EP de Trade qui m'ont fait aimer la techno industrielle, ni les rythmes dansants précis de chez raster-noton, ni l'atmosphère hantée de magie noire des meilleurs pistes de Demdike Stare, ni l'orientalisme techno dément exacerbé de Muslimgauze, mais il y a de tout ça là-dedans. Sauf que je n'ai aucune idée d'où ça vient. Un disque qui fait sacrément plaisir sans faire sourire une seconde.