jeudi 26 mars 2015

♪ 31 : Qui sont ces trois serpentes noires qui sifflent sur les pommes plates de l'Antarctique ?

Qu'est-ce donc que cette « musique pour soixante-dix serpents » ? Un disque portugais inclassable, qui date de 1988, dont seule la moitié des pistes sont nommées ; un chaînon qu'on ne savait pas être manquant entre plusieurs tendances expérimentales qui n'ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres.

On y écoute des mélodies rigolotes, mignonnes ou déglinguées, des chuchotements, des silences, du proto-glitch, de l'ambient — et même si cette musique est très expérimentale, elle a aussi une certaine candeur. On peut y entendre, par-ci, par-là, quelques ressemblances avec Asmus Tietchens (en piochant au hasard dans sa discographie), Automatic Writing de Robert Ashley (sorti dix ans avant), mais aussi des disques beaucoup plus faciles comme Sakura de Susumu Yokota (sorti dix ans après). Plux Quba de Nuno Canavarro a été réédité chez Moikai, le label de Jim O'Rourke, dix ans après sa sortie — mais ça aussi, c'était il y a dix ans (voire un peu plus), et il est de nouveau épuisé. C'est dommage parce qu'il est vraiment bien, ce disque !



Sonic Antarctica d'Andrea Polli est un album documentaire. Des phonographies prises aux vallées sèches de McMurdo (en Antarctique) et au pôle sud, des entretiens avec des climatologues et météorologues, et des données scientifiques converties en sons… On a de beaux paysages sonores et des commentaires, c'est vraiment comme dans un reportage vidéo. Ou un journal de bord, sans le côté linéaire.

Ce disque est fait pour être écouté avec attention, mais esthétiquement, c'est proche d'autres disques de phonographies, musique concrète ou même onkyo (les données converties en sons donnent des séries de bips) ; c'est froid, mais intéressant et je trouve ça agréable à écouter.

Je pensais que les voix me gêneraient, que j'aurais envie de les couper pour n'avoir que les autres sons — un disque se réécoute, mais a-t-on envie de réentendre encore et encore un article ou une thèse ? — mais en fait non. Ce n'est pas un album uniquement sur l'Antarctique, c'est un album sur l'étude de notre environnement là-bas, et du coup, c'est cohérent d'avoir les voix des scientifiques (et celle d'Andrea par moments). Je pense que ça pourra gêner d'autres personnes que moi, par contre. À vous de voir.

C'est édité chez Gruenrekorder, un label allemand qui propose aussi des trucs gratuits, comme une grosse archive de presque neuf heures de field recordings (47 pistes par 47 artistes différents).



À la recherche d'autres artistes qui ressembleraient aux Necks*, je pioche des trucs dans cette liste : In a Silent Way: Minimal and Ambient Jazz (en prenant mon temps, ce qui fait beaucoup de temps vu que j'écoute peu de jazz.)

Leucocyte de l'Esbjörn Svensson Trio m'accroche beaucoup. Piano, basse et batterie, comme les Necks. Mais la musique est différente ; il y a des passages rythmés, presque rock (notamment sur la suite-titre), d'autres simples et élégants, presque ambient… C'est très varié, et étonnamment accessible pour un disque de jazz ! La musique est belle, jamais monotone, et surtout claire sans être simpliste.

Il n'y a que deux choses que je reproche un peu à ce disque : (1) “Jazz”, qui part un peu dans tous les sens avec son improvisation (mais c'est peut-être parce que je n'ai pas l'esprit jazz, justement…) et (2) une petite voix nasillarde en arrière-plan sur certaines pistes. Un des musiciens semble croire bon de faire de tout petits « myé myé myé nyyéeuuh » pour s'accompagner, il faudrait lui dire d'arrêter un peu, ça fait débile. Ça ne s'entend qu'en fond à certains moments, heureusement, et ça n'empêche pas d'apprécier la musique. Disons que si je donnais des notes à la Pitchfork, ça ferait passer la note de Leucocyte de 8.6 à 8.3, quelque chose du genre.


* Soit : de l'ambient jazz minimaliste expérimental, de longues improvisations répétitives qui durent de vingt minutes à plus d'une heure chacune. J'en ai déjà parlé et j'en reparlerai encore parce que c'est excellent.



Ça s'entend parfois (DJ Sprinkles entre autres l'a clairement fait entendre) : la deep house est un genre dansant, mais qui peut aussi volontiers être mélancolique.

La face A d'I Am Woman de Marcellis est chargée de mélancolie, la face B de rancœur. La musique reste dansante, mais il y a toujours quelque instabilité, quelque décalage ici, comme sur “You”, une chanson d'amour qui aurait été passe-partout si elle n'était ainsi dépouillée, lente et toute en bémols. C'est une musique qui ne passe pas toute seule, elle attire l'attention. Un peu plus loin, la très belle “Speakeasy” évoque beauté et solitude avec une élégance minimaliste ; de l'autre côté, il y a “Donnie”, la piste la plus dansante et rythmique du lot, très entraînante mais mue par une rage jalouse. Je ne sais pas à quel point les samples sont présents ici, mais j'ai l'impression qu'il y en a moins que d'habitude pour un disque de house. Marcellis chante lui-même en tout cas.

