dimanche 28 octobre 2018

♪ 74 : Les frontières se chauffent de bois argentés

Je ne sais pas parler de pop, mais tant pis (zappez le reste de ce paragraphe et écoutez le disque plutôt !) : Japanese Girl d'Akiko Yano (矢野顕子) est un super disque d'art pop sorti en 1976, avec une face A présentée comme « américaine » et une face B « japonaise ». Différence qui ne se retrouve pas vraiment à l'écoute, tant la musique emprunte aux deux cultures tout le long. Tous les textes sont en japonais et il y a des influences de musiques traditionelles japonaises, mais aussi une bonne petite dose de jazz ; ça donne de l'art pop qui… j'hésite à reprendre la comparison à Kate Bush que je vois un peu partout parce que tant de femmes qui chantent se font systématiquement comparer à Kate Bush, mais en l'occurence c'est vrai que ce type de démarche me rappelle The Dreaming (art pop accrocheuse avec des influences de différents pays). Sur quelques pistes du moins.




Silver World (銀界) de Hozan Yamamoto (山本邦山) est un très bel album de post-bop et de gagaku. J'aime bien les musiques élusives que l'on ne peut pas cataloguer trop facilement ; c'est le cas ici, en partie parce que les genres — presque des langages différents — se mêlent et se séparent selon les moments ; on a de très beaux passages avec, par exemple, une mélodie jouée à la flûte en bambou avec ce qu'il faut de silences à laquelle répond une phrase de jazz avec piano, basse et batterie. C'est presque une danse entre les deux. C'est beau.




Curse ov Dialect est un groupe australien qui définit sa musique comme du « hip hop multiculturel surréaliste ». Multiculturel en tout cas ça s'entend ! Le groupe est composé d'un macédonien, d'un pakistanais, d'un maltais et d'un maori, et sur Wooden Tongues on passe de musiques arabes à du rap en japonais à un sample de voix aigue d'opéra à Comus à… c'en est presque excessif, il s'en faudrait de peu que ça devienne un gimmick agaçant, mais il y a tellement de bonnes idées et d'enthousiasme là-dedans que ça marche carrément malgré tout. C'est plutôt expérimental, joyeux, totalement aux antipodes des hip hops plutôt rudes, sombres ou agressifs qui ont toujours la cote.




Hessdalen de Volruptus : un EP d'electro crépusculaire qui impressionne tout en restant difficile à cerner ; il est relativement minimaliste et serait presque froid si les grooves n'étaient pas aussi entraînants. Aucun des éléments ici ne s'affiche en pleine face et pourtant tout fait de l'effet, c'est presque un tour de passe-passe. Très réussi en tout cas.








J'ai ressorti les EPs Ventolin d'Aphex Twin. La version la plus connue de la piste est celle sur I Care Because You Do, avec ce ton aigu tout le long et des percussions qui font penser à de l'industriel sans en être vraiment ; une drôle de piste, mi-absurde mi-inquiétante avec une pointe de facétie, accrocheuse à sa manière. Et qui ne colle pas si bien que ça sur l'album.

Donc il y a ces deux disques qui développent un peu plus le concept, un avec des pistes différentes, l'autre avec des remixes. Le premier est paradoxal : les pistes paraissent souvent à moitié finies, brouillonnes ou simplement bizarres, elles tournent souvent en rond avant de s'interrompre brutalement. Mais elles ont aussi de bonnes idées et le tout est étonnamment cohérent pour un disque d'Aphex Twin ; les styles sont variés mais ce disque a un esprit particulier qui me plaît bien, qui ne ressemble pas à grand chose d'autre en fait. Le second EP est plus direct : des remixes de la version la plus connue de “Ventolin”, tous sont intéressants et il y en a qui sont vraiment bons.

Ce ne sont vraiment pas des disques indispensables, mais ils valent le coup quand on aime la piste originale ! À noter que le son aigu ne se retrouve qu'occasionnellement sur ces deux disques, ce qui pourra décevoir les fans d'acouphènes.




Exposure, œuvre de la danseuse et chorégraphe Anne Collod en collaboration avec plusieurs autres artistes (son, lumières, architecture), « s’intéresse aux échanges énergétiques qui se jouent entre humain·e·s et machines et à la possibilité d’une écologie des perceptions dans un environnement industriel ». C'était une performance organisée à la Régie de Chauffage Urbain de Fontenay-sous-Bois… à laquelle je n'ai pas assisté. Mais le concept définit plutôt bien la composition que Francisco López a créée pour l'occasion.

Sur vingt minutes, diffusées in situ sur 46 canaux à l'origine, c'est une puissance quasi-abstraite qui s'exprime, dans une composition très dynamique à la beauté formelle. Comme toujours avec López, il s'agit de phonographies, ici des enregistrements des machines de la régie. Aucune émotion, l'intention est presque impénétrable, ce ne sont que sensations brutes et froides, énergies et formes. Sur Untitled #352, on retrouve cette piste (en stéréo uniquement) et dix drones d'une demi-heure chacun, « mantras électriques » créés à partir des mêmes matériaux sonores. L'artiste recommande de les écouter avec attention au casque — on a les oreilles qui sifflent après, mais il est vrai qu'ils sont fascinants !

Untitled #352 est-il un album dans le sens inhabituel du terme ? Je ne l'écouterai jamais d'une traite du début à la fin, et je ne pense pas qu'il soit fait pour ça. Cette œuvre me plaît beaucoup, mais dit-elle quoi ce soit ? A-t-elle quelque chose d'humain ? À vous de voir : qu'appelle-t-on « humain » ?

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