mardi 28 juillet 2015

♪ 35 : La Mort Malade Rêve de Nœuds Divins et de Corps Illusoires

Andrea Belfi est un batteur et compositeur de musique électro-acoustique. Mais pas du genre Stockhausen, Xenakis ou Parmegiani (ni même Marchetti dont j'avais parlé l'autre fois) ! Disons qu'il joue plus clairement, et avec un sens plus aigu de la composition, ce que de nombreux artistes qui tournent autour de l'ambient et du post-rock évoquent avec un certain flou artistique de facilité. Une musique intéressante mais immédiate.

Sur l'EP Knots, on a affaire à un « minimalisme dense » tout de suite prenant, avec les percussions au premier plan, quatre parties bien différentes qui partagent une même base… Je l'ai écouté en boucle plein de fois. Wege est plus complexe et plus difficile à cerner immédiatement mais également excellent ; il y a plus de musiciens impliqués, six ou sept mots en plusieurs langues qui reviennent comme un leitmotiv, un système de feedback inspiré par Pendulum Machine de Steve Reich. Les deux sont vraiment bons, j'en écouterai d'autres encore. L'artiste décrit ses démarches et compositions sur son site, je vous invite à y jeter un œil (même si la mise en page du texte laisse à désirer).

(… Et cette description ne me convient pas vraiment, parce que je ne dis rien du ressenti que j'ai en écoutant la musique. Du coup j'ai voulu lire d'autres critiques, mais toutes celles que j'ai trouvées tombent dans le vague ou la description linéaire, ce qui ne m'aide pas. Parfois j'ai l'impression qu'il y a des musiques qui ne se traduisent pas en mots.)


Salut, il y a un mec qui est en train de réinventer Swans, avec un son plus clair et plus dépouillé, en partant de l'americana* et en déconstruisant ce genre pour arriver à une musique crue, squelettique, répétitive sans être froide. Ce type s'appelle Jon Mueller et son projet s'appelle Death Blues. Un projet multidisciplinaire, avec de la musique, des textes, des vidéos… Le thème est terriblement classique : prendre conscience de l'inévitabilité de la mort pour vivre le moment présent plus intensément. C'est le résultat qui est intéressant. Quatre albums, chacun avec une approche différente.

I. Death Blues, le premier album, est l'interprétation la plus simple et directe du projet. Des chansons rythmées mais vidées de paroles, un sentiment de spleen brut. Ni vraiment abstraites ni classiques dans leur écriture, les pistes sont dans une sorte d'entre-deux… C'est déjà un disque intéressant, mais je crois que c'est celui que j'aime le moins des quatre (les pistes se ressemblent un peu trop, on peut rester sur sa faim). Au fait, quand j'ai dit que Death Blues ressemblait à Swans, c'était subjectif — mais j'ai appris par la suite que Jon Mueller aurait effectivement collaboré avec le groupe ! L'inspiration est assez évidente ici. Elle l'est nettement moins dans les disques suivants.

II. Here: An Advanced Study of Death Blues dégraisse encore le son pour ne laisser que percussions et voix, sur un monopiste de quarante minutes impressionnant. Les percussions sont sauvages. Le chant est un bégaiement effréné incompréhensible, un langage réduit en charpie. Les chœurs en arrière-plan répètent de longs cris ou un seul mot. On a l'impression d'un rituel, d'une transe macabre, sans aucun exotisme. Je ne connais aucun autre disque qui ressemble à ça. Il fut tiré à 500 exemplaires, tous donnés gratuitement lors de concerts (dommage, je l'aurais volontiers acheté).


III. Non-Fiction contient deux longues pistes répétitives, basées sur un rythme puissant sur lequel se rejoignent plusieurs voix (plusieurs types de chant non verbal), plusieurs guitares, plusieurs percussions. Deux grandes montées en puissance à écouter fort, un autre disque très marquant. Peut-être mon préféré des quatre.

IV. Ensemble, le dernier album, se présente comme une culmination du projet, mais j'y entends avant tout un grand changement de direction. Plus trace de minimalisme ici : le son est extrêmement riche, avec de nombreux musiciens, des instruments qui viennent d'horizons divers, c'est une symphonie qui semble vouloir faire entendre autant de sons et d'émotions que possible. Flûte, percussions, saxophones et guitares, contemplation, joie, tendresse et mélancolie… Ce qu'on avait entendu sur les disques précédents est à moitié effacé, comme les fondations d'un bâtiment après sa construction. C'est beau, et souvent beaucoup plus positif que les trois autres albums.

