jeudi 31 mai 2018

♪ 69 : La mort par flétrissure du sphinx crayonné du quatrième étage

Rainbow of Death est une déflagration multicolore de powerviolence pop, une salve de douze pistes en-dessous de 40 secondes où hurlements féroces et guitares du chaos sont suivis tout naturellement par des « pa-pa-pala-pa ! ♫ » — le tout suivi d'un grand final en plusieurs mouvements avec solos qui dure carrément trois minutes trente-cinq. Plaisir d'écoute : 10/10.

Détail amusant, il s'agit d'un projet alternatif d'un groupe de funeral doom metal appelé Monarch!, donc avec des pistes longues, a priori lentes et sombres. J'écouterai ça une autre fois ! En attendant, j'écoute Rainbow of Death en boucle. C'est dur de s'arrêter.

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١

Just as I Am de Bill Withers est un magnifique album de soul (un classique ? peut-être, beaucoup de gens disent qu'il mériterait d'être plus connu). L'artiste a une voix superbe, ses chansons sont subtilement accrocheuses et surtout très émouvantes, avec retenue et élégance ; quand Withers s'autorise un petit effet, comme le break sur “Ain't No Sunshine”, c'est toujours à bon escient. Il y a un peu d'influences folk là-dedans aussi, comme sur la minimaliste “Hope She'll Be Happier”.




٢

Ce que fait Yikii parlera à qui a passé son adolescence (et plus) à explorer des mondes imaginaires, à tenir un journal intime où déverser son vague à l'âme, ses angoisses et ses dessins bizarroïdes. Ce sont ses pochettes qui m'ont donné envie d'écouter ; pas toutes, mais celle de son mini-EP de reprises avec la zombie à couettes par exemple, on dirait une capture d'écran d'un cauchemar ! Dans sa musique, on trouve du mignon torturé, du psychédélisme, de l'expressionnisme… parfois on dirait la bande son d'un jeu vidéo d'aventure-horreur, avec du piano, des sons plus ou moins bizarres, quelques paroles sussurées en mandarin. Le genre d'univers que j'aime beaucoup explorer. Tout sonne amateur, quelquefois un peu brouillon et on peut reprocher à l'artiste d'abuser du pathos et des “la la la” fragiles sur certains disques, mais elle a aussi plein d'idées qui fonctionnent carrément, de belles mélodies et un style personnel, original et varié qui me parle.

Tous ses disques ont un thème ; parmi ceux que j'ai écoutés, je recommande en priorité a sleeping girl (« disque d'hallucinations », peut-être le plus abouti, moins sombre que les autres) et  chaos dream (sur l'impossibilité de trouver du sens, plus agressif avec quelques influences techno, indus et noise, mais aussi un beau final avec piano et chant).

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٣

Mark Fell, artiste de glitch connu notamment au sein du duo SND, s'est mis à la house en 2012 en collaborant avec DJ Sprinkles, puis en sortant des EPs sous l'alias Sensate Focus. Des disques réalisés entièrement avec l'outil « crayon » dans le logiciel Digital Performer (ne m'en demandez pas plus, je n'y connais rien), disons house expérimentale avec des éléments de glitch et de juke, juste assez découpée pour former des sortes de syncopes. Le genre de dance music oblique, à la croisée de la piste de danse, du psychédélisme et des expériences pour nerds. J'ai particulièrement accroché au n° 5 pour le moment, mais les autres valent le coup aussi.

Les vinyles sont livrés avec un crayon de papier.

(Et si vous voulez un album complet, il y a Sentielle Objectif Actualité, signé Mark Fell plutôt que Sensate Focus, qui consiste en sept remixes de la série.)

▷ Bleep

٤

Riddles of the Sphinx de Mike Ratledge est la bande son d'un film expérimental sorti en 1977. Cette musique captive, intrigue et hante, en dix « séquences » répétitives d'électronique progressive qui hypnotisent en douceur (pensez un peu à Tangerine Dream mais en plus sobre, dépouillé, répétitif, avec une certaine ambiguité). Les fragments parlés issus du film laissent imaginer une histoire intéressante, avec allégories et rêves ou événements surnaturels, symbolique, politique ; je n'ai pas encore regardé le film… en partie parce que j'aime bien l'imaginer moi-même et garder le mystère pour le moment.

