mardi 29 mars 2016

♪ 43 : Labyrinthes Minimalistes et Caresses Silencieuses de la Part de la Reine de l'Hydrogène

J'aime beaucoup le premier album de Mette Henriette. C'est du jazz minimaliste, aussi épuré qu'il est possible de l'être sans tomber dans l'austérité ; pas de performance-spectacle ici, zéro fioriture, peu d'atmosphère même, mais beaucoup de suggestion. Et les pistes sont souvent courtes, beaucoup ne font qu'une minute ou deux. Mais la musique a un bel équilibre, avec autant de mélodies harmonieuses et accrocheuses que de vides dissonants ou intrigants.

L'album contient deux disques qui auraient pu sortir séparément : sur le premier, intitulé “o”, la saxophoniste n'est accompagnée que d'un pianiste et une violoncelliste, et le jeu est volontiers plus lent. (J'aime particulièrement “A Void”, avec sa respiration atonale, texture sonore sur laquelle un piano et saxophone qui paraîtraient timides dans un autre contexte resplendissent.) Sur le second, “Ø”, il y a un ensemble de treize musiciens (beaucoup de cordes, ça ressemble parfois plus à du classique contemporain qu'à du jazz), une palette plus vaste mais toujours utilisée avec parcimonie. Enfin, presque toujours : sur quelques pistes, l'artiste tente un son plus fourni, et garde en général l'équilibre en se reposant sur un son mi-mélodique mi-textural, mi-harmonieux mi-dissonant. Il n'y a qu'une piste où elle se plante à mes oreilles, soit quatre minutes sur une heure quarante ; j'approuve donc Mette Henriette à 96 %.



La Suite Gogol d'Alfred Schnittke, composée à l'occasion d'un spectacle au théâtre de Moscou en 1976, est une œuvre fantaisiste qui confine au burlesque ; huit mouvements basés sur autant d'œuvres de l'écrivain, qui n'ont souvent rien à voir les uns avec les autres, une écoute à la fois intense et drôle qui part joyeusement dans plein de directions successives.

Sur ce disque de l'orchestre symphonique de Malmö, il est accompagné de Labyrinthes, une composition pour ballet qui mérite bien son nom : une exploration souvent dissonante, où l'on passe et repasse du mystère à l'angoisse sans jamais savoir où l'on finit.

Il paraît que ce ne sont pas des œuvres majeures de Schnittke, ce à quoi je ne peux rien répondre pour le moment ; à part ce disque, j'ai écouté que son premier concerto grosso (qui m'a paru assez hermétique) et sa troisième symphonie (qui m'a plu), pas assez pour en parler encore. Mais ce sont cette Suite Gogol et ces Labyrinthes qui me donnent envie d'approfondir.



Burn Out at the Hydrogen Bar de Chemlab, c'est un chanteur rock à l'attitude furieusement cool au sein d'un groupe électro-indus-metal férocement dansant. Son chargé sans être inaccessible, voix claire, imaginez Skinny Puppy qui, plutôt que de se complaire dans les expérimentations tortueuses et torturées, pimenteraient leur bruitisme cyberpunk d'une bonne dose d'attitude rock et de déhanchés sur des grooves synthétiques.

L'album commence par un titre parfait, “Codeine, Glue and You”, et ne se prive pas d'enchaîner tubes sur tubes ensuite. Si vous aimez ce genre de son, vous auriez vraiment tort de ne pas y jeter une oreille !

(Ah, et si la pochette vous déplaît, sachez qu'il en existe une alternative avec une photo en niveaux de gris et flou artistique qui masque pas mal ce qu'on pourrait y voir. À savoir : une photo du chanteur — Jared Louche — en train de s'injecter de l'héroïne dans le pénis. Rock'n'roll.)



