mardi 26 septembre 2017

♪ 61 : Les roses dormantes du chaos noir se superposent

Je ne sais pas au juste ce que signifie l'adjectif « anguleux » appliqué à la musique, mais j'imagine que ça doit ressembler à ça. Du metal expérimental au son rugueux, très abrupt (comme si toutes les transitions étaient coupées net), dissonant, avec beaucoup de synthétiseurs. La pochette colle très bien (même si on peut lui reprocher sa typo ambiguë et peu lisible). Le nom de l'album — Blackjazz de Shining, donc — pas du tout : s'il y a bien des saxophones qui pointent leur nez sur plusieurs pistes, ça ne ressemble pas à du jazz, ni d'ailleurs du black metal. Par contre c'est assez génial. Violent, taré, non orthodoxe, et ça accroche tout de suite.

(Il paraît qu'ils ont baissé après cet album ; si j'en juge par la piste plus récente passée sur Youtube après le clip de “Fisheye”, ouais, c'est nettement moins bon. J'irai plutôt écouter leur précédent ensuite.)




Le groupe s'appelle Pryapisme, l'album s'appelle Rococo Holocaust, la pochette est bien cette photo de chat en majesté et les titres des pistes ne sont pas piqués des hannetons. Si ça vous tente, vous aurez droit à un disque inclassable avec du piano, des violons, des synthés de jeu vidéfilm d'action des années 80, du thrash musette (je n'invente pas), clarinette, chœurs, mandoline, scie musicale, une salade folle rarement entendue ailleurs. Chez Naked City peut-être ?

Non seulement le concept est du grand n'importe quoi, mais cet album est en plus très propre et étonnamment sérieux dans son exécution. On pourrait en faire écouter plusieurs secondes à quelqu'un sans qu'il ne se doute de la jubilatoire monstruosité que présente le reste du disque ! (Cela dit, même s'ils avaient torché ça n'importe comment, j'aurais probablement aimé aussi. Mais moins, et ça aurait moins tenu le coup sur la longueur.)

Si vous voulez une critique plus en détail, je vous conseille celle de Crepuscule sur RYM. Sachez également (ça vous fera une belle jambe) que les paroles de la première piste sont « Miaou, mwaouh » et celles de la troisième « aarrrrghhmmoooeeerrrhvvvvvwwwheeuuhhgg » mais qu'à peu près tout est instrumental, et qu'il existait une version limitée de l'album vendue avec un sachet de croquettes pour chat. Que dire de plus, si ce n'est glufre et plonche.




Il y a quelque temps, j'avais dit que je regrettais un peu l'hédonisme de la trance progressive des années 90. En fait, on peut encore en trouver ici et là ; notamment sur l'EP éponyme de Doss, de la dream trance de 2014 qui sonne aussi rose que la pochette. Cette musique est à la fois parfaitement contemporaine au niveau des impressions (l'époque qui a vu naître le bubblegum bass, entre autres mouvements « post-internet ») et complètement ancrée dans l'esthétique trance ; éclatante et pourtant douce à sa manière.

Le projet semble avoir disparu après cet unique disque, dommage.




Sur Garden of Delete, Oneohtrix Point Never avait travaillé entre autres sur l'idée du « hypergrunge ». Pas si loin que ça, il y a Lorenzo Senni et sa « trance pointilliste ». Le nom est trompeur : c'est une déconstruction radicale et violente de la trance, où les beats, les voix et tout ce qui fait la chair de la musique est supprimé ou transformé ; seuls subsistent ces sons de synthés caractéristiques, rendus acides et corrosifs. Si je commence par citer OPN, c'est parce que ça ressemble nettement plus à ce genre de musique que n'importe quelle trance classique !

Superimpositions est un album intéressant, pas le genre que j'écoute souvent mais ça vaut le coup d'y jeter une oreille.




Jeff Bridges, vous savez qui c'est ? C'est l'homme qui jouait Lebowski (le glandeur, pas le rupin) dans The Big Lebowski. Et il a enregistré un album pour s'endormir. Des pistes où, sur un arrière-plan ambient agréable, il vous raconte des histoires, des techniques pour dormir, vous fait partager son quotidien, une promenade à Temesca Canyon (la seule piste longue), vous fait des compliments gratuits…

Sleeping Tapes aurait pu être un disque-gadget, un caprice oubliable de célébrité, mais il est tout à fait réussi. En partie parce que monsieur Bridges paraît vraiment très sympathique, et parce que son disque est sincère sans se prendre au sérieux. C'est un album à écouter en faisant attention aux textes évidemment, avant de dormir si vous voulez, c'est prévu comme ça. Laissez votre cynisme au placard et je pense vraiment qu'il vous fera sourire (de bonheur, d'humour, de tendresse). Les bénéfices sont donnés à une association contre la faim dans le monde. Rien à redire.




Let Them Eat Chaos est un album de hip hop de Kate Tempest, artiste britannique qui a aussi écrit un roman, trois pièces de théâtre et trois livres de poèmes. Il est quatre heures dix-huit du matin et on suit sept personnes qui ne dorment pas, leurs angoisses, leurs vides, leurs vies qui ne filent pas droit — si tant est qu'il y ait un droit chemin à suivre, ça ressemble tant à un mirage (même le yuppie de l'histoire ne l'atteint pas)… C'est parfois poétique, souvent tendu, toujours éminemment humain. Les images viennent toutes seules : l'immeuble, les éclairages au néon, les bouteilles de bière cassées, la pluie, la tête de chaque personne. Avec en plus, tout est trop réel pour qu'on y échappe, un instantané de l'époque à laquelle on vit. Kate semble même avoir eu un peu d'avance — l'album est sorti en octobre 2016, je ne sais quand il a été écrit mais le Brexit et la victoire de Trump collent parfaiement dans le clip d'“Europe Is Lost”.

Si je ne parle pas de la musique, c'est qu'elle passe au second plan ; les instrus sont correctes sans être remarquables, ce sont les textes et la voix de Kate qui font Let Them Eat Chaos. Qui aurait donc pu être meilleur sur ce point, même s'il mérite largement qu'on s'y intéresse.

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