Il y a des fantômes dans notre vieil immeuble. Ils habitent au plafond, entre le dix-septième étage et le grenier. Parfois on croit les entendre, parfois on croit les voir, mais uniquement du coin de l'œil. À travers le plancher. Dans les interstices. Ce plancher est vraiment pourri.
Il y en a un qui a hanté un chapeau, une fois. Le chapeau bougeait tout seul sur la tête de Patronicus, les passants étaient amusés, cinq lui ont demandé où ils pouvaient acheter ce modèle de chapeau rigolo qui bouge tout seul. Le fantôme, frustré de ne faire peur à personne, a fini par sortir du chapeau qui est revenu normal — et les passants ont fini par se désintéresser du chapeau de Patronicus, un beau chapeau pourtant, mais qui avait perdu toute valeur amusante désormais. Le mécanisme devait être de piètre qualité, comme un peu tout ce qu'on trouve de nos jours. Dommage.
L'un d'entre eux semble aimer la nourriture. Peut-être par curiosité, peut-être par envie d'être humain..? Peut-être a-t-il des goûts particuliers. Il hume les aliments, les touche avec sa langue. Il ne peut pas les manger, je crois, mais quand même. Il nous a volé un paquet de céréales, une aubergine et trois pommes déjà. La bave de fantôme a beau ne pas être réelle, je ne peux m'empêcher d'imaginer un froid un peu dégoûtant que les spectres laisseraient sur tout ce qu'ils touchent… (Pourquoi du froid, d'ailleurs ? Simplement par contraste avec la chaleur corporelle qu'un humain laisserait ? — Je doute malgré tout qu'un fantôme puisse me rafraîchir par cette foutue canicule.)
Jules n'y croit pas, il dit que les fantômes ne sont que des fantasmes, des présences qu'on imagine pour combler un vide, une forme d'apophénie. Éternels, effrayants par leur pouvoir, en contact avec ce monde sans en faire partie : morts-vivants, avatars ou divinités, créées par les humains à leur image, bla bla bla… Des conneries, selon Pierre. C'est Pierre qui est un con, selon Jules. Bref.
L'un des fantômes avait un rhume il y a quelques mois. On l'entendait éternuer. Qu'est-ce qui a bien pu le rendre malade ? Peut-être qu'il jouait la comédie… ou que c'était psychosomatique, dans sa tête fantôme, tout simplement. (Y a-t-il quelque chose dans une tête de fantôme ?) Toujours est-il que j'ai chopé ce rhume à mon tour un peu plus tard, et mon nez bouché n'avait rien de spectral ou d'immatériel.
Si j'étais un fantôme, j'irais visiter des lieux difficiles d'accès. Le pôle nord, le pôle sud, l'intérieur d'un volcan. J'aurais trop peur d'aller dans les abysses ou dans des grottes profondes par contre, et puis il me faudrait de toute façon une lumière pour y voir quoi que ce soit. Je pourrais aussi entrer par effraction chez Vladimir Poutine mais je n'en ai pas trop envie… Je finirais sans doute par me lasser de pouvoir aller partout. De toute façon je n'ai pas envie de vivre si longtemps que ça. Autant qu'un être humain, ça suffit largement. À moins de vouloir changer le monde de fond en comble, ou construire une pyramide de sucres de huit kilomètres de haut avec les pieds… et encore !
Il y a un fantôme parmi eux qui aimait trop la subtilité, et ne faisait que déplacer un objet d'un demi-centimètre de temps en temps quand on ne regardait pas, ou escamoter un crayon. Dépareiller une paire de chaussettes. Retarder une pendule d'une minute. Ce genre de choses. Il croyait ainsi nous déstabiliser, installer une peur subliminale… Je crois qu'il aurait obtenu le même résultat en ne faisant rien du tout.
Plutôt que les fantômes, ce sont nous qui « hantons », qui projetons notre présence et nos sentiments partout. Dans les objets inanimés auxquels on imagine des intentions, les doudous de notre enfance, dans les animaux que nous interprétons comme des humains, dans les bébés, chez nos congénères, notamment les disparus… On le fait de manière moins spectaculaire, il est vrai. Mais plus attestée.
(Pour la pyramide de sucres de huit kilomètres de haut, je pense qu'on pourrait au moins la financer sur Kickstarter.)
