The Book of Dave de Will Self. Dans un lointain avenir, après une inondation qui a largement réduit en ruines la civilisation actuelle, quelqu'un en Angleterre déterre un livre qui a miraculeusement survécu. Ce livre acquiert un statut sacré et est pris comme base pour l'édification d'une nouvelle religion… Toute la société finit par s'organiser autour des écrits de Dave. Sauf que Dave, à son époque (la nôtre), c'était un chauffeur de taxi londonien aigri, misogyne, « pas raciste », qui a pété les plombs à la suite d'une dispute avec son ex-épouse au sujet de la garde de leur enfant et craché ce ramassis haineux insensé sous l'influence d'antidépresseurs.
Le résultat va de l'hilarant au tragique. Les prêtres de la religion daviniste s'appellent Conducteurs, tournent le dos à leurs ouailles pour les regarder dans un rétroviseur, et leur font réciter en guise de prières les noms des rues à parcourir dans Londres pour arriver à tel ou tel endroit. Mais ce monde moyen-âgeux n'est pas que ridicule, il est aussi obscurantiste et cruel… et Will Self, plutôt du genre réaliste-pessimiste. Ne vous attendez pas à cinq cents pages de déconne et d'humeur badine, même si on rit souvent.
La langue aussi a évolué dans ce futur — en fait, deux langues y sont en usage : l'anglais que l'on connaît aujourd'hui est devenu une langue hiératique équivalente au latin, et la langue démotique est un mélange d'argot londonien accentué, de mots de chauffeur de taxi mal interprétés et de langage SMS. Les Anglais se saluent donc tous d'un “Ware2, guv?”… Sur une phrase entière, ça donne par exemple “Iss nó rì 2 eggspekk a dad 2 no vem fings, issit?”. Au début, j'avais peur que ça ne rende le roman illisible, et le début est effectivement difficile ! Mais ça finit par venir, et au bout d'un moment j'ai vraiment pris goût à déchiffrer ce charabia dégénéré. (Du coup, The Book of Dave est un livre qui sera inaccessible pour pas mal de monde : vu l'importance qu'ont le Londres des cabbies et le cockney dans le roman, j'imagine qu'on doit perdre beaucoup en traduction — à vérifier —, mais l'original demande une bonne maîtrise de l'anglais. Même dans les passages qui se passent de nos jours, Will Self a un vocabulaire pointu.)
The Book of Dave est un très bon roman de divertissement et un bon roman ambitieux, qui touche à pas mal de sujets sensibles (la religion n'étant que le plus évident). Si les passages dans le futur sont surtout un prétexte à la présentation de l'univers, le personnage de Dave est très réussi, à la fois antipathique et réellement touchant. À certains moments, difficile de ne pas se sentir proche de lui. Bref, j'ai aimé. Même si on peut reprocher à l'histoire de se baser sur une idée assez simple pour être évidente (la conclusion n'y change que peu de chose).
Don Quichotte de Miguel de Cervantes. Faut l'avoir lu, c'est de la culture générale ! … Mais malgré la date (début XVIIe siècle) et la longueur du texte (deux volumes* de cinq cents pages chacun), les aventures de Don Quichotte et de Sancho Pança se lisent très rapidement. C'est un texte très drôle et surtout étonnamment léger. (Apparemment, la traduction récente d'Aline Schulman y est pour quelque chose — présentée en introduction, elle entend reproduire la fluidité et l'oralité du texte, quitte à simplifier la syntaxe quand une traduction littérale serait trop archaïque. Vu le ton de l'histoire, ça me paraît justifié.)
L'histoire, vous la connaissez : Don Quichotte, gentilhomme modestement fortuné, lit trop de romans de chevalerie et finit par se prendre pour un chevalier errant. Il part en quête de nobles aventures, accompagné par un bon vivant un peu naïf (pour ne pas dire un peu couillon) du nom de Sancho Pança, à qui il promet monts et merveilles en récompense de son service. C'est de la vraie comédie la plupart du temps, à part quelques histoires dans l'histoire dans le premier tome (bienvenues pour changer un peu de registre — j'aurais aimé en avoir dans le second aussi).
