dimanche 31 décembre 2017


En 2018, sans réfléchir, je résous de :

 · manger au moins un kiwi (le fruit, pas l'oiseau), probablement davantage
 · arrêter de paniquer pour de mauvaises raisons
 · continuer de ne pas paniquer pour de bonnes raisons ?
 · militer pour la reconnaissance de la bêtise humaine, y compris la mienne
 · jouer une note sur un instrument à cordes — ou sur une corde à linge si je n'en trouve pas
 · être une personne moins désagréable
 · perdre moins de temps
 · mais en perdre quand même un peu
 · mais moins
 · continuer à écouter de la techno
 · découvrir au moins trois genres qui ne sont pas de la techno
 · m'améliorer en dessin
 · faire voler un cerf-volant si l'occasion se présente
 · nager quelques longueurs, et aussi quelques largeurs
 · ne pas détruire le monde.

jeudi 21 décembre 2017

♪ 64 : La mère des douze poupées aux langues de feu

Le premier album d'Ariadne, Tsalal, était déjà impressionnant : un contraste intense entre un chant lumineux et solennel inspiré par la musique sacrée, et du dark ambient distant mais monstrueux qui, parfois, déformait tout. Entre les deux éléments, un vide glaçant, six longues pistes qui faisaient ressentir autant de beauté que de noirceur et de solitude.

Sur Stabat Mater, la figure angélique a plongé dans les enfers et nous y entraîne. Douleurs, osmose paradoxale, oppression, jeux de miroirs et illusions — c'est un cauchemar effrayant et magnifique. Les pistes sont courtes, la tension quasiment insoutenable.

Ce grand écart entre musiques anciennes et glitch ultra-contemporain est unique à ma connaissance ; on la retrouve dans les paroles aussi, adaptées d'écrits de Hildegarde de Bingen, Thérèse d'Avila… et d'Aase Berg, une poète surréaliste contemporaine. L'album s'accompagne d'une série de vidéos en vue subjective, de quoi plonger encore plus dans le cauchemar.




Je peux remercier flyingwill du forum RYM pour m'avoir fait découvrir DOLL$BOXX, un groupe de cinq japonaises qui joue du power trance metal. Leur EP High $pec commence de manière fulgurante : un riff synthétique acide, une guitare tonitruante, un cri infernal qui enchaîne direct avec un chant parfaitement clair, autant de claques en trente secondes ! La maîtrise technique des artistes metal se perd parfois dans des esthétiques ostentatoires (voire ridicules) ou qui tournent à vide, mais ici, les chansons sont aussi accrocheuses que de la pop. High $pec ne fait que cinq chansons mais ces chansons sont du tonnerre.




“Comme c'est éclectique.” Note : 1/5. Parfois, il y a des critiques qui me donnent envie d'aller à leur encontre, et en l'occurence j'ai très bien fait.

Bon, je l'aurais probablement écouté de toute façon, ce disque, parce que je suis en train d'éplucher le catalogue de mixes de Fabric et que celui-là est signé Jacques Lu Cont (Stuart Price), le mec qui a signé Darkdancer*. Fabriclive 09 est assez excentrique et carrément addictif, un mix house qui inclut le plus possible de titres pop et rock des années 80 et 90 ; la quantité de hooks là-dedans est incroyable. Et quand il pêche, ce n'est ni par manque d'inspiration ni par baisse de régime, c'est plutôt par audace mal placée avec des idées qui ne fonctionnent pas ; ce qui s'entend d'autant plus mais ajoute presque au charme du bidule. À la fin, la transition de “Snowball” de Devo à la génialement crétine “I Wanna Rock!” de Junior Sanchez (GUITARE ÉLECTRIQUE!!!!!) est parfaite — et l'enchaînement suivant sur “Gouge Away” des Pixies l'est presque autant. Price écorne sa dernière excellente impression en rajoutant “Here Come the Warm Jets” de Brian Eno en post-scriptum, piste qui n'avait vraiment rien à faire là, mais tant pis ; restent de sacrés bons moments et l'envie d'y retourner.

* Du projet Les Rythmes Digitales, un très bon album de French house / electro house.




Anna Wise, je l'ai entendue la première fois comme choriste¹ chez les CunninLynguists, puis chez Kendrick Lamar². Elle sort en solo The Feminine, une série d'EPs de pop féministe avec assez d'influences hip hop pour devenir du R&B. Le premier volume est plus court, léger et immédiat, qui vaut le coup ne serait-ce que pour “Go” (chanson de rupture carrément accrocheuse — et la seule chanson qui ne soit pas ouvertement engagée) ; le second est plus abouti, plus sérieux et grave dans ses sujets aussi (et utilise, dans la piste la plus entraînante, ces synthés funk oscillants des années 80/90 que j'adore). Je ne sais pas s'il y aura un troisième, mais ce ne serait pas de refus.

¹ … Sauf que ça ne colle pas très bien, « choriste » quand il n'y a pas de chœur, si ? Chanteuse d'arrière-plan ? Chanteuse additionnelle ?

² Je n'ai toujours pas écouté son dernier disque d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi, ça ne me motive pas. Peut-être parce qu'autant sur good kid, m.A.A.d city que sur To Pimp a Butterfly, il y a des parties assez géniales et d'autres qui me lourdent.




En parlant de rap et de féminisme, je vous recommande aussi The Journey Aflame d'Akua Naru, un album de conscious hip hop avec des beats jazzy et un flow calme qui ne manque pas de rythme pour autant. C'est classique dans le style, d'un très bon niveau, et une présence assez marquante pour donner envie d'y revenir. Parmi les pistes qui se démarquent, il y a la tragique, douce et entraînante “The Block”, “The Journey” (plusieurs chapitres d'histoire en quatre minutes trente), le final étonnamment funky “Rhyme Writer's High”, et celle qui m'a donné envie d'écouter l'album à l'origine : “Poetry: How Does It Feel?”, trop intime et sensuelle pour être encore du rap, c'est du jazz avec du spoken word. J'aurais aimé trouver tout un album comme ça, mais je n'ai pas perdu au change.




