vendredi 25 janvier 2019

♪ 77 : L'air de ma montagne personnelle est pharmaceutique

Plux Quba de Nuno Canavarro est une terre presque sauvage, en dehors de tout courant ; ce disque date de 1988 mais pourrait tout aussi bien être sorti vingt ans plus tôt ou vingt ans plus tard. Il est peuplé d'espèces acoustiques et électroniques étranges et charmantes, c'est expérimental, parfois atonal, mais parfois aussi très harmonieux, ça n'a rien de prétentieux ou d'intimidant. On peut entendre des voix chuchotées — mais ne me demandez pas en quelle langue… (si ça se trouve c'est simplement du portugais et j'imagine du mystère là où il n'y en a pas !) Au bout d'un moment, les présences humaines se font civilisation, il y a des chants, des musiques plus enfantines ou du moins candides. Et du silence parfois. La moitié des pistes seulement ont un titre. C'est inclassable.



… Et bien que Plux Quba a la réputation d'être unique, je trouve que 鯰上 (On the Quakefish) de Sugai Ken s'en rapproche pas mal ! Un univers un peu plus proche de civilisations connues et plutôt nocturne, mais avec le même mélange énigmatique et séduisant de dissonances et d'harmonies. Plein de jolies petites boucles, de carillons, quelques fragments inspirés de musiques japonaises traditionnelles il me semble. Il ne faut pas avoir envie de grands développements, mais si on aime l'exploration, c'est un très bon disque.

(Quant à 岩石考 -yOrUkOrU-, EP sorti cette année, il se rapproche plus de certaines musiques concrètes. Intéressant aussi mais je lui préfère On the Quakefish.)




Ça remonte maintenant, l'époque où j'avais écouté les débuts du vaporwave et trouvé ça naze. Pharma de Nmesh, c'est du sérieux — autant au niveau de la qualité que du ton. Quitte à vivre dans un monde qui ressemble de plus en plus à une dystopie de science-fiction saturée de stimuli et où la connexion est devenue obligatoire, autant s'y préparer ; on est loin des bidouillages nostalgiques ou ironiques ici, le son est travaillé, personnel, plutôt sombre et même mordant. On trace son chemin à travers la jungle de néon, la route est tortueuse et psychédélique, et pourtant on ne s'y perd pas — tout est net, il y a toujours des rythmes, mélodies, boucles comme autant de guides pour ne pas sombrer dans la noirceur et l'angoisse. Et j'ai l'impression qu'on se prépare à un conflit ou quelque chose du genre. (Si la tracklist excessive vous intimide, sachez que le disque original ne contient « que » vingt-six pistes, c'est beaucoup mais pas trop. Vous pouvez laisser les remixes qui suivent de côté pour le moment.)



Felt Mountain de Golfrapp me suit depuis longtemps. La dance pop à paillettes de leurs disques suivants (Black Cherry et Supernature) me séduit plus facilement, c'est plus mon style ; la pop aérienne que le groupe a sorti ensuite (Seventh Tree, Tales of Us) est agréable aussi… mais ce sont les chansons de Felt Mountain qui sont les plus mémorables et ont la personnalité la plus intéressante. Qui n'est pas si évidente à décrire, d'ailleurs — ça me fait penser à une atmosphère de film plus qu'autre chose (mais quel film ?), séduisant mais avec une dose d'étrangeté, pas vraiment de noirceur mais presque, et quelque chose de pastoral comme dans les photos du livret alors même qu'il y a beaucoup de sons synthétiques là-dedans. D'ailleurs il n'y a que le son un peu bourdonnant du synthé que je reproche à “Utopia”, chanson géniale qui évoque le transhumanisme.

Sinon, le dernier, Tales of Us, est pas mal. De très beaux arrangements, une élégance urbaine qui n'est pas pour me déplaire, un mini-concept (chaque piste parle d'une personne différente — joli petit détail, la tracklist est écrite en autant d'écritures manuscrites différentes). Seulement, après trois écoutes, il n'y a qu'“Annabel” dont je me souviens vraiment. Une chanson a-t-elle besoin d'être accrocheuse pour être réussie ? Sans doute pas, et Tales of Us vaut l'écoute, mais perso, mon deuxième disque préféré de Goldfrapp, c'est Supernature. Celui avec le plus de danse et de paillettes.



Le disque récent avec lequel j'ai passé le plus de temps : Air Texture Volume VI, une compile de pistes inédites sélectionnées par Steffi et Martyn. Qui a des airs d'années 90, quand l'IDM commençait à émerger de l'ambient techno et que le futurisme faisait rêver. C'est aussi rythmique qu'atmosphérique (donc parfait pour écouter en musique de fond en lisant un bouquin — et se trémousser en lisant ledit bouquin), avec de vraies perles comme les pistes de 214 et As One sur le CD 2, ou dBridge & Lewis James puis Tracing Xircles sur le CD 1… Des artistes que j'avais déjà écoutés faire de la bass music, parce qu'il y a de ça aussi dans ce disque, simplement avec un ton posé qui ne rappelle que très peu les tendances contemporaines plus agressives et dissonantes. Air Texture VI ne révolutionne absolument rien, mais ce sont deux heures quinze qui me plaisent sacrément.



OK, le punk n'a jamais trop été ma tasse de thé, mais Personal Best de Team Dresch me touche. Parce que c'est assez proche du noise rock et que j'aime le noise rock, parce que j'aime la voix de la chanteuse, parce que c'est du queercore, que ce disque a quelque chose à dire, que les paroles ont assez de détails pour ressembler à une œuvre « tranche de vie » (j'adore les BDs de ce genre), parce que je déteste aussi la droite chrétienne, parce qu'il y a de vraies chansons d'amour là-dedans qui sont émouvantes et pas mièvres (et que c'est le seul type d'amour que j'aime imaginer parce que je n'ai jamais cru une seconde aux chansons écrites pour séduire genre « tu es tout pour moi » bla bla bla), parce que même s'il y a des pistes qui ne me font pas grand chose sur ce disque alors qu'il est vraiment court, il y a ne serait-ce que ce passage dans “She's Amazing” qui transcende tout, la force de ce son de guitares saturées, ces mélodies et ce chant sous le coup de l'émotion sans en rajouter, ça me donne des frissons et la larme à l'œil, ne me demandez pas pourquoi.