Je reproche quand même deux ou trois choses à Cervantes : (1) La fait qu'il y ait deux grossières incohérences dans le texte (dont une qu'il met sur le dos de son imprimeur). Ne vous étonnez pas si la monture de Sancho disparaît et rapparaît inopinément, ni si la femme de Sancho change de nom sans raison : ce n'est pas vous ni la traductrice qui êtes en faute, c'est juste Mimi qui s'est pas bien relu et que personne n'a osé corriger. (2) Le coup de Don Quichotte qui explique toutes ses mésaventures par des vils enchanteurs imaginaires qui lui jouent des tours, ça passe au début, ça finit par sentir la paresse voire le foutage de gueule au bout d'un moment. (3) La fin, justement, est un peu décevante et casse un peu le trip.
Bref, pour un Grand Classique de l'Histoire de la Littérature, c'est loin d'être un chef-d'œuvre irréprochable. Mais c'est une lecture bien agréable quand même.
* À noter que les deux tomes ont été publiés avec dix ans d'écart, et qu'un autre écrivain peu scrupuleux avait, avant la publication du deuxième tome, publié une fausse suite ! C'est peut-être d'ailleurs ça qui a poussé Miguel à finir son histoire. Sacré Mimi, va.
The Secret History de Donna Tartt est un roman que j'aurais adoré lire quand j'étais ado, et que j'ai dévoré tout pareil aujourd'hui. Richard Papen, un jeune californien d'origine modeste, part au nord-est des États-Unis et se retrouve à étudier le grec ancien au sein d'une classe… particulière. Très réduite, élitiste, un monde à part au sein de l'université. Tous les cours sont donnés par le même professeur, qui n'accepte que très peu d'étudiants, sans qu'on sache sur quels critères.
On apprend dès le prologue que cinq des étudiants conspirent pour — et réussissent à — assassiner le sixième, et la première partie du roman nous apprend comment ils en sont arrivés là. C'est un semi-huis clos, où de jeunes gens riches et cultivés, menés par leur mentor dans un milieu fermé, laissent libre cours à leur idéalisme ; le plus brillant d'entre eux est aussi celui qui semble le moins en phase avec le monde réel… Dangereux ? Peut-être, mais plus qu'un groupe sectaire manipulé, c'est une sorte d'Arcadie universitaire dans laquelle nous plonge Donna Tartt, un monde fragile et pas tout à fait sain mais beau à sa manière. D'ailleurs, le protagoniste garde toujours des contacts avec le monde extérieur : s'il voulait prendre ses distances, la porte lui reste ouverte. Mais il ne part pas.
The Secret History est avant tout un roman qu'on lit pour l'histoire, esthétique et divertissant, mais on peut aussi y lire un commentaire face à certaines tendances intellectuelles (et idéologiques ?). Les idées qui y sont présentées sont classiques mais pas inintéressantes. Les personnages diviseront les lecteurs (il est facile de les voir comme des snobs froids et prétentieux, mais j'ai un point de vue plus nuancé — j'aime bien Henry notamment !). La première partie du roman, où l'on apprend les motivations des assassins, est captivante ; la deuxième (qui se déroule après, quand les étudiants doivent faire face aux conséquences de leur acte) l'est un peu moins, mais j'ai quand même continué sur ma lancée avec grand plaisir.
V. de Thomas Pynchon. Quel livre ! Un roman postmoderne qui suit plein de directions différentes sans se perdre, à la fois sérieux et loufoque, où les passages franchement drôles côtoient des textes dans le texte (il y a un terme pour ça ?) qui vont de l'intrigue historique à des mystères et perversions quasi-gothiques, jusqu'à l'horreur véritable (dans l'histoire de Mondaugen avec les colons allemands en Namibie notamment), le tout entrecoupé de chansons.
De quoi ça parle ? D'un couillon qui fait le yo-yo dans le tram et traîne avec une divers hurluberlus à New York dans la moitié des chapitres, et d'un détective à l'identité effacée qui cherche « V. » (qui ? ou quoi ?) autour du monde dans l'autre moitié. Quant aux thèmes abordés… vous verrez bien en le lisant. Sachez juste qu'il est souvent question d'objets inanimés.