« J'aime écouter des langues que je ne comprends pas. J'aime le moment où la compréhension des mots s'arrête et où chaque langue commence à “faire du bruit”. Toutes les langues ont un son spécifique, et certaines ont, plus que d'autres, des caractéristiques acoustiques particulières qui me ravissent en tant que musicien. »

Ainsi Alessandro Bosetti a créé Zwölfzungen, série de douze « portraits de langues » qu'il ne comprend pas. Sur chaque piste il y en a parfois une, parfois deux, dont un obscur dialecte germanique, une langue sifflée, des langues africaines avec des clics (claquements de langue)… et les accompagnements musicaux sont aussi variés, des musiques expérimentales parfois ambient, parfois étranges, ludiques et qui n'ont (bonne idée) rien à voir avec les régions d'origine des langues.

À ma toute première écoute, j'ai trouvé Zwölfzungen intéressant mais fatigant voire agaçant par moments (les deux Basques et leur “ak ak ak ak”…). Dès la deuxième, j'ai trouvé ça drôle et vraiment réussi. Il y a une absurdité et une candeur réjouissantes dans ce projet (jusqu'à la dernière piste, qui fait exception aux règles des précédentes et dont je vous laisse découvrir le truc). Si les langues ne sont pas là pour être comprises, les rares pistes où j'ai pu comprendre des bribes sont aussi celles que j'ai préférées — notamment celle en créole haïtien (très proche du français) qui a une sacrée énergie bizarre.

Je dois cette découverte au club de musique expérimentale sur RYM, qui est mort mais m'a fait découvrir pas mal de bons disques ! C'est aussi par lui que j'avais découvert la version d'In C par Africa Express et Hand in Hand de Félicia Atkinson.

(→ Hexaitis)

mercredi 20 décembre 2017

Joyeux solstice !

Pourquoi ne pas changer un peu ? Voyons ce qu'il y avait avant ce sempiternel Père Noël, ce gros apôtre de la consommation de masse aux couleurs de Coca-Cola, et cherchons un peu plus loin dans nos traditions païennes ! En plus, le solstice c'est une date qui a du sens, pas une déterminée arbitrairement comme le 25 décembre.


Illustration : Robert Seymour, 1836.


Voici une image d'un Père Noël plus ancien, qui monte un bouc et apporte un grand bol de cidre chaud. Je ne sais pas pourquoi il a un bébé aussi, mais c'est probablement pour une bonne raison !


Illustration : Bonnier Carlsen (?)


Avant le Père Noël et même avant l'ère chrétienne, dans les pays scandinaves, c'était le Julbock (bouc de yule, la fête qui est devenue noël) qui apportait des cadeaux !


Illustration : ?

Pas mal non plus, non ?


? : ?


Je ne sais pas trop ce qui se passe là au juste, mais je suppose que c'est toujours lié aux anciennes traditions païennes..? En tout cas, ce n'est plus aujourd'hui qu'on ferait ça !

Allez, joyeuse fête du solstice, et n'oubliez pas de mettre le feu à votre bûche ! D'après internet, si vous y rajoutez du nitrate de potassium, du borax ou du sulfate de cuivre, vous pourrez même y ajouter des couleurs ! C'est probablement dangereux et peut-être interdit !  (✿◠‿◠)

samedi 25 novembre 2017

♪ 63 : Le centre infini se brise en étincelles dans le vide cosmique

Sparks Fly Upward de l'Alex Cline Ensemble commence sur une piste éparse, douce et chaude ; la deuxième piste dérange déjà plus avec ses dissonances et percussions rapides en contraste avec les autres instruments. Sur la piste-titre, on atteint carrément le sublime, avec la froideur de ses silences et de ses espaces, son tempo lent, la beauté solenelle de ses mélodies et de son chant… à écouter par une journée froide et solitaire. Elle fait une demi-heure et est dédicacée à Andreï Tarkovski ; les paroles sont tirées de son journal intime (d'ailleurs toutes les pistes sont dédicacées). Suivent les brûlantes percussions d'“Arroyo Taiko” et “Audacity”, et le final “Sonnet 9” qui rappelle de nouveau la lenteur et la beauté de “Sparks Fly Upward”, en plus calme. Ça peut paraître hétéroclite, mais ça fonctionne très bien. C'est le troisième disque que j'écoute avec Alex Cline, il a une sensibilité minimaliste qui me plaît beaucoup. Il est batteur et compositeur. Ah oui, et c'est du jazz (avec des allures de musique de chambre contemporaine).


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Le dernier Ben Frost fait mal (et fait du bien). C'est un disque brutal, radical, beau, éminemment actuel — et aussi, pour la première fois, politique. Le titre vient d'un poème de W. B. Yeats, “The Second Coming” ; je vous conseille de le lire en entier et en version originale si vous ne le connaissez pas déjà, sinon ce passage vous donnera une idée : « Tout se disloque. Le centre ne peut tenir. L’anarchie se déchaîne sur le monde comme une mer noircie de sang : partout on noie les saints élans de l’innocence. Les meilleurs ne croient plus à rien, les pires se gonflent de l’ardeur des passions mauvaises. » (trad. Yves Bonnefoy)

The Centre Cannot Hold présente des actes de violence d'une esthétique superbe, accompagnés de moments de douceur fugaces — quelques secondes d'anticipation avant la déflagration comme sur “A Single Hellfire Missile Costs $100,000”, ou bien la beauté du désespoir sur “All That You Love Will Be Eviscerated”. Comme ses albums précédents, The Centre Cannot Hold est inclassable. S'agit-il encore de musique électronique ? Très peu de sons ont l'air électroniques ici. On retrouve Steve Albini à la production, et si vous aimez le style Albini, vous devriez vous régaler. J'avais reproché à A U R O R A sa trop grande linéarité, ici rien à redire — malgré son agressivité, le disque ne manque jamais de subtilité.

Seule la pochette semble manquer d'esthétique au premier abord, mais elle prend sens avec l'écoute ; son allure de drapeau, cette tension irréconciliable entre deux éléments tranchés. Sur le CD, il y a une face mate, une face brillante et le titre gaufré, et à l'intérieur, une marée de liquide bleu et noir qui engloutit tout.