J'aime beaucoup ce disque, mais je ne peux pas passer sur ses défauts : “Wanderland” et “Dang Me” sont de bonnes pistes, mais des pistes d'arrière-plan, qui auraient nécessité plus de titres à côté pour que le disque soit tout à fait cohésif… Et surtout il y a “Because”, qui a retardé à elle seule d'une bonne année l'écriture de cette chronique. C'est la plus longue piste (onze minutes), et Marcellis commence par y chanter d'une voix aiguë fausse et complètement ridicule sur une instrumentation qui paraît elle aussi à côté de la plaque. Les choses se mettent en place progressivement, puis se déglinguent à nouveau. Là, honnêtement, non, pour moi ça ne fonctionne plus. Cette piste fout presque en l'air l'album à elle seule (d'autant plus que c'est un disque vinyle, donc malaisé de la zapper à moins d'écouter un rip).

J'espère que Marcellis sortira un nouveau disque, parce qu'il a du talent et surtout un style original et touchant. Workshop 16 et I Am Woman (ne me demandez pas pourquoi ce titre) sont des disques imparfaits mais vraiment prometteurs…



Flatland d'Objekt a fait beaucoup parler de lui l'an dernier, à raison. C'est de la techno expérimentale aussi rythmée qu'étrange — on pourrait même y entendre une réinvention de l'IDM, qui partirait de la techno (comme l'ont fait Autechre et Aphex Twin à leurs débuts) pour arriver à une musique plus cérébrale, mais en prenant un autre chemin. Les beats sont très présents, classiques et efficaces, mais ils charrient plein de sons inattendus tout le long ; c'est une danse dans l'inconnu, les sons sont trop abstraits pour m'évoquer réellement quoi que ce soit, mais esthétiquement ils sont très intéressants. Le principe a l'air classique, décrit comme ça, mais la musique ne l'est pas !

C'est sorti chez Pan, le même label qui a sorti KOCH de Lee Gamble (j'en avais parlé il y a quelque temps). Les deux albums se ressemblent un petit peu d'ailleurs, et les deux sont très bons ; KOCH est plus progressif, Flatland plus direct. Je crois que Flatland est encore meilleur, ça fait cinq fois que je l'écoute et il me plaît un petit peu plus à chaque fois.



Je m'en veux de ne pas arriver à mettre des mots sur ce qui me plaît tant chez certains artistes du minimalisme, du « presque rien ». Ce qui fait, surtout, que certains se démarquent vraiment alors que d'autres font de la musique complètement anonyme.

3 Renditions de Yann Novak est, en tout cas, un très bon album dans le genre. C'est la pochette qui m'a donné envie de l'écouter, et elle illustre bien la musique : extrêmement simple en apparence mais belle, des drones et phonographies chatoyantes, et surtout des harmonies changeantes et envoûtantes qui contredisent la froideur de ce genre de sons. Si on regarde ces pistes avec un spectrogramme, on obtient presque des tableaux abstraits. Je ne connais pas encore bien Novak, mais il a collaboré avec Richard Chartier, dont j'aime aussi beaucoup le travail ; ça me rappelle aussi un petit peu les travaux d'Andy Graydon, un autre de mes favoris, en plus abstrait.

L'album est disponible à prix libre ici.



When the Pawn Hits the Conflicts He Thinks like a King What He Knows Throws the Blows When He Goes to the Fight and He'll Win the Whole Thing 'fore He Enters the Ring There's No Body to Batter When Your Mind Is Your Might so When You Go Solo, You Hold Your Own Hand and Remember That Depth Is the Greatest of Heights and If You Know Where You Stand, Then You Know Where to Land and If You Fall It Won't Matter, Cuz You'll Know That You're Right de Fiona Apple coucou coucou c'est ici que finit le titre ! J'aime beaucoup ces chansons, et c'est rare au final que j'accroche tant — et surtout, sans réserve — à un album pop/rock qui a un style aussi classique. J'ai plus tendance à écouter des albums de sons que des albums de chansons, et ça fait du bien aussi de changer un peu. Et oui, j'admets que je n'avais jamais écouté Fiona Apple auparavant. C'est loin d'être le seul disque connu que j'ai découvert depuis la dernière fois d'ailleurs, mais c'est un de ceux où je me suis le plus dit « J'ai bien fait de l'avoir écouté, celui-là ! ».

Je n'écris pas de critique parce que 2457 autres personnes l'ont déjà fait mieux que ce que j'aurais pu le faire. J'évite aussi les demi-blagues mi-nazes sur le titre parce que là encore, on a dû épuiser le sujet depuis longtemps (et que je préfère m'en prendre aux longs titres-tirades jérémiadesques d'Efrim Menuck & co). Je me demande quel pourcentage des auditeurs de cet album l'ont écouté sans en lire le titre en entier, d'ailleurs.



Enfin, si jamais vous avez envie d'un peu d'ultraviolence, je vous conseille l'EP éponyme de Затухание. C'est du black noise, soit un mélange de noise et de black metal — inutile de préciser que ça sature à fond, qu'il y a de la distortion partout et qu'il est à peu près impossible de savoir si les voix sont des paroles ou de simples cris d'orfraie ! Pourtant cette musique n'est pas superficielle : chacune des six pistes a son propre style, parfois proche de l'industriel glauque, parfois du punk rock, parfois d'autres formes de metal ; c'est agressif, brutal, mais ça n'est pas idiot ni vain.

C'est le seul truc jamais sorti par le groupe, ça dure dix minutes et cinquante secondes à tout casser et c'est disponible en téléchargement gratuit. Si ça vous tente, aucune raison d'hésiter.

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