Bref, je ne saurais trop vous conseiller de vous intéresser à ce projet. Prenez les quatre disques, ça vaut le coup de les comparer ! Mes préférés sont Here et Non-Fiction, mais je pense que vos préférences dépendront de vos goûts personnels. (Ils ne sont pas très longs, 30-40 minutes chacun.) Plus d'informations et les textes à lire ici : http://www.deathblues.com

* Je précise que je ne connais absolument rien au sujet de l'americana, du coup je rate peut-être des inspirations ou des points de référence.


D'ailleurs, en parlant de Swans et de post-rock… Si vous aimez les passages post-rock et drone de Soundtracks for the Blind et que vous en auriez voulu davantage, je vous conseille d'écouter The Body Lovers / The Body Haters. Ce sont deux projets solo de Michael Gira, sortis en 1998 et 1999, qui se concentrent sur ces aspects les plus abstraits de sa musique… Une seule phrase est prononcée de tout le disque, il y a peu de mélodies. Deathprod, Mika Vainio (Pan Sonic), Jarboe et James Plotkin entre autres y participent, dans le sens où ils ont donné des enregistrements réutilisés ensuite par l'artiste, mais c'est un album de studio pur, joué après que tout le monde ait quitté la scène. J'imagine bien Gira, seul, le visage imperturbable, en train de manipuler tout ça dans son studio pendant des heures au milieu de la nuit.

The Body Lovers est donc un album très introspectif, un collage de nuances inquiétantes, tourmentées mais aussi contemplatives, comme un post-scriptum secret. The Body Haters (deux fois plus court) est plus aggressif, métallique, dark ambient/industriel et même noise à la fin. Si vous aviez envie d'entendre Gira faire un album de noise music… on est proches, là !


Brian Eno pensait l'ambient comme un type de musique qui serait aussi pertinent qu'on l'écoute avec attention ou simplement en fond sonore. En pratique, même si j'aime beaucoup ce genre, peu d'artistes y parviennent vraiment ; nombreux ceux qui font simplement de la musique d'arrière-plan en étirant des drones, ou de « milieu de plan » avec des compositions simplistes…

Pourtant il y a un moyen simple d'arriver à l'idéal d'Eno (auquel lui-même n'est pas toujours arrivé) : superposer les nappes atmosphériques et d'autres éléments qui, eux, demandent l'attention. Ambient + lowercase par exemple. Keith Berry, après son superbe The Golden Boat, a suivi ce chemin-là sur les excellents The Ear That Was Sold to a Fish et A Strange Feather ; et si son dernier album (Towards the Blue Peninsula) était en-dessous, on peut se tourner vers France Jobin, qui a une démarche similaire. Je vous conseille donc The Illusion of Infinitesimal, sorti chez Baskaru (c'est un label français) ! C'est une musique très paisible et contemplative mais loin d'être plate, tous les éléments sont intéressants. Si vous aimez, vous pouvez continuer avec Valence, sorti chez Line, le label de Richard Chartier. Cet album-là est plus froid et minimaliste. Les deux sont très beaux.


Donc, euh… Imaginez vous les limbes, l'inframonde, les catacombes. De grandes salles sans vie et sans lumière, bref, un univers glauque et monochrome, d'une solitude terrible. Imaginez-vous que, dans ce monde, un squelette trouve un synthétiseur et qu'il commence à en jouer pour faire la fête. Le son est pourri, mais ça danse quand même. Du-du-di-du-di-dududu, poum-tchac-poum-tchac, du-di-du-du-du.

C'est un peu ce à quoi ce disque me fait penser : Divin, un album de synthé minimal lo-fi sorti en 1981 par un duo japonais du nom de Tolerance. (Je ne comprends pas du tout ce choix de noms, ça ne colle en rien à l'impression que j'ai en écoutant la musique !) Au début je n'ai pas aimé, il m'a fallu un moment pour rentrer dedans. Maintenant j'aime bien. À classer dans la catégorie des disques que j'aurai envie d'écouter uniquement dans des conditions très spécifiques.


L'illbient est un courant qui est resté assez restreint ; on peut même parler d'une scène (à Brooklyn, au milieu des années 90) plutôt que d'un genre bien défini et entièrement développé. Ses artistes principaux se comptent sur les doigts de la main (DJ Spooky, DJ Olive, Byzar, We™, Sub Dub…). C'était un type de hip hop instrumental expérimental, avec des influences drum'n'bass et dub, un son très urbain — et qui, avec des influences et inspirations similaires, prenait le contrepied de la sensualité planante du trip hop. Soit un son beaucoup rêche, plus abstrait. Plus ou moins sombre et plus ou moins ambient selon les disques.