Il paraît que les fantômes ont déménagé aujourd'hui. Et qu'il n'y a jamais eu de dix-septième étage dans notre immeuble de seize étages. Ils auraient pu nous le laisser, cet étage, quand même. J'y aurais entreposé des cartons.
Il y en a un qui a hanté un chapeau, une fois. Le chapeau bougeait tout seul sur la tête de Patronicus, les passants étaient amusés, cinq lui ont demandé où ils pouvaient acheter ce modèle de chapeau rigolo qui bouge tout seul. Le fantôme, frustré de ne faire peur à personne, a fini par sortir du chapeau qui est revenu normal — et les passants ont fini par se désintéresser du chapeau de Patronicus, un beau chapeau pourtant, mais qui avait perdu toute valeur amusante désormais. Le mécanisme devait être de piètre qualité, comme un peu tout ce qu'on trouve de nos jours. Dommage.
L'un d'entre eux semble aimer la nourriture. Peut-être par curiosité, peut-être par envie d'être humain..? Peut-être a-t-il des goûts particuliers. Il hume les aliments, les touche avec sa langue. Il ne peut pas les manger, je crois, mais quand même. Il nous a volé un paquet de céréales, une aubergine et trois pommes déjà. La bave de fantôme a beau ne pas être réelle, je ne peux m'empêcher d'imaginer un froid un peu dégoûtant que les spectres laisseraient sur tout ce qu'ils touchent… (Pourquoi du froid, d'ailleurs ? Simplement par contraste avec la chaleur corporelle qu'un humain laisserait ? — Je doute malgré tout qu'un fantôme puisse me rafraîchir par cette foutue canicule.)
Jules n'y croit pas, il dit que les fantômes ne sont que des fantasmes, des présences qu'on imagine pour combler un vide, une forme d'apophénie. Éternels, effrayants par leur pouvoir, en contact avec ce monde sans en faire partie : morts-vivants, avatars ou divinités, créées par les humains à leur image, bla bla bla… Des conneries, selon Pierre. C'est Pierre qui est un con, selon Jules. Bref.
L'un des fantômes avait un rhume il y a quelques mois. On l'entendait éternuer. Qu'est-ce qui a bien pu le rendre malade ? Peut-être qu'il jouait la comédie… ou que c'était psychosomatique, dans sa tête fantôme, tout simplement. (Y a-t-il quelque chose dans une tête de fantôme ?) Toujours est-il que j'ai chopé ce rhume à mon tour un peu plus tard, et mon nez bouché n'avait rien de spectral ou d'immatériel.
Si j'étais un fantôme, j'irais visiter des lieux difficiles d'accès. Le pôle nord, le pôle sud, l'intérieur d'un volcan. J'aurais trop peur d'aller dans les abysses ou dans des grottes profondes par contre, et puis il me faudrait de toute façon une lumière pour y voir quoi que ce soit. Je pourrais aussi entrer par effraction chez Vladimir Poutine mais je n'en ai pas trop envie… Je finirais sans doute par me lasser de pouvoir aller partout. De toute façon je n'ai pas envie de vivre si longtemps que ça. Autant qu'un être humain, ça suffit largement. À moins de vouloir changer le monde de fond en comble, ou construire une pyramide de sucres de huit kilomètres de haut avec les pieds… et encore !
Il y a un fantôme parmi eux qui aimait trop la subtilité, et ne faisait que déplacer un objet d'un demi-centimètre de temps en temps quand on ne regardait pas, ou escamoter un crayon. Dépareiller une paire de chaussettes. Retarder une pendule d'une minute. Ce genre de choses. Il croyait ainsi nous déstabiliser, installer une peur subliminale… Je crois qu'il aurait obtenu le même résultat en ne faisant rien du tout.
Plutôt que les fantômes, ce sont nous qui « hantons », qui projetons notre présence et nos sentiments partout. Dans les objets inanimés auxquels on imagine des intentions, les doudous de notre enfance, dans les animaux que nous interprétons comme des humains, dans les bébés, chez nos congénères, notamment les disparus… On le fait de manière moins spectaculaire, il est vrai. Mais plus attestée.
(Pour la pyramide de sucres de huit kilomètres de haut, je pense qu'on pourrait au moins la financer sur Kickstarter.)
Il paraît que les fantômes ont déménagé aujourd'hui. Et qu'il n'y a jamais eu de dix-septième étage dans notre immeuble de seize étages. Ils auraient pu nous le laisser, cet étage, quand même. J'y aurais entreposé des cartons.
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