jeudi 24 novembre 2016

♪ 51 : Les Fleurs Martiennes Défuntes Secouent leurs Cordes Oculaires

Je n'aime toujours pas l'opéra classique, et je préfère largement la musique classique instrumentale à celle avec chant… mais je commence à me poser des questions quand, après avoir aimé The Death of Don Juan d'Élodie Lauten, j'ai un coup de cœur pour Mars: Requiem de Helga Pogatschar.

Les chants sur ce requiem (c'en est bien un) sont classiques, les textes aussi, mais l'instrumentation est industrielle. En partie atonale, avec des samples, des dissonances, des sons mécaniques, torturés, hostiles… Ce qui donne des clairs-obscurs saisissants (chant lumineux, textures sonores complexes et infernales). À un moment seulement, le chant se met à s'accorder avec cette dissonance de la langue musicale moderne, et ce moment suffit à donner une autre dimension à la composition ; sur d'autres passages, plus que des pistes, ce sont des mélodies, parfois sur une seule syllabe, qui me donnent des frissons.

Seuls les textes, religieux et en latin (à part la dernière piste en hébreu), ne me parlent en rien. Mais les sentiments d'inquiétude, d'espoir, de résistance, de tristesse sont exprimés de superbe manière.




Ça fait déjà pas mal d'années que j'aime Ogham Inside the Night de Sieben, un disque de folk sur un alphabet antique irlandais — un bel album dans un genre et surtout avec des évocations qui changent nettement de mes écoutes habituelles, calme mais souvent empreint de mystère et d'ambiguité.

Mais je ne m'attendais pas du tout à ce que l'album précédent, Sex & Wildflowers, soit si différent ! Est-ce encore du folk ? Parce que cette musique me paraît plus intense que n'importe quel disque de folk que j'ai pu écouter. Ou du moins intense d'une autre manière. Les boucles de violons sont encore là, la voix reste calme — et très belle, d'ailleurs ! —, mais si ce disque est en grande partie pastoral, il y a une tension dès le départ qui rend la musique d'autant plus belle et plus excitante… Maintenue jusqu'à ce que des distortions surviennent, des sons électriques, des pulsations, jusqu'à la tempête comme sur la géniale “Bleeding Heart” avec ses paroles simples rendues étranges par une énumération froide, précise, presque maniaque, et une musique qui aurait pu être mélancolique sans ces dissonances et cette énergie furieuse. Sex & Wildflowers est cru, violent même, ces légendes-là n'ont pas été adoucies ! Et c'est un sacré bon disque.




Biosphere, à mes oreilles le maître de l'ambient, n'avait pas sorti de disque entièrement convaincant depuis plus de dix ans. Et pas qui arrive à la hauteur de sa réputation depuis Shenzhou, en 2002 ! Ce n'était pas faute d'essayer de nouveaux styles, mais plus ses essais ratés s'enchaînaient, plus je pensais qu'il avait définitivement perdu la main.

Departed Glories est une renaissance : en plus d'être très bon, l'album ne ressemble en rien à ses précédents. Le Norvégien est parti à Cracovie et s'y est inspiré de l'histoire de Bronisława, une nonne qui, au XIIIe siècle, aurait vécu cachée dans la forêt pour échapper aux envahisseurs tatares. La musique, qui se base sur des échantillons de musiques traditionnelles russes et européennes, est fantômatique — des voix désincarnées qui viennent de tous côtés dans une langue démembrée, des nappes empreintes de mystère… Des souvenirs translucides, parfois joyeux, parfois anxiogènes, parfois paisibles, dans une atmosphère de contes et de revenants déconcertante. La photo de la pochette, qui date du début du vingtième siècle, colle parfaitement. En plus d'être envoûtant, le disque présente des passages impressionnants au casque ; tout juste peut-on reprocher à Departed Glories de ne pas avoir de dynamique d'album, un problème classique sur les albums avec beaucoup de pistes (dix-sept). Mais rien qui m'empêche de vivement le recommander !




Un bon single d'EDM en passant : Shake Your Body Down* de Discreet Unit, de la house qui se déhanche façon coup de fouet, sorti chez Prime Numbers.

* Rien à voir avec la chanson des Jackson 5 qui est très cool aussi.