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On continue dans la noirceur contemporaine avec l'album éponyme de Pessimist, de la drum and bass minimale atmosphérique qui sent les vapeurs de clope froide au fond d'une impasse non éclairée à deux heures du matin. Et quand je dis drum and bass, honnêtement, ça ne s'entend pas tout de suite — le disque commence par des pistes si lentes et froides qu'on est plus proche du dark ambient, avec une ambiance qui est par la suite nettement plus proche de la techno industrielle.

Si une bonne première moitié de l'album reste dans ce registre glauque, c'est quand les choses se réveillent que l'album brille vraiment. “Peter Hitchens” est une des toutes meilleures pistes sorties cette année. Par contre, à ce que j'ai lu, Peter Hitchens semble être un connard réactionnaire qui nie tout ce dont il ne veut pas entendre parler ; dommage.


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Pour respirer un peu, on peut se plonger dans le catalogue de Good Looking Records, un des labels majeurs de drum and bass atmosphérique dans les années 90. Les deux-titres d'Artemis (Elysian Fields / Desiderati et Inner Worlds / Sun Stars) sont nickel, Mr Nice de Big Bud aussi avec un son plus jazzy…

Et du même artiste en long format, Infinity + Infinity est une vraie perle. Cette musique est résolument dualiste, elle fait planer et voyager l'esprit tout en faisant bouger le corps sur des rythmes endiablés, une superposition de deux rythmes complètement différents dans une atmosphère qui peut évoquer un voyage spatial. Puis on atteint une sorte d'unité avec les sons plus lents et le saxophone des deux dernières pistes. Pas un temps mort ni un raté sur 70 minutes ; je ne comprends pas vraiment les gens qui disent que ce genre a mal vieilli.


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Autre type de voyage spatial en musique : Vuoto de Nō (un alias de Fabio Perletta, fondateur du label Farmacia901). C'est aussi prenant mais nettement plus froid, une exploration de confins inconnus et de phénomènes étranges ; on se retrouve au milieu de drones déstabilisants ou hypnotisants, il y a des notes qui forment des mélodies que l'on aurait du mal à reconnaître comme telles. Une piste est nommée d'après la division d'Encke à l'intérieur de l'anneau A de Saturne. Ça peut fonctionner en musique d'ambiance, si l'on n'a pas peur des blips amélodiques et des vibrations stridentes.




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Broken Glass Arch de Djrum est un vrai bijou. La piste-titre combine polyrythmes, xylophones, claquements de mains, chants… en un hommage aux musiques africaines qui pourrait aussi rappeler certains titres récents d'UK bass si on les sortait de leur urbanité glauque ; la première partie de “Showreel”, sans beats mais avec piano, basse et violon, n'est que pure émotion, et la seconde partie combine les deux en rajoutant une touche de bass music. C'est magistral. Inclassable aussi, honnêtement Resident Advisor classe ça dans la techno mais ça n'y ressemble pas.

lundi 13 novembre 2017

Rêves (38–40)







Une mort-vivante sur une scène de théâtre.
Elle s'effondre puis revit plusieurs fois.
Elle se regarde dans la glace et s'exclame
« Oh ! Mais je suis une femme ?! ».

mardi 24 octobre 2017

Mots (6)




51.
« Goropiser » : inventer de toutes pièces des étymologies fantaisistes pour appuyer ses hypothèses. Ça vient de l'auteur Johannes Goropius Becanus, qui avait voulu faire croire que le néérlandais était la première langue du monde. (Source : https://aeon.co/essays/why-is-linguistics-such-a-magnet-for-dilettantes-and-crackpots)


52.
Est-ce symptomatique de la domination des États-Unis que l'on utilise quasi-systématiquement le terme « Américain » pour désigner les habitants de ce pays, comme si les Mexicains, les Chiliens, les Argentins etc. n'existaient pas ? N'a-t-on jamais besoin de parler des habitants de tout le continent, comme on parle des Africains, des Asiatiques ou des Européens ?


53.
« Frileux » ou « frileuse » désigne une personne sensible au froid ou qui n'aime pas le froid. Pourquoi n'a-t-on pas de mot équivalent pour qui n'aime pas la chaleur ? Le plus proche que j'ai pu trouver est « thermophobe », mais il s'agit d'un terme médical avec une définition plus spécifique — « crainte de la chaleur avec sensation permanente d'avoir trop chaud » —, pas un véritable antonyme.

À noter en passant qu'il ne semble pas y avoir de mot courant pour « frileux » en anglais.


54.
Le mot « preuve » en français est relativement flou, voire ambigu ; il peut désigner soit un fait ou raisonnement qui fait pencher la balance d'un côté (sans être nécessairement concluant), soit un fait ou raisonnement qui prouve une hypothèse de manière irréfutable. En anglais, on fait la différence entre “evidence” (quand un doute subsiste) et “proof” (qui retire tout doute possible).

Comment traduirait-on alors cette remarque rationaliste (trouvée sur Less Wrong) : “Absence of proof is not proof of absence, but absence of evidence is evidence of absence?”


55.
Vous connaissez l'expression « moutons de poussière » (les amas de poussière qui s'agglutine) ? En anglais, on les appelle “dust bunnies” (lapins de poussière). En allemand “Staubmäuse” (souris de poussière), en suédois « dammråttor » (rats de poussière), en polonais “koty” et en hongrois “porcica” (chatons de poussière).


56.
« Androphile » : qui est attiré·e par les hommes, la masculinité.
« Gynophile » : qui est attiré·e par les femmes, la féminité.
« Ambiphile » : qui est attiré·e par les deux.
… N'est-ce pas étonnant que ces termes soient si peu usités ?

[edit — D'autres sont plus usités : « sapphique » pour l'attirance des femmes pour les femmes (bi ou lesbiennes), « achilléen » pour l'attirance des hommes pour les hommes (bi ou gay) !]


57.
Un mot français que j'aime beaucoup, c'est « papillonner ». C'est joli, et ça veut bien dire ce que ça veut dire. On ne le trouve pas dans toutes les langues.


58.
Un mot anglais que j'aime beaucoup (et que l'on n'a pas en français), c'est “somehow”. Il contient à lui seul du scepticisme ou de l'humour, il suffit de l'ajouter à une phrase pour qu'elle devienne drôle et/ou à charge.


