vendredi 11 juillet 2014

♪ 23 : la genèse des cordes du temps volant dans le vide

Ça faisait longtemps que je l’attendais, celui-là ! L’album de Todd Terje. C’est du nu-disco. Je l’aime beaucoup.

C’est un disque sans autre prétention que de faire danser et rendre heureux, fait avec amour et plein de synthés différents, et il réussit parfaitement son coup : It’s Album Time, c’est une heure de bonheur. Il y a plein de tubes et une ou deux surprises sympathiques là-dedans (genre le jeu de rythmes sur “Leisure Suit Preben”) ; même les défauts du disque sont attachants, comme cette reprise de “Johnny & Mary” au milieu, mal casée, trop naïve et trop longue (elle fait cinq minutes et donne l’impression d’en durer dix) mais pas sans charme. En fait, la seule chose que je reproche vraiment à cet album, c’est le fait qu’il ne soit qu’en partie nouveau : j’avais acheté l’EP It’s the Arps avant, et toutes les pistes sauf l’interlude sont reprises sur It’s Album Time, donc mon vinyle ne vaut plus rien.

Sinon, c’est la première fois que j’accroche à un disque de (nu-)disco comme ça. Bon, je n’en ai écouté que très peu aussi, lacune que je compte pallier dans les temps qui viennent (j’ai déjà commencé un peu, d’ailleurs). Le prochain album populaire que j’attends maintenant, c’est celui de FKA Twigs. En août, normalement. Et celui-là sera entièrement inédit !



Ça faisait des années que je n’avais pas écouté de Mr. Bungle, un groupe que j’adorais il y a cinq/dix ans… J’ai eu envie de ressortir Disco Volante, que je considérais à l’époque comme un disque génial.

Hé bien je l’ai réécouté et je le trouve encore plus génial qu’à l’époque. On peut détester les clowneries et le mauvais goût de Mike Patton et al., mais Disco Volante est un disque incroyable. C’est un album qui donne tout et même plus que ce qu’il faudrait : humour, drame, folie furieuse, joyeux délires, bruitismes douloureux, trente-six styles différents qui s’enchaînent avec brio, et quelques beaux foutages de gueule dans la foulée. Mr. Bungle était un groupe pandémoniaque, et cet album, c’est le Joker qui vous balance le meilleur dessert d’un restaurant quatre étoiles dans la tronche en rigolant.

Les trois albums du groupe sont excellents à leur manière, d’ailleurs — l’éponyme pour son funk metal iconoclaste et accrocheur, California pour ses chansons influencées surf rock et doo-wop qui mettent mal à l’aise par leur normalité apparente qu’on ne sait trop comment prendre… Disco Volante est le plus chaotique des trois, et prend un malin plaisir non seulement à désorienter, mais même à rebuter carrément l’auditeur. La première piste, “Everyone I Went to High School with Is Dead”, paraît affreusement nulle à première écoute mais se révèle être une introduction parfaite une fois qu’on a écouté l’album en entier. Le disque aborde des sujets graves voire dramatiques au beau milieu de blagues salaces — et certaines pistes sont des réussites parfaites qui semblent ne pas vouloir qu’on les reconnaisse comme telles.

Disco Volante fait partie de mes albums préférés, et pourtant je ne peux pas lui donner de note parfaite — la faute à deux ou trois passages franchement médiocres (la parfaitement oubliable “Phlegmatics” et la trop hasardeuse “Platypus”). Mais je crois que si le groupe avait réussi à faire un album parfait, ils se seraient dit « non, c’est pas possible, on ne peut pas le sortir comme ça ! » et qu’ils auraient rajouté au beau milieu une piste de hurlements et de pets.



Morton Feldman donne sens à la fameuse phrase de Debussy : « La musique est le silence entre les notes ». Piano and String Quartet est un long morceau minimaliste qui joue avec la tension de telle manière à ce qu’elle semble paradoxalement apaisante. Un morceau où les dissonances ont l’air de consonances. Et si on peut avoir l’impression que « c’est toujours la même chose » le long des 80 minutes (durée limitée par le format CD ?), pour peu qu’on écoute avec un peu d’attention, on se rend compte que rien ne se répète jamais à l’identique dans cette composition. Les courtes mélodies au piano donnent une impression de suspens perpétuel, un jeu d’équilibriste, chaque silence a des allures de saut dans le vide pour retomber pile sur la corde tendue.

Je ne connais quasiment rien à la théorie de la musique, mais si ça vous intéresse, il y a une analyse de Piano and String Quartet par Frank Sani ici.