Music Vol. de COH, c'est de la musique électronique minimaliste… qui s'approche autant que possible d'Eleh sans être du drone. Pas de percussions, mais des pulsations, des ondulations. Des mélodies discrètes. De grands espaces sombres, sphériques, avec quelques formes géométriques, une noirceur plus contemplative qu'anxiogène.








J'en profite pour parler de mon album préféré de l'artiste : Strings. Plus proche du minimalisme que des musiques électroniques classiques, la première partie au piano est d'abord très éparse — avant que s'introduisent répétitivité, pulsations et sons électroniques qui nous rappellent qu'on écoute un disque de COH sorti chez raster-noton. La mélodie est toujours belle, mais chaque note se répète, à l'identique ou dans un cycle de deux ou trois, avec des basses électroniques et des glitches, ce qui donne un effet de répétitivité trompeur et hypnotique. Sur la deuxième partie, une guitare électrique au son saturé quasi-électronique gronde sur une mélodie qui aurait pu être annonciatrice de groove dans un autre contexte mais ici n'est qu'une phrase minimaliste de plus. Une troisième partie se base sur de enregistrements improvisés de saz et d'oud, en duo avec ces sons de basses et d'éléments qui s'allument et s'éteignent… Le final garde les mêmes sources sonores mais avec une structure nettement différente : on démarre par des drones, puis un rythme arrive, les sons électroniques deviennent plus agressifs mais les instruments acoustiques rivalisent d'intensité eux aussi.

Ça ne ressemble vraiment à aucun autre disque que je connais.




Syclops est un groupe composé de trois Finlandais imaginaires et d'un vrai Maurice Fulton. On peut dire qu'il fait de la house, mais de la house très atypique, complètement déracinée ; beaucoup de sons acides et élastiques, plein de percussions différentes (tribales, rock, électroniques…), des instruments acoustiques inattendus… Un son hybride qui lorgne vers le rock ou le jazz, complexe, travaillé, expérimental, et qui incorpore aussi deux ou trois élements plutôt crus et improvisés. I've Got My Eye on You est le premier album du projet, c'est sorti chez DFA (le label de LCD Soundsystem) et c'est carrément bon !

mercredi 23 novembre 2016

(⚆)


Parfois, je me dis que le but n° 1 de ma vie est de me cacher. Et que le n° 2 est de rendre ma cachette la plus douillette possible.

Sans aller jusqu'à l'isolement, tout le monde a besoin de bulles déformantes où se réfugier et à travers lesquelles voir le monde — la musique, le confort matériel, nos proches et leurs opinions, la foi en qu(o)i que ce soit, une vision philosophique ou politique des choses… Et quand certaines éclatent, quand la musique ne m'atteint plus, quand les autres ne peuvent pas aider, c'est comme si ça me brûlait. Avec une sensation de lucidité qui n'arrange pas les choses. Le monde a quelque chose d'inhumain, d'insupportable, et s'en rendre compte uniquement quand ça va mal n'aide pas vraiment.

Parfois, même à travers notre propre vision déformée, il est impossible de ne pas voir que certaines bulles sont presque opaques, trop réduites, monstrueusement difformes, ou même qu'elles empoisonnent — difficile alors de ne pas avoir envie de les crever. En général, ce sont celles des autres… Et là où ça commence à aller mal, c'est quand on veut imposer sa propre bulle à tout le monde. On a eu ça tout le long de l'histoire de l'humanité, et j'ai l'impression qu'on le voit de plus en plus ces derniers temps. Des personnes détestables qui croient être les seules à y voir clair, trop confiantes en elles, si sûres de la justesse de leur difformité. Ça me rend compte à quel point il est important d'essayer, au moins, de se mettre à la place d'autrui.

Mais souvent, ce que je trouve me donne encore plus envie de m'en éloigner.

Cf. par exemple “Bulles de filtrage : Il y a 58 millions d’électeurs pro-Trump et je n’en ai vu aucun”, “I’m a Coastal Elite From the Midwest: The Real Bubble is Rural America” et la parodie inverse de Saturday Night Live, “The Bubble”, tout ce qui touche à la religion…

Il doit quand même y avoir un équilibre à trouver quelque part ?