59.
J'ai honte de l'avouer, mais quand j'ai entendu le mot pour la première fois, avant que l'on parle de personnes transgenres, je ne savais pas si « une transsexuelle » désignait un homme (FtM) ou une femme (MtF). J'ai cru que c'était ambigu. Il m'aurait suffi de me mettre à la place de la personne ; ça aurait dû m'être évident ! Il m'a fallu du temps pour me rendre compte que j'avais un gros angle mort à cet endroit. Je me demande combien d'autres angles morts j'ai encore.


60.
Marelle de Julio Cortázar comprend un très court chapitre érotique (une page uniquement) où tous les mots et les verbes sont inventés. On ne comprend rien précisément, mais on saisit très bien l'impression générale. (Je ne sais plus quel chapitre c'est. Le livre vaut le coup d'être lu en entier de toute façon.)


61.
Énièmes preuves que… tiens, ça aussi, c'est un mot que j'aime bien. Énième. Une définition aux allures techniques, plus difficile à comprendre que son sens d'ailleurs — « sérié, mais de position indéterminée » —, mais un terme qui est le plus souvent utilisé dans un contexte familier. D'après le Wikitionnaire, il a été inventé en 1834 et vient de l'argot de l'École Polytechnique).



62.
Énièmes preuves, donc, qu'on parle très mal anglais en France : les mots « pin's » et « loose ». Ce « 's » n'a aucun sens, il est simplement là pour faire américain. Idem pour le deuxième « o » de « loose » (l'adjectif « loose » existe bien en anglais, mais il signifie « lâche » — mal attaché — ou « vague » — mal défini — et n'a aucun lien avec la déveine)… sans compter le fait que même orthographié correctement, “lose” n'existe pas en tant que nom en anglais. Ces mots sont-ils incorrects pour autant ? Seulement si on les croit anglais. Mais comme ils sont français…


63.
La cénesthésie désigne l'impression que nous avons de notre propre corps, ou de notre être, hors de nos sens.



64.
Si l'on prend en compte toutes les petites variantes et tous les dialectes, il existe plus de cinquante mots pour « trognon de pomme » en allemand.


65.
Une distinction importante que l'on fait beaucoup plus facilement en allemand qu'en français (ou d'autres langues) : „gleiche“ compare deux entités identiques mais distinctes, „selbe“ indique qu'il s'agit une seule et même chose. En français courant, on dira « la même » pour les deux. Ce n'est pourtant pas la même chose !

… C'est un reportage intitulé La Fabrique du Cerveau qui m'y a fait repenser. On y voit des chercheurs imaginer que l'on pourrait devenir immortels en recréant notre cerveau et en le digitalisant. Pourtant, même si ce cerveau virtuel était en tout point identique à l'humain, ce serait „das gleiche Gehirn“ (un cerveau identique)… pas „das selbe Gehirn“ (un seul et même cerveau). (Sauf peut-être, d'après un physicien sur un forum, si l'on utilise la téléportation quantique — terrain sur lequel je n'ai pas les connaissances nécéssaires pour m'aventurer). Je ne sais plus comment s'appelle ce dilemme, mais ça pourrait signifier que toute téléportation est un suicide (et une naissance).

♪ 62 : Le dernier temps du rêve qui gronde, peint en do

J'ai découvert In C de Terry Riley après Music for 18 Musicians de Steve Reich. Je n'ai jamais aimé la version classique autant qu'elle le devrait, et au début je pensais que c'était parce que je comparais In C à Music for 18 Musicians — parce que même si Riley est venu avant, il faut avouer que toutes ces compositions minimalistes se ressemblent beaucoup. Pourtant c'est remarquable In C, avec sa partition modulable (les 53 fragments qui la composent peuvent être répétés comme on veut, l'ensemble peut être réduit ou très grand, on peut choisir où commencer et arrêter les fragments que l'on joue), sa tonalité constante qui ne lasse jamais, sa tension et sa gaieté.

Et puis j'ai découvert la version jouée par l'ensemble Africa Express, avec des instruments africains et européens, et je dois dire que je la préfère carrément à l'enregistrement de 1968 par Riley même.


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Every Time Feels Like the Last Time de Daniel W J Mackenzie est un album d'ambient avec un côté acoustique mélancolique (violoncelle, piano, phonographies…) et un côté mystérieux, qui n'est pas étranger au bruitisme ni même à un peu de cruauté (on n'est pas chez Ben Frost, mais il n'est pas si loin que cela). Ce n'est pas du dark ambient, mais c'est clairement un disque à écouter la nuit.

Le label, Eilean, associe à tous ses disques une couleur, une saison ainsi qu'un point sur une carte ; pour cet album-ci, ils disent blanc, gris et hiver, mais je trouve que c'est déjà parfait pour l'automne avec les couleurs qui rougissent et le froid qui s'annonce.


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Māyopama de Miguel Isaza est un album basé sur le concept bouddhiste du même nom, qui se décline sur autant de pistes en : rêve, illusion magique, hallucination, mirage, écho, « cité de Gandharvas », réflection et apparition. C'est une musique très discrète, composée principalement à partir de phonographies qui, sans être reconnaissables, semblent changer l'espace dans lequel on les écoute. Quasiment rien n'arrive, mais c'est vraiment beau quand on y prête attention. En fait ça me fascine, c'est un des meilleurs albums de lowercase que j'ai écoutés depuis un moment.




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Chasing Voices est un projet collectif anonyme qui pousse au piratage à force de publier chacune de leurs pistes, même si elle ne fait que cinq minutes, sur son propre vinyle. Cela dit, ils les soignent, leurs pistes ! Si j'accroche moins à celles qui virent dubstep, quand ils restent dans la techno c'est carrément bon. Ex Nihilo Nihil Fit, avec son rythme changeant et rapide qui tranche sur une atmosphère de pénombre agréable, et Scold, une lente progression d'un quart d'heure dans les ténèbres qui ne casse d'être intrigante avec des sons quasi-dark ambient et un peu d'acid vers la fin, sont toutes les deux remarquables. À noter qu'elles n'ont rien à voir au niveau du style, je ne pense pas qu'elles soient l'œuvre des mêmes artistes.