Les autres compositions de Feldman que j’ai écoutées sont dans un style similaire. Why Patterns? est tout aussi belle. Triadic Memories est bien aussi, mais plus difficile d’accès. Je n’ai pas encore écouté le fameux Rothko Chapel, je m’y mettrai plus tard (comme je suis insensible aux œuvres de Rothko, je n’ai pas eu envie de commencer par là). Et la pièce qui me plaît autant sinon plus que Piano and String Quartet, c’est The Viola in My Life, que je réécouterai et dont je parlerai peut-être plus tard. Je n’accroche pas trop à Durations / Coptic Light pour le moment.



Signalvoid est un projet aussi intéressant que problématique. Il est imprévisible, stimulant, agréable à écouter et conceptuellement original ; mais ce n’est pas une œuvre maîtrisée qui aurait son identité propre, ni même une forme définie. Il s’agit d’une compilation de 263 pistes d’une minute chacune, censées être de la noise music (mais qui débordent assez volontiers de ce cadre), à écouter en mode aléatoire. Chaque participant au projet pouvait apporter une contribution d’une à trois pistes maximum ; on retrouve quelques grands noms et beaucoup d’inconnus. Les pistes n’ont pas de silence au début ni à la fin, pour que tout s’enchaîne sans transition.

Ce concept se serait cassé la figure avec beaucoup d’autres genres. J’ai eu l’occasion d’écouter une compile ambient de 36 pistes d’une minute chacune et ça ne fonctionnait pas, j’avais l’impression de quitter chaque endroit alors que je commençais à peine à le découvrir et que j’avais envie d’y rester, c’était très frustrant. Mais un collage de fragments bruitistes, oui, ça fonctionne ! Parfois, ils vont tellement bien entre eux qu’on pourrait croire à une seule piste qui évoluerait ; parfois, on passe réellement du coq à l’âne, mais les brusques changements de style et de son sont de toute façon courants et acceptés dans les albums de noise « classiques », donc ça ne dérange pas.

Signalvoid est très bien quand on aime le bruit, qu’on a envie d’écouter quelque chose sans savoir quoi, et que l’on n’a qu’un temps court (ou indéterminé) devant soi. Mais cette compilation a aussi quelque chose d’intrinsèquement nihiliste : aucune piste-fragment ne détonne avec les autres, parce qu’elles détonnent toutes entre elles. Il n’y a pas de début ni de fin, pas de forme, pas de « but à atteindre » donc, ce qui peut finir par décourager. Ce qui émerge de ce projet, c’est une esthétique partagée (consciemment ou non) et la myriade d’interprétations possibles du mot « bruit »… On peut aussi y voir un exemple ou une allégorie de la profusion, de la surabondance paralysante de tout dans tous les domaines aujourd’hui.

Signalvoid est le projet de Jack Chuter, confondateur de ATTN:Magazine, un webzine intéressant pour qui s’intéresse aux musiques expérimentales en général. Il dit ceci de sa création (qui n’est qu’en partie la sienne) :

“Essentially, I have no idea what I’m doing. My SIGNALVOID compilation was a physical manifestation of this: a collection of 263 one-minute pieces, each adhering to the theme of “noise”. Every submission was accepted as a valid interpretation of a theme far bigger than myself, leaving me euphorically dizzy in the multi-directional sway of subjectivity. Where other compilations flex the tastes of their curator – picking out certain submissions, discarding others – I wanted to feel powerless and overwhelmed in the wake of my own project, swallowed up by the jaws of my own democracy.”

Vous pouvez télécharger Signalvoid gratuitement ici. Il existe également une édition physique, sur clé USB en bois gravée avec des trucs en plus (une photo, un dessin… uniques à chaque fois).

(Petite remarque en passant : les mp3s sont taggés avec tous les titres sous la forme “SIGNALVOID - [Artiste] - [Titre]” et “SIGNALVOID” comme nom d’artiste à chaque fois. Comme j’ai des tendances maniaques, j’ai tout retaggé correctement. J’ai fait ça en plusieurs fois, mais ça m’a pris un temps fou.)



Et puis le disque que j’ai le plus écouté ces derniers temps, c’est Thaumogenesis de Nadja. Une piste d’ambient drone metal d’une heure. Le beau rêve coloré d’un géant qui dort d’un sommeil de plomb. Une heure, c’est la durée idéale pour ce genre de musique, et ce n’est pas un monolithe écrasant ni une improvisation informe ; la musique respire, elle évolue, elle a des dynamiques. Je ne sais pas si je l’aime autant que Touched du même groupe, mais je crois qu’elle n’est pas loin.