“I was looking at an island in the glass. It was an island of comfort in a sea of blood. It was lonely on the island. I held tight. It was night and, in the night, I felt the past. Each drop was red. Blood flows thicker than milk, doesn't it? Blood shows on silk, doesn't it? It goes quicker. Spilt. No use trying. No use replying. Spilt. It goes stickier. The wind blew along the surface of the sea. It bled and bled. The island was an echo of the past. It was an island of comfort, which faded as it glinted in the glass.”

(J'ai appris en tapant ce paragraphe que Mike Ratledge est plus connu pour être membre de Soft Machine. J'ai bien Third sur mon ordinateur mais je ne l'ai écouté qu'une fois sans qu'il me donne envie d'y revenir ; Riddles of the Sphinx n'y ressemble pas.)

▷ Bandcamp

٥

Fatboy Slim, vous connaissez, vous serez d'accord ou pas si je vous dis qu'il va du génial au gonflant. En tout cas, c'est l'un des seuls artistes qui arrive à me faire non seulement avaler mais aimer du skank (ce rythme à contre-temps des musiques jamaïcaines). J'ai entendu dire que son mix de la série On the Floor at the Boutique était le meilleur disque qu'il ait signé, et je dois dire qu'il me plaît carrément ! Comme celui de Jacques lu Cont dont je parlais l'autre mois, il pourrait faire aimer l'EDM aux fans de pop.

Pas de temps à perdre, on commence tout de suite par un refrain — d'une chanson qu'on ne retrouvera en entier que cinq minutes plus tard — tout de suite suivie des cuivres funk, une référence à Funkadelic sur des lignes de 303, du cut-up, ça danse dans tous les sens, un melting-pot de plein de genres. Dans la seconde moitié, on a droit (après une piste assez laide qui sont le seul point faible du disque) à un changement de style temporaire mais radical : il y avait déjà de l'acid avant, mais les cinq minutes en apnée sur “Acid Enlightenment” d'Aldo Bender tiennent de l'extrémisme ; certains adoreront et d'autres détesteront. (En passant, la piste originale, plus fournie, vaut l'écoute.) C'est même un soulagement d'enchaîner sur le hip hop pourtant très tendu de “Psychopath” de Hardknox… et quand cette tension-là finit par claquer d'un coup, on revient tout de suite à un groove beaucoup plus funky et mélodique, ça fait du bien. Quant au final, il est remarquable : Fatboy Slim fait anticiper son “Rockafeller Skank” plusieurs pistes à l'avance, avec une série d'autres sons qui lui ressemblent de plus en plus. On a beau connaître la piste par cœur, elle n'a jamais sonné aussi bien qu'ici.

▷ Mixcloud

٦

Avant toute autre chose, il vaut peut-être mieux dire que The Fourth Bully de /f est un très bon album d'improvisation libre électro-acoustique, avec une bonne dose de glitch et, selon les pistes : saxophone alto, violon, double basse, piano. (Il paraît qu'il y a une vocaliste aussi mais je ne me souviens pas l'avoir entendue.) Que si cet album a de longues plages dissonantes (surtout “girl who has led a sheltered life I”), il est aussi très vivant, avec de grandes gestuelles imprévisibles et même quelques rythmes très prenants (sur “出社して目が覚めて金曜日上司に言われます!” et “Oil Torture”).

Voilà. Mais ces titres, ce nom, la tortilla sèche et les composants électroniques inclus dans la version physique de l'album, ça paraît complètement aléatoire et pourtant ça intrigue ; il y a un sens à tout cela ?

… Probablement pas. Et l'explication pourrait venir du label : d'après un entretien avec l'artiste (effacé sur le site original mais accessible via archive.org), Psalmus Diuersae est un collectif complètement anarchique et chaotique. /f alias Perry Trollope l'a créé, puis donné le mot de passe à des amis, musiciens et autres, en les encourageant à tout modifier comme bon leur semble. Il n'y a aucune règle, et des disques apparaissent, sont renommés, changent ou disparaissent inopinément sans aucune explication. Trollope dit être étonné que personne n'ait décidé de tout effacer. Ce qui m'étonne le plus pour ma part, c'est qu'un vrai bon disque soit sorti d'un tel projet ! Qu'est-ce qui là-dedans est bien l'œuvre de Trollope, y a-t-il eu des modifications et, si oui, lesquelles ? Allez savoir. Tout est instable. Bienvenue au vingt-et-unième siècle.

La dernière fois que j'ai regardé, The Fourth Bully était encore disponible sur Bandcamp à prix libre. Allez savoir pour combien de temps encore.

▷ Bandcamp
▷ Psalm.us

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