V. est un roman exigeant mais excellent, meilleur que The Crying of Lot 49 (qui m'avait déjà donné envie de continuer à lire du Pynchon). Ne vous attendez pas à tout comprendre (les intrigues avec Godolphin m'échappent en grande partie), mais accrochez-vous, parce que c'est un sacré trip. Pynchon a un excellent style et ses idées sont loin du tout-venant — en fait, je crois qu'il en crée proprement une dans ce roman, une pour laquelle il n'existe toujours pas de mot. Je continuerai avec Gravity's Rainbow !
(P.S. L'édition que j'ai — la seule qu'on trouve facilement, en fait — est parvenue à faire une faute dans le titre. C'est “V.”, pas “V”.)
Le Roi des Aulnes de Michel Tournier. (Le titre vient d'un poème du même nom, de Goethe.)
Abel Tiffauges est un homme qui ressemble étrangement à un ogre, avec sa propre philosophie, ses habitudes étranges, et ses penchants qui dérangeraient la plupart des braves gens normaux. (Le régime de viande crue et de lait qu'il adopte à une période n'est pas le plus étonnant.) Ce n'est pas un paria, mais… s'il s'ouvrait plus, il le serait. Il peut susciter la curiosité, la méfiance, l'inspiration, le dégoût ou tout ça à la fois. En fait, c'est le genre de type chelou duquel on préférerait ne pas s'approcher — et on finit ici par le connaître intimement.
L'histoire débute en France, à la fin des années trente ; une bonne partie se passe en Allemagne durant la guerre. Les événements lui semblent très peu favorables, mais Abel est persuadé d'être un élu ; c'est en tout cas un colosse invisible, un dévoreur silencieux. Ce qui est impressionnant, c'est à quel point ce personnage et cet histoire paraissent crédibles et ne tombent jamais dans l'exagération, la déformation. À quel point la place centrale qu'accorde l'auteur à son personnage semble méritée. La narration, parfois interne, parfois externe, reste libre de tout jugement face à cet étrange personnage, qui paraîtra sans aucun doute sympathique à certains et malsain à d'autres.
Tournier a obtenu le Goncourt pour Le Roi des Aulnes. Houellebecq aussi l'a obtenu, et j'avais eu des doutes. Mais Tournier, ouais, je crois qu'il le mérite.
Sinon, j'ai aussi lu Le Nez de Gogol mais je ne sais pas trop quoi en penser, il faudra que je le relise. Autant il m'a paru bien écrit, autant je n'ai pas vu où l'auteur voulait en venir.
Le résultat va de l'hilarant au tragique. Les prêtres de la religion daviniste s'appellent Conducteurs, tournent le dos à leurs ouailles pour les regarder dans un rétroviseur, et leur font réciter en guise de prières les noms des rues à parcourir dans Londres pour arriver à tel ou tel endroit. Mais ce monde moyen-âgeux n'est pas que ridicule, il est aussi obscurantiste et cruel… et Will Self, plutôt du genre réaliste-pessimiste. Ne vous attendez pas à cinq cents pages de déconne et d'humeur badine, même si on rit souvent.
La langue aussi a évolué dans ce futur — en fait, deux langues y sont en usage : l'anglais que l'on connaît aujourd'hui est devenu une langue hiératique équivalente au latin, et la langue démotique est un mélange d'argot londonien accentué, de mots de chauffeur de taxi mal interprétés et de langage SMS. Les Anglais se saluent donc tous d'un “Ware2, guv?”… Sur une phrase entière, ça donne par exemple “Iss nó rì 2 eggspekk a dad 2 no vem fings, issit?”. Au début, j'avais peur que ça ne rende le roman illisible, et le début est effectivement difficile ! Mais ça finit par venir, et au bout d'un moment j'ai vraiment pris goût à déchiffrer ce charabia dégénéré. (Du coup, The Book of Dave est un livre qui sera inaccessible pour pas mal de monde : vu l'importance qu'ont le Londres des cabbies et le cockney dans le roman, j'imagine qu'on doit perdre beaucoup en traduction — à vérifier —, mais l'original demande une bonne maîtrise de l'anglais. Même dans les passages qui se passent de nos jours, Will Self a un vocabulaire pointu.)