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Hand in Hand de Félicia Atkinson oscille entre l'étrange, le froid et le chaud. C'est une musique expérimentale à la frontière de l'abstraction austère et du presque mélodique, avec des sons synthétiques et d'autres très familiers comme des bols musicaux ou un clocher. La voix de l'artiste est souvent présente, mais en chuchotements qui partent d'un côté, de l'autre, jusqu'à qu'on s'y perde. (La piste où on peut le plus facilement suivre ce qu'elle dit est “Adaptation assez facile”, mais ce ne sont que des instructions pour s'occuper de plantes.)

C'est un peu comme entrer dans une charmante petite maison, toute blanche, avec une serre et des plantes, et s'y perdre de pièce en pièce.


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Bonjour, je viens d'écouter un album de Kate Bush pour la première fois et c'était fabuleux. Ce n'est pas la première fois que j'essayais, mais au début je n'avais pas accroché. Ce n'est pas le genre de musique qui passe toute seule ni qui se laisse approcher par un seul angle, sur ce disque elle est cinquante personnes différentes et autant de voix ; à chaque chanson j'ai eu envie de prêter attention à tout plutôt que d'écouter simplement la musique comme je le fais en général, et si les dix pistes n'ont pas de lien entre elles, l'enchaînement de la piste-titre (inspirée par la culture aborigène) et de “Night of the Swallow” (celtique) me donne des frissons à chaque fois. Enfin, ce n'est pas moi qui vais vous vendre The Dreaming, qui a sans doute été déjà analysé sur des dizaines de pages, mais écoutez-le si jamais vous ne l'avez pas déjà fait !


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Un autre artiste qui m'impressionne, c'est Ambrose Akinmusire. Ça fait des mois que the imagined savior is easier to paint est dans ma liste de disques à recommander, mais comme je ne m'y connais pas du tout en jazz… Tout ce que je peux dire, c'est que : c'est du post-bop, qui puise aussi parfois son inspiration dans des musiques classiques contemporaines ; c'est une musique séduisante, accessible, mais qui ne demande qu'à ce qu'on lui prête un peu d'attention pour se révéler plus complexe. Les sujets des quelques chansons sont aussi durs que contemporains : il est question de sans abri, de la vie tragique de Cyntoia Brown (enfermée à vie pour un crime commis à seize ans… vous pouvez chercher les détails, je vous préviens que ça va vous déprimer pour la journée), de personnes tuées par armes à feu aux États-Unis. Mais c'est avec un visage grave et digne, non hurlant de douleur ou de tristesse, que la musique exprime tout cela. Quant aux autres pistes, je me sentirais bien incapable de les résumer. Je ne sais pas à quel point ce jazz est innovant ou traditionnel ou que sais-je. En tout cas, c'est un album qui me paraît important. Et comme ça fait des mois que je n'en parle pas, je peux dire que je l'ai beaucoup écouté, qu'il me fait toujours aussi forte impression et que je n'en ai pas encore fait le tour.

mardi 26 septembre 2017

♪ 61 : Les roses dormantes du chaos noir se superposent

Je ne sais pas au juste ce que signifie l'adjectif « anguleux » appliqué à la musique, mais j'imagine que ça doit ressembler à ça. Du metal expérimental au son rugueux, très abrupt (comme si toutes les transitions étaient coupées net), dissonant, avec beaucoup de synthétiseurs. La pochette colle très bien (même si on peut lui reprocher sa typo ambiguë et peu lisible). Le nom de l'album — Blackjazz de Shining, donc — pas du tout : s'il y a bien des saxophones qui pointent leur nez sur plusieurs pistes, ça ne ressemble pas à du jazz, ni d'ailleurs du black metal. Par contre c'est assez génial. Violent, taré, non orthodoxe, et ça accroche tout de suite.

(Il paraît qu'ils ont baissé après cet album ; si j'en juge par la piste plus récente passée sur Youtube après le clip de “Fisheye”, ouais, c'est nettement moins bon. J'irai plutôt écouter leur précédent ensuite.)




Le groupe s'appelle Pryapisme, l'album s'appelle Rococo Holocaust, la pochette est bien cette photo de chat en majesté et les titres des pistes ne sont pas piqués des hannetons. Si ça vous tente, vous aurez droit à un disque inclassable avec du piano, des violons, des synthés de jeu vidéfilm d'action des années 80, du thrash musette (je n'invente pas), clarinette, chœurs, mandoline, scie musicale, une salade folle rarement entendue ailleurs. Chez Naked City peut-être ?

Non seulement le concept est du grand n'importe quoi, mais cet album est en plus très propre et étonnamment sérieux dans son exécution. On pourrait en faire écouter plusieurs secondes à quelqu'un sans qu'il ne se doute de la jubilatoire monstruosité que présente le reste du disque ! (Cela dit, même s'ils avaient torché ça n'importe comment, j'aurais probablement aimé aussi. Mais moins, et ça aurait moins tenu le coup sur la longueur.)

Si vous voulez une critique plus en détail, je vous conseille celle de Crepuscule sur RYM. Sachez également (ça vous fera une belle jambe) que les paroles de la première piste sont « Miaou, mwaouh » et celles de la troisième « aarrrrghhmmoooeeerrrhvvvvvwwwheeuuhhgg » mais qu'à peu près tout est instrumental, et qu'il existait une version limitée de l'album vendue avec un sachet de croquettes pour chat. Que dire de plus, si ce n'est glufre et plonche.




Il y a quelque temps, j'avais dit que je regrettais un peu l'hédonisme de la trance progressive des années 90. En fait, on peut encore en trouver ici et là ; notamment sur l'EP éponyme de Doss, de la dream trance de 2014 qui sonne aussi rose que la pochette. Cette musique est à la fois parfaitement contemporaine au niveau des impressions (l'époque qui a vu naître le bubblegum bass, entre autres mouvements « post-internet ») et complètement ancrée dans l'esthétique trance ; éclatante et pourtant douce à sa manière.

Le projet semble avoir disparu après cet unique disque, dommage.




