lundi 23 décembre 2019

♪ 88 : Le motif muté des cheveux cuivrés sur cette feuille d'orme


Forest Is Not What It Seems de 2muchachos (groupe russe malgré son nom) donne l'impression d'être dans un conte tiré d'un vieux livre, une histoire magique et inquiétante qui se passerait dans la forêt. C'est de l'ambient acoustique, avec quelques rythmes, un peu de chant, et un livret plein d'illustrations dessinées en sépia qui me donne même envie d'acheter le CD alors que je ne consomme plus que des MP3. À la fois reposant, mélancolique et par moments presque inquiétant.







Stereolab, groupe de pop anglo-français fondé en 1990 par Tim Gane et Lætitia Sadler, est un groupe dont je ne vais pas vous parler ce mois-ci. Je vais plutôt vous présenter The Uncommunity, groupe de musique industrielle qui date de la décennie précédente, où Tim Gane était paraît-il le seul à savoir jouer d'un quelconque instrument ! L'album que j'ai écouté est Ex-Oblivione, sorti sur cassette en 1983 : expérimentations avec boucles sur bandes magnétiques (celles avec des musiques passées à l'envers sont particulièrement réussies), bruitisme, dissonances, samples chelous, toutes les fondations du genre sont là, c'est même assez typique et pourtant il y a une sensibilité mélodique et rythmique là-dedans qui se démarque d'autres projets du genre (on est à la fois proches et loin de Throbbing Gristle par exemple, qui se réclamait faire de l'« anti-musique »). (Est-ce que j'aurais pensé ça si j'avais écouté le disque sans savoir le lien avec Stereolab, ou si j'avais moins l'habitude d'écouter de l'industriel ? Trop tard pour le savoir maintenant !)





À mi-chemin entre l'ambient house vaporeuse, émotionnelle et spirituelle de DJ Healer (encore un projet signé Prince of Denmark) et la vague de drum'n'bass très atmosphérique et cinématographique de Skee Mask, Djrum ou Autonomic, j'ai un album à vous conseiller : The Ambientist 1-10. Si vous aimez la dance music mais que vous avez envie de vous plonger dans un bain sonore réconfortant, c'est tout indiqué ! Pas de paysages ni de scènes à couper le souffle ici : le son est lo-fi, sans prétention, mais intime et très juste. Une sortie plutôt confidentielle, en éditions de cinquante cassettes (les premières n'avaient même pas de pochette).





Ça fait depuis les années 70 (!) que les briscards de Negativland croquent notre société avec leurs collages musicaux, et le concept n'a pas pris une ride — il est peut-être même encore plus pertinent aujourd'hui. True False traite entre autres de la culture du bonheur en entreprise, de la toute-puissance des billionnaires transhumanistes, de la désinformation jusqu'à l'effondrement annoncé de notre civilisation — bref, des sujets anxiogènes dont on entend parler tous les jours, mais cernés sous leurs angles les plus absurdes, poussés jusqu'au quasi-non-sens, avec une bonne dose d'humour. Ce disque peut être désespérant, hilarant ou les deux en même temps.

(Questions subsidiaires : la musique est-elle une forme de fiction ? Les albums de Negativland sont-ils des documentaires ?)





Et pour rester dans un trip décadence et fin de civilisation, vous connaissez DJ Bus Replacement Service ?

Son mix pour Resident Advisor en 2018 est une expérience mémorable. Pas tant au début, où elle passe simplement les pistes dont elle a envie (genre Sir Mix-a-Lot → Einstürzende Neubauten), le rythme cahote sans trop se réveiller, ça fait très amateur, sympathique mais on pourrait s'ennuyer un peu. Les choses sérieuses commencent quand la musique s'arrête de l'être, à commencer par la piste de rap sur Mussolini. Suivent “Roxanne” de The Police de Youtube où quand le mec dit “Roxanne” ça va plus vite, une reprise de Depeche Mode par une fanfare scolaire qui enchaîne sur un pastiche intitulé “Alan Charles Wilder Is Never Coming Back to Depeche Mode”, et là elle ne s'arrête plus, on part de plus en plus loin vers l'improbable, le moteur est en flammes et on fait des loopings bancaux dans tous les sens, l'artiste dynamite le reste des frontières qui pourraient encore subsister entre sérieux, pastiche, humours et horreurs, je ne divulgue pas plus mais ce programme qui commençait comme un petit délire amateur finit par devenir un spectacle d'humour noir à la fois désopilant et traumatisant.

Avec une meilleure technique, un groove nettement plus efficace et téléchargeable (parce que le mix RA n'est dispo qu'en streaming ou alors j'ai pas vu comment faire), il y a aussi Sheffield February 2018. Pas de craquage absolu ici mais on reste dans un éclectisme sans limites, avec un chien qui chante, une liste de courses récitée en rythme et en duo avec l'annonceur de Mortal Kombat ou encore des rageux qui hurlent « FUCK » en reprenant le thème de Tetris façon gabber. C'est de la bonne.

Enfin, je ne l'ai pas encore écouté mais sur 8th April 2019, elle mixe exclusivement des remixes de “Ice Ice Baby” pendant une heure.

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