Je n'ai jamais entendu parler de The Faulty Caress de Piquet. Ce disque m'est apparu dans les résultats d'une recherche sur Discogs alors que je cherchais tout à fait autre chose, et pour le coup, je remercie le hasard ! Cet album se base (si j'ai bien compris) sur des sons transformés par un micro de guitare, une démarche de déconstruction-transformation-relocation similaire dans l'idée à celle de Main, mais avec ici un résultat plus énergique et abstrait. Beaucoup de percussions, de silences et de textures ; un disque qui aurait presque pu sortir chez raster-noton, avec cependant un son plus chaud, libre et organique que la plupart de leurs sorties.

Paul Kendall ne s'embarasse pas de chichis et commence direct par “Feed #1”, quinze minutes d'une musique électronique imprévisible et sauvage qui va du très discret au bruitiste. Suivent les rythmées et mélodiques “Caress” et “Alone in Stone” entrecoupées par le drone minimaliste de “Feed #2”. Le reste de l'album navigue entre ces extrêmes. Tout respire. Tout est intéressant et réussi.

Dans les liner notes, une devise peut-être, en tout cas une idée que j'aime : « Aucun son n'est un son mort. »

Plus d'informations ici (c'est assez moche, normal, ça date du milieu des années 90) : https://web.archive.org/web/20030805164451/http://www.mutelibtech.com/mute/parallel/parallel.htm



Bon, donc le dernier Saul Williams, MartyrLoserKing, est aussi décevant que sa pochette. Pas la peine de s'attarder dessus, j'ai plutôt envie de revenir sur ses trois premiers albums, que j'aime toujours beaucoup.

Williams est est un rappeur tendance intello-poète, qui s'inspire beaucoup de post-punk et de rock, qui a une voix grave et posée le plus souvent (et qui se mue plus en cri qu'en mitraillette quand il s'emballe). Son premier album est un peu son classique, très bon même si on y trouve quelques petits errements propres aux premiers albums. Son troisième est une collaboration avec Trent Reznor et leurs deux styles se complètent parfaitement, un excellent album plus direct que les précédents.

Entre les deux, il y a l'éponyme, peut-être son plus intéressant. Un disque étonnamment sombre, introspectif, torturé. Saul commence par nous plonger dans une récitation sombre, annonciatrice de tempête, et finit de citer Victor Hugo avant d'enchaîner sur la dissonante et presque choquante “Grippo”, où l'artiste prend une voix étonnamment nasale et revendicatrice sur la mélodie de “Zombie Warfare” de Chrome. La tension ne retombe que pour faire place à l'anxiété, même si le disque ne manque pas d'énergie et qu'on danse assez souvent au final. Le plus noir se retrouve à la fin, avec les voix et percussions de “Seaweed” (déstabilisantes au point de me faire peur) et le soupir final de “Notice of Eviction”. Un disque fort, que j'ai sans doute moins écouté que celui avec Reznor mais qui me tient à cœur.



Recommandation techno du mois : Silence de Monolake.

Monolake, c'est un nom incontournable, un projet qui n'est pas loin d'avoir la même réputation “deutsche Qualität” dans son genre que Basic Channel dans le domaine de la dub techno. Cinemascope était ainsi un album d'ambient techno irréprochable avec ses beats urbains et ses nappes presque aquatiques, Momentum peut-être encore meilleur avec un son plus âpre, percutant et texturé, l'étendue atmosphérique des trente-sept minutes de Gobi valait aussi le détour dans un autre genre.

Silence est moins accompli, moins parfait que ces disques-là, mais il n'en est pas moins intéressant ; Robert Henke joue d'une sensibilité particulière, de contrastes, d'un sentiment d'instabilité parfois qui transparaît à travers les beats bien rodés. L'électronique côtoie les sons naturels, comme ces sons métalliques de pluie sur “Watching Clouds”, ce vent sur “Infinite Snow”, ou ces beats doux comme des gouttes d'eau sur “Void”…

Un moment marquant et assez représentatif : “Null Pointer”, avec ses beats très propres mais un peu sombres et en retrait, ses nappes en arrière-plan qui ont quelque chose d'anxieux et de mélancolique, sa mélodie métallique lumineuse et sa voix robotique qui récite un texte technique parlant des conditions de sécurité, des protocoles à suivre blablabla… avant de se mettre, sur quelques notes à la fin, à le chanter, une humanisation de la voix robotique, un exact opposé de l'autotune.