Sur Garden of Delete, Oneohtrix Point Never avait travaillé entre autres sur l'idée du « hypergrunge ». Pas si loin que ça, il y a Lorenzo Senni et sa « trance pointilliste ». Le nom est trompeur : c'est une déconstruction radicale et violente de la trance, où les beats, les voix et tout ce qui fait la chair de la musique est supprimé ou transformé ; seuls subsistent ces sons de synthés caractéristiques, rendus acides et corrosifs. Si je commence par citer OPN, c'est parce que ça ressemble nettement plus à ce genre de musique que n'importe quelle trance classique !

Superimpositions est un album intéressant, pas le genre que j'écoute souvent mais ça vaut le coup d'y jeter une oreille.




Jeff Bridges, vous savez qui c'est ? C'est l'homme qui jouait Lebowski (le glandeur, pas le rupin) dans The Big Lebowski. Et il a enregistré un album pour s'endormir. Des pistes où, sur un arrière-plan ambient agréable, il vous raconte des histoires, des techniques pour dormir, vous fait partager son quotidien, une promenade à Temesca Canyon (la seule piste longue), vous fait des compliments gratuits…

Sleeping Tapes aurait pu être un disque-gadget, un caprice oubliable de célébrité, mais il est tout à fait réussi. En partie parce que monsieur Bridges paraît vraiment très sympathique, et parce que son disque est sincère sans se prendre au sérieux. C'est un album à écouter en faisant attention aux textes évidemment, avant de dormir si vous voulez, c'est prévu comme ça. Laissez votre cynisme au placard et je pense vraiment qu'il vous fera sourire (de bonheur, d'humour, de tendresse). Les bénéfices sont donnés à une association contre la faim dans le monde. Rien à redire.




Let Them Eat Chaos est un album de hip hop de Kate Tempest, artiste britannique qui a aussi écrit un roman, trois pièces de théâtre et trois livres de poèmes. Il est quatre heures dix-huit du matin et on suit sept personnes qui ne dorment pas, leurs angoisses, leurs vides, leurs vies qui ne filent pas droit — si tant est qu'il y ait un droit chemin à suivre, ça ressemble tant à un mirage (même le yuppie de l'histoire ne l'atteint pas)… C'est parfois poétique, souvent tendu, toujours éminemment humain. Les images viennent toutes seules : l'immeuble, les éclairages au néon, les bouteilles de bière cassées, la pluie, la tête de chaque personne. Avec en plus, tout est trop réel pour qu'on y échappe, un instantané de l'époque à laquelle on vit. Kate semble même avoir eu un peu d'avance — l'album est sorti en octobre 2016, je ne sais quand il a été écrit mais le Brexit et la victoire de Trump collent parfaiement dans le clip d'“Europe Is Lost”.

Si je ne parle pas de la musique, c'est qu'elle passe au second plan ; les instrus sont correctes sans être remarquables, ce sont les textes et la voix de Kate qui font Let Them Eat Chaos. Qui aurait donc pu être meilleur sur ce point, même s'il mérite largement qu'on s'y intéresse.

jeudi 7 septembre 2017



Deux minutes d'un documentaire suédois qui présente le fonctionnement des machines à écrires chinoises. C'est singulièrement peu pratique et on a nettement plus vite fait d'écrire à la main.

dimanche 3 septembre 2017

À l’état naturel

(Article désagréable)


1. L'autre jour, j'ai vu un ver de terre en train de se faire assaillir par des fourmis. Je n'ai aucune idée de ce que ressent un ver, mais c'est horrible d'imaginer se faire déchiqueter petit à petit et dévorer vivant comme ça par une myriade de petites bestioles… J'ai hésité à écraser le ver de terre pour abréger ses souffrances. Mais j'aurais aussi écrasé plein de fourmis qui voulaient se nourrir du même coup. Qu'est-ce qui aurait été le plus éthique ? Comment savoir ? Dans les deux cas, c'est horrible. (Finalement je ne l'ai pas écrasé, mais j'ai regretté de ne pas l'avoir fait.)

2. Dans certains endroits, aux États-Unis notamment, les animaux prolifèrent au point qu'on doit les abattre — au grand dam des défenseurs des animaux… Mais à l'état naturel, une bonne partie de ces animaux seraient morts de faim. Grâce aux humains qui laissent de la nourriture partout, ils ont droit à une vie plus agréable — puis à une mort par balle. Une troisième solution serait sans doute préférable, mais ne vaut-il mieux pas mourir d'une balle que de faim ?

Si l'on pense aussi aux espèces envahissantes, aux fourmis « pots de miel », aux cas d'infanticides, de viols, de violences de toutes sortes… ne voir que la beauté de la nature, ou tempérer en la considérant « cruelle mais belle », me paraît difficile à avaler. La nature est monstrueuse. Par certains côtés, les humains font pire. Par de nombreux autres, ils font mieux. La différence est-elle une question d'intention ? Les humains agissent par intentions — pas toujours les bonnes. La nature est dénuée d'intention ou de quelque conscience que ce soit.

Alors pourquoi ce qui est « naturel » nous paraît-il préférable à ce qui est « artificiel » ?

jeudi 24 août 2017

♪ 60 : La Brave Conscience des Morts Voyageuses

Des décennies de vie quotidienne rythmées par des émissions de radio et de télévision ; d'événements présentés par la voix amicale et familière du présentateur. Une mémoire sur ondes et bandes magnétiques, substrat de culture pour d'autres histoires… ici une musique électronique rythmée et expérimentale.

Ou quelque chose comme ça. Pour être honnête, je ne saurais vous dire exactement quel est le concept de Dead Air, album par ailleurs assez inclassable. Il y a quelque chose de morbide dans les thèmes abordés, mais le disque n'est pas glauque ni triste, il grouille d'énergie, de formes de vie qui se nourrissent de la décomposition des précédentes. L'album enchaîne les genres comme autant de spots et de reportages ; certains passages rappellent des pistes d'IDM ou de techno et il suffirait alors d'enlever quelques bémols et timbres sales pour avoir un album simplement trippant et entraînant ; d'autres passages sont atmosphériques, étranges… Avec ses vingt pistes, on ne fait pas le tour de Dead Air facilement.