The Book of Dave est un très bon roman de divertissement et un bon roman ambitieux, qui touche à pas mal de sujets sensibles (la religion n'étant que le plus évident). Si les passages dans le futur sont surtout un prétexte à la présentation de l'univers, le personnage de Dave est très réussi, à la fois antipathique et réellement touchant. À certains moments, difficile de ne pas se sentir proche de lui. Bref, j'ai aimé. Même si on peut reprocher à l'histoire de se baser sur une idée assez simple pour être évidente (la conclusion n'y change que peu de chose).
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Don Quichotte de Miguel de Cervantes. Faut l'avoir lu, c'est de la culture générale ! … Mais malgré la date (début XVIIe siècle) et la longueur du texte (deux volumes* de cinq cents pages chacun), les aventures de Don Quichotte et de Sancho Pança se lisent très rapidement. C'est un texte très drôle et surtout étonnamment léger. (Apparemment, la traduction récente d'Aline Schulman y est pour quelque chose — présentée en introduction, elle entend reproduire la fluidité et l'oralité du texte, quitte à simplifier la syntaxe quand une traduction littérale serait trop archaïque. Vu le ton de l'histoire, ça me paraît justifié.)
L'histoire, vous la connaissez : Don Quichotte, gentilhomme modestement fortuné, lit trop de romans de chevalerie et finit par se prendre pour un chevalier errant. Il part en quête de nobles aventures, accompagné par un bon vivant un peu naïf (pour ne pas dire un peu couillon) du nom de Sancho Pança, à qui il promet monts et merveilles en récompense de son service. C'est de la vraie comédie la plupart du temps, à part quelques histoires dans l'histoire dans le premier tome (bienvenues pour changer un peu de registre — j'aurais aimé en avoir dans le second aussi).
Je reproche quand même deux ou trois choses à Cervantes : (1) La fait qu'il y ait deux grossières incohérences dans le texte (dont une qu'il met sur le dos de son imprimeur). Ne vous étonnez pas si la monture de Sancho disparaît et rapparaît inopinément, ni si la femme de Sancho change de nom sans raison : ce n'est pas vous ni la traductrice qui êtes en faute, c'est juste Mimi qui s'est pas bien relu et que personne n'a osé corriger. (2) Le coup de Don Quichotte qui explique toutes ses mésaventures par des vils enchanteurs imaginaires qui lui jouent des tours, ça passe au début, ça finit par sentir la paresse voire le foutage de gueule au bout d'un moment. (3) La fin, justement, est un peu décevante et casse un peu le trip.
Bref, pour un Grand Classique de l'Histoire de la Littérature, c'est loin d'être un chef-d'œuvre irréprochable. Mais c'est une lecture bien agréable quand même.
* À noter que les deux tomes ont été publiés avec dix ans d'écart, et qu'un autre écrivain peu scrupuleux avait, avant la publication du deuxième tome, publié une fausse suite ! C'est peut-être d'ailleurs ça qui a poussé Miguel à finir son histoire. Sacré Mimi, va.
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The Secret History de Donna Tartt est un roman que j'aurais adoré lire quand j'étais ado, et que j'ai dévoré tout pareil aujourd'hui. Richard Papen, un jeune californien d'origine modeste, part au nord-est des États-Unis et se retrouve à étudier le grec ancien au sein d'une classe… particulière. Très réduite, élitiste, un monde à part au sein de l'université. Tous les cours sont donnés par le même professeur, qui n'accepte que très peu d'étudiants, sans qu'on sache sur quels critères.
On apprend dès le prologue que cinq des étudiants conspirent pour — et réussissent à — assassiner le sixième, et la première partie du roman nous apprend comment ils en sont arrivés là. C'est un semi-huis clos, où de jeunes gens riches et cultivés, menés par leur mentor dans un milieu fermé, laissent libre cours à leur idéalisme ; le plus brillant d'entre eux est aussi celui qui semble le moins en phase avec le monde réel… Dangereux ? Peut-être, mais plus qu'un groupe sectaire manipulé, c'est une sorte d'Arcadie universitaire dans laquelle nous plonge Donna Tartt, un monde fragile et pas tout à fait sain mais beau à sa manière. D'ailleurs, le protagoniste garde toujours des contacts avec le monde extérieur : s'il voulait prendre ses distances, la porte lui reste ouverte. Mais il ne part pas.