Un album que j'aime bien dans le genre, c'est Songs of a Dead Dreamer de DJ Spooky. Des beats qui se défilent, qui cachent leur jeu ; on peut avoir l'impression d'entendre un enchaînement d'intros étranges avant de capter le truc (les pistes rythmées y sont aussi pertinentes que les interludes) ! C'est un disque insidieux, décalé, qui peut donner l'impression d'enchaîner les pistes anecdotiques et qui en fait tisse une toile dans laquelle on se perd, et de laquelle on s'étonne de sortir au bout d'une heure vingt.

J'ai écouté trois autres albums de lui pour le moment : Optometry, en collaboration avec le groupe de jazz expérimental Blue Series Continuum, m'a fait une très bonne première impression, Riddim Warfare est bon aussi mais plus axé hip hop classique… Quant à The Quick and the Dead, en collaboration avec Scanner (un autre artiste que j'aime beaucoup, dans un autre genre), c'est un album expérimental concis très dense et insaisissable, qui surprend à tout moment.

Sinon, pour rester dans l'illbient, As Is de We™ est carrément bon — et plus accessible. Nettement moins de jeux d'ombres et de chausse-trappes ici, mais des beats cool, rythmés et variés, avec beaucoup de drum'n'bass et un côté IDM qui n'est pas sans rappeler certains disques de Download. We™, c'est un trio composé de DJ Olive, Lloop et Once11. (Et c'est encore moins compatible avec Google que The The.)

lundi 27 juillet 2015

Présentation thématique en cinq parties : Yamatsuka Eye, artiste multidisciplinaire révolutionnaire

Salut, j'ai écrit un dossier sur un artiste que j'aime beaucoup : Yamatsuka Eye, aussi connu sous le nom de Yamantaka Eye.


Cliquez sur le magnifique portrait de Yamatsuka ci-dessus pour le lire ! Ou ici si ça ne marche pas. Paix et bonheur sur vous.

lundi 20 juillet 2015

Lignes 43745 à 43749 du Cahier P des Préceptes d'Itayaxa

[…]

Si tu voyages, n'oublie pas d'emporter plusieurs boussoles. Celle qui indique les points cardinaux qu'il y a sur ta carte, bien sûr, mais aussi la boussole à sol qui indique le sol (utile si tu te retrouves en apesanteur ou si la gravité est en grève), la boussole à toilettes, et celle qui indique les divinités locales — surtout celles à éviter.


Évite celles qui prétendent indiquer le sens de la vie, c'est une arnaque.

[…]

lundi 6 juillet 2015

Trois jours à Dublin


(1) Je ne dirais pas que c'est une belle ville, la faute au quartier central de Temple Bar — un amoncellement criard et trépidant de boutiques à touristes, de bars et de restos, avec la foule partout. Un peu plus loin par contre, genre au sud, c'est nettement mieux ! Beaucoup de maisons en briques, comme on s'y attendrait au Royaume-Uni. Et beaucoup de choses à voir : les trois journées étaient bien remplies et il y avait encore eu pas mal de lieux, musées etc. à visiter si on avait eu plus de temps.

(2) La Chester Beatty Library (un musée consacré aux livres et manuscrits illustrés, dessins, gravures, peintures etc... du monde entier) est vraiment superbe. En plus, l'entrée est gratuite. Allez la voir, vraiment ! (Je n'ai pas pris de photos parce que c'était interdit, mais vous pouvez en trouver deux ou trois sur internet.)

Ça, c'est la librairie du Trinity College, où on peut aussi voir le Book of Kells.
Entrée payante et plutôt chère (dix euros). Mais c'est classe.

(3) Contrairement à Edinburgh il y a quelques années, on n'a pas vu de type bourré qui braillait “Wonderwall” d'Oasis torse nu en marchant en milieu d'après-midi. Par contre on a vu un mi-nain qui jouait très mal du violon. Puis on l'a revu quelques heures plus tard et il jouait toujours aussi mal. J'espère qu'il va s'améliorer, parce que depuis le temps, le mec bourré d'Edinburgh a eu le temps de dessaoûler et de se rhabiller.


(4) Si vous avez envie de voir la mer, la ville-péninsule de Howth est jolie et très facilement accessible en train DART (sept euros aller-retour, des trains toutes les demi-heures toute la journée). Le mieux à faire sont les balades qui font le tour de la péninsule, ce n'est pas vraiment un endroit où se baigner.