La musique est signée Baron Mordant et Admiral Greyscale, mais c'est une autre présence que l'on entend le long du disque : Philip Elsmore, présentateur britannique, qui annonce certaines pistes et qui raconte parfois son travail en arrière-plan.

Le mot “dead air” se réfère à un temps mort sur les ondes, quand la connexion fonctionne mais qu'aucun son n'est émis, que personne ne parle. Ici pourtant, aucun temps mort, c'est simplement autre chose que l'on transmet. Quelque chose que l'on n'entend pas tous les jours.




Le Baron tient aussi, entre autres disques (et un label), un journal musical : la série Travelogues, des pistes d'une petite dizaine de minutes environ, à base de phonographies éditées, assemblées et rythmées. Les sons environnants, les personnes parfois donnent à voir des scènes plus ou moins identifiables (beaucoup sont en Angleterre mais on voyage parfois à l'autre bout du globe) où tout est transformé ; les sujets sont réels, l'éclairage, le cadrage et les couleurs sont tout à fait artificielles. Ces Travelogues sortent à intervalles irréguliers ; depuis dix ans, la série en comporte dix-huit. Chacun coûte 88 pence, c'est pas grand chose et ça vaut le coup.




Patterns of Consciousness de Caterina Barbieri est un excellent album minimaliste avec de très belles mélodies.

Sauf que comme je ne sais pas comment décrire une mélodie, je vais parler vite fait du concept : les compositions sont basées sur des motifs dont seule une partie est entendue à chaque fois, comme si une caméra se déplaçait progressivement le long de la partition. Les trois premières pistes sont présentées en deux versions — la première intense, claire, rapide et rythmée, la seconde plus minimaliste, plus lente, où les notes s'étirent et se superposent… Enfin le final, lent, clair et crépusculaire, fait la synthèse des deux approches. J'ai balancé le mot « crépusculaire » comme ça mais il conviendrait à tout l'album, je trouve.

Le choix du tout-synthé rappelle certains disques d'électronique progressive, mais l'œuvre dans son ensemble est plus proche du minimalisme qu'on peut entendre chez Steve Reich ou Philip Glass. Mais émouvant d'une différente manière. Je recommande vivement.




J.G. Thirlwell vient encore d'ajouter une corde à son arc ! Ça lui en fait beaucoup.

Neospection, signé Xordox, c'est la bande son d'un film de science-fiction un peu kitsch mais étonnamment prenant, avec des lasers partout, un grand méchant qui a un rire diabolique, et une intrigue à paradoxes. Un disque instrumental avec des synthés partout. Pour être tout à fait honnête, l'excellente “Diamonds” éclipse un peu les autres pistes, mais le niveau est bon tout le long.





The Wicked Is Music est un album de downtempo carrément prenant avec des grooves de house, du piano, des cuivres, une chanteuse, un style années 90 complètement assumé (et déjà bien assimilé, l'album étant sorti en 2002). “You Started Something”, un de mes gros coups de cœur de ce mois-ci, ressemble au début à une chanson pop classique avec un peu plus de groove, mais une fois le truc bien lancé, alors qu'on s'attendrait qu'elle en reste là elle continue de trouver des moyens d'approfondir le groove à chaque mesure… c'est la meilleure, mais tout l'album est sacrément bon.

Ah, et le nom du groupe, c'est Crazy Penis. Un nom qui ne leur va pas du tout, même si c'est aussi la seconde raison qui m'a donné envie de les écouter par pure curiosité. La première raison, c'est que l'album est sorti chez Paper Recordings, soit le label des mecs de Salt City Orchestra a.k.a. Paper Music, qui s'y connaissent en deep house jazzy et que j'ai découvert grâce à leur excellent remix de “Cups” d'Underworld. Si vous voulez découvrir, ils ont sorti un mix anniversaire de deux heures et demie récemment.




Supergroupe obscur composé des deux messieurs de Matmos, du monsieur de Kid606 et du monsieur de Lesser, Disc est un projet glitch qui ne déconne pas. Sur Brave2ep, 71:02 d'expérimentations et destructions créatives de CDs et cassettes, des rythmes effrénés, des mélodies accidentelles, quelques rares plages ambient, des échantillons d'autres musiques en tous genres, le groupe nous fait la totale — de quoi se régaler quand on aime les musiques expérimentales et/ou énerver tout le monde si on joue ce CD en public (« c'est normal, ça ? »). Brave2ep est intense, rythmé et paradoxalement accessible de par la vitesse même à laquelle il enchaîne les pistes (un peu comme le sera l'album éponyme de Sissy Spacek quelques années plus tard). Il ne ressemble en fait qu'assez peu aux artistes glitch connus, qui lorgent nettement plus vers l'IDM et l'ambient.


Glitch jusqu'au bout : un certain Christopher Pratt affirme sur son blog qu'il possède deux exemplaires de l'album avec des titres complètement différents, dans un post où la pochette est désormais une image introuvable. L'album est également catalogué deux fois sur RYM : une fois en tant qu'EP, une fois en tant qu'album avec un nom apparemment erronné. 1/5 de moyenne pour zéro note à l'heure où j'écris ces lignes, la personne l'ayant noté n'est plus sur le site. Clic : 4/5 maintenant. Et la page d'information officielle du label ne contient aucune information, seulement une photo de CD bousillé en forme de labyrinthe.

jeudi 10 août 2017



Étant donné que les vaches remuent la queue pour chasser les mouches mais qu'elles ne peuvent pas chasser les mouches qui les embêtent hors de portée de leur queue, sur leur visage par exemple, je me demande si ces animaux pourraient évoluer pour avoir des queues plus longues. D'un autre côté, si leurs queues devenaient assez longues, elles risqueraient de traîner par terre et on marcherait dessus. Pour que les vaches puissent chasser les mouches de leur visage, pourrait-on envisager de leur mettre un chapeau à bouchons sur la tête, comme on le fait sur les humains en Australie ?

mardi 25 juillet 2017

♪ 59 : Le Septième Sang Blanc Noirci

Si vous avez envie de vous intéresser aux musiques expérimentales actuelles mais que vous n'aimez pas la vulgarité ni l'agressivité, je vous conseille de jeter une oreille à Mono no Aware du label PAN. Seize pistes inédites par dix-huit artistes, des impressions mêlées de paix, de mélancolie, d'anxiété… On peut se laisser bercer, le disque est proche de l'ambient, mais jamais dénué d'une certaine étrangeté. Crépusculaire.