Silence est un disque qui aurait pu être sombre, qui a des éléments sombres, mais qui dans l'ensemble ne l'est pas. Il aurait pu être froid mais ne l'est pas non plus. Il me plaît.



Et puis j'ai, depuis plusieurs semaines, un gros coup de cœur pour The Queen Is Dead des Smiths. Mieux vaut tard que jamais !

mercredi 9 mars 2016

블랙데이


En Corée du Sud, il existe un jour spécial pour les célibataires, qui s'appelle le “Black Day”. C'est une sorte d'anti-Saint-Valentin : on s'habille en noir, on mange des trucs noirs (surtout un plat de nouilles avec une sauce sombre qui s'appelle “jajangmyeon”), et on se plaint entre célibataires.

( 14 février : Saint-Valentin : les femmes offrent du chocolat aux hommes qu'elles aiment. /// 14 mars : “White Day” : les hommes offrent des cadeaux (ou du chocolat) en retour aux femmes qui leur ont offert du chocolat. /// 14 avril : les célibataires s'habillent en noir et mangent des nouilles. )

J'ai l'impression que l'idée originale est plutôt de remuer le couteau dans la plaie… Mais je n'aurais rien contre une vraie « fête noire », sans honte ni tristesse, où on célébrerait tout ce qui est noir et les plaisirs solitaires/célibataires. Genre une soirée black metal ou musique noire + alcool noir (ça doit exister) + pyjamas noirs + jeux de plateau entre potes…

Et pourquoi pas des fêtes pour les autres couleurs aussi, avec d'autres associations ?

mardi 8 mars 2016

Mégalophobie


Parmi les (rares) cauchemars qu'il m'arrive de faire la nuit, il y a ceux où je me retrouve face à des bâtiments gigantesques. Une impression de vertige, de vraie peur face à ce gigantisme monstrueux ; d'une taille que je n'arrive pas à évaluer, en fait, un peu comme si mon cerveau paniquait et buggait.

Je me rappelle que, dans mon enfance, la grandeur du monde était agréable : aller dans un quartier inconnu, explorer le grenier pouvait ressembler à une aventure, on pouvait se cacher dans les buissons… Mais il y a la grandeur à taille humaine et celle qui ne l'est plus ; et surtout un quartier, un grenier, c'est vivant, plein de détails, pas comme un mur de métal ou de béton tout lisse qui ne laisse aucune prise. (Seules les piscines et leur grand bain avaient un petit côté angoissant, et encore, j'ai toujours aimé ça.)

C'est de la curiosité morbide, mais je me demande comment je réagirais si je me retrouvais sur le strip de Las Vegas. Cet endroit a l'air fascinant par sa démesure, son exubérance, et surtout sa complète artificialité. Je m'y sentirais sans doute mal à l'aise, mais je crois que ça serait aussi une expérience mémorable.

… Ou peut-être que ça me décevrait, parce que j'ai dans ma tête une image de Las Vegas qui ne ressemble sans doute que très peu au vrai. J'imagine une ville-parc d'attractions démente, impossible à parcourir à pied, avec des casinos, bars-restaurants et salles de spectacles démesurés, pleine de néons et de copies de monuments célèbres, où tout se donne en spectacle, où la vie s'efforce de ressembler tant bien que mal à un fantasme.

Et encore, ça, c'est sans imaginer les gens… quand je me mets à imaginer les personnes qui y vont et qui y vivent, je crois que j'imagine l'un des pires aspects du rêve américain, et là je n'ai même plus de curiosité morbide, ça me donne envie de ne jamais mettre les pieds là-bas.

(Après ces divagations, j'ai cherché un article pour me détromper un peu et savoir de quoi il retournait vraiment. Apparemment, la réalité n'est pas si éloignée des clichés que ça…!)