(5) J'avais envie de voir un peu de campagne irlandaise aussi, donc on est allés à Glendalough mercredi. La « vallée des deux lacs » en gaélique, un superbe endroit avec des ruines (église, monastère, tour) datant du VIe siècle, de la forêt, des collines, une petite cascade, et même des falaises un peu plus loin... Il y a neuf promenades qu'on peut suivre, un village de mineurs en ruine au bout, une petite cascade. Une compagnie de bus privée assure le trajet depuis Dublin, mais attention : il n'y a qu'un trajet aller et un trajet retour par jour, départ à 11h30, retour à 18h et juste trois heures et demie là-bas (ce qui suffit pour faire une ou deux des balades courtes, mais pas toutes). Ça vaut vraiment le coup quand même si on aime la nature, surtout pour respirer un coup après le chaos de Temple Bar !


(6) J'avais envie d'aller goûter les bières de la Porterhouse Brewing Company, qui a deux pubs au centre de Temple Bar et fait paraît-il de très bonnes porters et stouts... Mais finalement on est allés deux fois au Vintage Cocktail Club. Parce que bon dieu, regardez-moi cette carte ! Même à douze euros le cocktail, c'était trop tentant pour ne pas avoir envie d'en goûter plein. Je vous conseille particulièrement le Pale & Crow, et l'Antipodean je-ne-sais-plus-quoi-il-n'est-pas-sur-internet. (Sans internet, le bar serait secret : la façade n'indique absolument rien qui puisse laisser croire que c'est un lieu public, juste les trois lettres “VCC” sur une porte noire où il faut sonner !) Avec un peu de chance, je trouverai les bières de la Porterhouse en bouteille en France... Sinon tant pis, ce sera pour une prochaine fois.

Il faut rester levé toute la nuit pour comprendre cet éminent savant, il paraît.
Rester éveillé toute la nuit jusqu'au soleil.

(7) Niveau bouffe, franchement, je ne sais pas si on a eu de la chance (qui sait à quel point on peut faire confiance à TripAdvisor) ou si les Irlandais sont des fines gueules, mais tout ce qu'on a mangé allait du bon au délicieux. Donc je vous recommande : la soupe poivron-fenouil épicée au Soup Dragon, les scones au chocolat ou à la framboise de Queen of Tarts (leurs gâteaux sont réputés aussi), les glaces parfaites de chez Murphys (ils font même goûter des mini-mini-pots quand on fait la queue !), les chocolats de Bean and Goose (originaux et très bons) et encore plus ceux de Cocoa Atelier (classiques et remarquables), le resto végétarien Cornucopia, le rijsttafel au Chameleon, les gâteaux britanniques traditionnels (sticky toffee, carrot cake etc) du monsieur qui fait des gâteaux au Green Door Market... et le “brown bread” traditionnel, un pain complet levé au bicarbonate de soude qui change vraiment des pains qu'on peut trouver en France.

(8) On a visité la distillerie de whisky Teeling aussi. C'était pas prévu, mais au final c'était agréable ; leurs whiskies sont bons, les gens sont sympathiques, et même si je connaissais déjà le procédé, c'est toujours cool de voir comment ça se fait en vrai. Vingt euros la visite avec dégustation de trois variétés ensuite (ou quatorze si vous préférez un cocktail).

(9) Admirez donc cette petite chenille qui se dandine :



et ce zozio qui mange des coquillages :


J'ai aussi pris en photo une mouette, cinq pigeons et une biche et son petit si vous voulez.

(10) Les feux rouges pour piétons à Dublin, c'est n'importe quoi. Passez au rouge, c'est ce que tout le monde fait.

(11) Après deux-trois jours de ville, j'ai toujours super mal aux pieds. Tellement qu'une nuit de sommeil ne suffit pas pour que je récupère. Mes pieds sont nuls, je ne marche sans doute pas assez le reste du temps, je ne sais pas.

(12) Il y a une gigantesque aiguille de 120 mètres de haut (avec une pointe lumineuse au bout) au milieu d'O'Connell Street (une énorme rue sans charme, genre Temple Bar mais avec un côté banlieue de gare aussi). Au début on ne l'a pas vue parce qu'elle est tellement grande et qu'il y a tellement de choses à côté... Ça aurait été rigolo de se cogner contre en regardant ailleurs, tiens. Les autoch-tones lui ont trouvé plein de surnoms rigolos : “the Stiletto in the Ghetto”, “the Rod to God”, “the Pin in the Bin”, “the Stiffy at the Liffey” (Liffey étant le nom du fleuve qui traverse la ville), “the Erection in the Intersection”, etc.


(13) Pas mal de musées à Dublin sont gratuits, mais il faut payer pour visiter les églises. Ça vaut le coup pour Christchurch, pas tellement pour la cathédrale Saint Patrick j'ai trouvé.


Bref, Dublin, c'est cool. Je pense qu'on peut y passer cinq à sept jours sans problème, si on va un peu à l'extérieur aussi.