Tout l'album est bon, et étonnamment cohérent d'ailleurs (je me demande s'ils ont donné des consignes spécifiques aux artistes ?), mais s'il y a une piste qui se démarque vraiment dessus à mes oreilles, c'est celle de Malibu, une artiste française (qui n'a pas encore sorti d'album ni d'EP complet mais qui me donne envie d'en écouter plus) ; cette “Held” me fait penser à un pendant intimiste et peut-être accidentel de la sublime “Batwings” de Coil.




Blood Bitch de Jenny Hval me rappelle un peu ces BDs autobiographiques, « romans graphiques » où des tranches de vie sont racontées de manière très personnelle et un peu fantastique, de petits événements du quotidien qui côtoient des traumatismes et des fées qui sortent des arbres.

Ici, ça prend la forme d'un album avec des vampires. C'est de la pop si on veut. Ça l'est souvent, peut-être parce que c'est une manière simple de raconter quelque chose en musique. Parfois, c'est juste une respiration paniquée sans paroles. La plupart du temps, c'est introspectif, souvent un peu étrange parce que nos pensées sont étranges et qu'il n'y a pas de raison de cacher cela. Sur “The Plague”, ça devient très expérimental et inquiétant. Je viens d'apprendre que Lasse Marhaug (de Jazkamer, un groupe de noise expérimental norvégien) a co-produit l'album, je ne m'y attendais pas du tout, c'est plutôt chouette.

Il y a des gens qui trouvent que Blood Bitch est prétentieux ou immature. Je ne trouve pas ces chansons prétentieuses du tout, au contraire même, et je me fiche qu'elles soient immatures ou non. Jenny Hval me semble faire ce qu'elle veut et ça me plaît.




Il y a au moins deux bonnes raisons d'aimer les Melvins : leur sludge, toujours un peu pareil mais aussi lourd et fiable que la grosse masse en fonte achetée par votre grand-père il y a cinquante ans, et leur goût pour l'expérimentation qui ne se prive d'aucune bizarrerie et va volontiers jusqu'à la trollerie*. (La fantastique coupe de cheveux de King Buzzo n'a hélas aucun effet sur la musique même, mais on peut en parler aussi quand même.)

* Le mot officiel est « trollage » mais c'est plutôt moche comme mot, non ?

Si vous n'avez jamais écouté les Melvins, je recommande toujours Stoner Witch en priorité.

Aujourd'hui j'écoute Honky, à mes oreilles un de leurs meilleurs disques expérimentaux. Ça commence par “They Must All Be Slaughtered”, huit minutes d'ambiance sulfureuse anesthétisante avec un chant de sirène lointain, qui enchaîne abruptement sur une grosse piste sludge qui réveille — puis, pour les habitués qui auraient vu venir le coup, sur la carrément dissonante et bruitiste “Lovely Butterfly”. Après cela, on enchaîne sur les mélanges entre ces trois extrêmes, atmosphères et guitares lourdes, le bidule se construit un peu dans tous les sens mais il tient toujours la route. (Avec plus de cohérence à mon avis que sur Stag, l'album précédent, pourtant mieux noté en général mais qui ne m'accroche pas autant.)

Et comme ce sont les Melvins, après la dernière piste il y a vingt minutes de silence suivies par




On m'a vendu Dog Fashion Disco comme un groupe à écouter pour qui aime Mr Bungle et on ne m'a pas menti.

Adultery se présente comme un plaisir coupable, et c'en est bien un — un album à histoire salement immoral, haut en couleur, jouissif, dérangeant, et sans aller jusqu'aux délires de Mr. Bungle où tout est permis, quand même bien déjanté. Les mecs (pour le coup, c'est vraiment un album de mecs — j'ai grimacé à la fin de “Private Eye” avant d'en rigoler tellement c'est excessif) sont sacrément doués pour écrire des pistes accrocheuses ; le chanteur rivalise avec Mike Patton sur le même terrain sans donner l'impression de le copier (rien que ça, pour moi ça vaut l'écoute). Et l'ambiance est fidèle à la pochette, résolument pulp, avec des tubes rageurs et des mélodies jazzy tropicales. Entre un film de Tarantino et cet album, je choisis l'album. (Aussi parce qu'il y a des films de Tarantino que j'ai plutôt aimés et d'autres que j'ai franchement détestés.)

Il paraît que ce genre peut s'appeler “circus metal”, en passant.




Vaudeview Over for Blackened Tea and Hashishans d'At Jennie Richie est un disque qui gravite autour des collages industriels et dark ambient d'artistes comme Nurse with Wound, mais avec une approche nettement plus sobre. Pas de chaos, pas d'attaques, tout est dans la suggestion ; les arrière-plans intriguent, séduisent, inquiètent, et au premier plan il n'y a rien. Ou plutôt rien que des espaces vides. Parfois, même les arrière-plans semblent coupés ou masqués, comme la percussion sur “Avoid Heavy Rains on Yr Body” (un seul beat qui s'arrête net, bloqué par le silence, et des présences étranges qui passent, menaçantes, autour de lui — c'est d'une absurdité mais aussi d'une noirceur impressionnantes).

Du coup, c'est un album presque vaporeux, mais aussi très réussi.

En y repensant, c'est aussi comme ça que Nurse with Wound était à son meilleur : dans les huis clos dépouillés de Homotopy to Marie ou les drones minimalistes d'outre-monde de Soliloquy for Lilith.




Et puis j'ai beaucoup écouté Balance 007 de Chris Fortier, un des rares double mixes que j'ai pu écouter où les deux disques sont aussi bons l'un que l'autre (il y a même un troisième disque bonus qui n'est pas en reste). Des notes trippantes de house progressive au premier plan équilibrées par de la techno qui apporte un peu d'ombre, c'est relativement sobre sans être austère, très prenant, classique au premier abord mais plus je les écoute et meilleurs je les trouve.