The Secret History est avant tout un roman qu'on lit pour l'histoire, esthétique et divertissant, mais on peut aussi y lire un commentaire face à certaines tendances intellectuelles (et idéologiques ?). Les idées qui y sont présentées sont classiques mais pas inintéressantes. Les personnages diviseront les lecteurs (il est facile de les voir comme des snobs froids et prétentieux, mais j'ai un point de vue plus nuancé — j'aime bien Henry notamment !). La première partie du roman, où l'on apprend les motivations des assassins, est captivante ; la deuxième (qui se déroule après, quand les étudiants doivent faire face aux conséquences de leur acte) l'est un peu moins, mais j'ai quand même continué sur ma lancée avec grand plaisir.
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V. de Thomas Pynchon. Quel livre ! Un roman postmoderne qui suit plein de directions différentes sans se perdre, à la fois sérieux et loufoque, où les passages franchement drôles côtoient des textes dans le texte (il y a un terme pour ça ?) qui vont de l'intrigue historique à des mystères et perversions quasi-gothiques, jusqu'à l'horreur véritable (dans l'histoire de Mondaugen avec les colons allemands en Namibie notamment), le tout entrecoupé de chansons.
De quoi ça parle ? D'un couillon qui fait le yo-yo dans le tram et traîne avec une divers hurluberlus à New York dans la moitié des chapitres, et d'un détective à l'identité effacée qui cherche « V. » (qui ? ou quoi ?) autour du monde dans l'autre moitié. Quant aux thèmes abordés… vous verrez bien en le lisant. Sachez juste qu'il est souvent question d'objets inanimés.
V. est un roman exigeant mais excellent, meilleur que The Crying of Lot 49 (qui m'avait déjà donné envie de continuer à lire du Pynchon). Ne vous attendez pas à tout comprendre (les intrigues avec Godolphin m'échappent en grande partie), mais accrochez-vous, parce que c'est un sacré trip. Pynchon a un excellent style et ses idées sont loin du tout-venant — en fait, je crois qu'il en crée proprement une dans ce roman, une pour laquelle il n'existe toujours pas de mot. Je continuerai avec Gravity's Rainbow !
(P.S. L'édition que j'ai — la seule qu'on trouve facilement, en fait — est parvenue à faire une faute dans le titre. C'est “V.”, pas “V”.)
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Le Roi des Aulnes de Michel Tournier. (Le titre vient d'un poème du même nom, de Goethe.)
Abel Tiffauges est un homme qui ressemble étrangement à un ogre, avec sa propre philosophie, ses habitudes étranges, et ses penchants qui dérangeraient la plupart des braves gens normaux. (Le régime de viande crue et de lait qu'il adopte à une période n'est pas le plus étonnant.) Ce n'est pas un paria, mais… s'il s'ouvrait plus, il le serait. Il peut susciter la curiosité, la méfiance, l'inspiration, le dégoût ou tout ça à la fois. En fait, c'est le genre de type chelou duquel on préférerait ne pas s'approcher — et on finit ici par le connaître intimement.
L'histoire débute en France, à la fin des années trente ; une bonne partie se passe en Allemagne durant la guerre. Les événements lui semblent très peu favorables, mais Abel est persuadé d'être un élu ; c'est en tout cas un colosse invisible, un dévoreur silencieux. Ce qui est impressionnant, c'est à quel point ce personnage et cet histoire paraissent crédibles et ne tombent jamais dans l'exagération, la déformation. À quel point la place centrale qu'accorde l'auteur à son personnage semble méritée. La narration, parfois interne, parfois externe, reste libre de tout jugement face à cet étrange personnage, qui paraîtra sans aucun doute sympathique à certains et malsain à d'autres.
Tournier a obtenu le Goncourt pour Le Roi des Aulnes. Houellebecq aussi l'a obtenu, et j'avais eu des doutes. Mais Tournier, ouais, je crois qu'il le mérite.
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Sinon, j'ai aussi lu Le Nez de Gogol mais je ne sais pas trop quoi en penser, il faudra que je le relise. Autant il m'a paru bien écrit, autant je n'ai pas vu où l'auteur voulait en venir.
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