“Sticky” était une de mes chansons préférées l'an dernier : syncopée, espiègle, élastique avec un chant en transformation perpétuelle qui ne rate jamais sa cible, une véritable perle. L'EP entier (Crush) est sorti : pas de miracle, “Sticky” reste la meilleure piste dessus, mais “Closer” la suit étonnamment bien en déclinant ce style de r'n'b sur un rythme plus lent et langoureux. Les trois pistes suivantes sont bonnes aussi mais éclipsées par les deux premières ; prenez-vous le single ou l'EP, à vous de voir, mais jetez-y une écoute si vous aimez le r'n'b ! (À noter que tout est produit par Steve Lacy.)
༡
Injuries d'Angles 9 : neuf musiciens dont cinq cuivres, je ne m'y connais pas en big band mais si ça ressemble souvent à ça, il va falloir que je m'y mette. Les deux premières pistes sont bougrement entraînantes, des concentrés d'énergie avec quelques influences folkloriques sur “Eti” il me semble ; on change totalement de registre sur “A Desert on Fire, a Forest / I've Been Lied To”, passage mémorable à travers une nuit si dense qu'on dirait presque du dark jazz. La lumière revient tout progressivement à la fin pour éclairer une scène désolée, et le groupe d'enchaîner, sans que ça paraisse incongru, sur la très dansante “Ubabba”. La piste-titre, plus tard, commence à brouiller les lignes mais garde son énergie malgré le chaos ; et “Compartmentalization” finit sur la note la plus rythmée. Irréprochable, du moins à mes oreilles.
༢
Le trois mars, c'est l'Acid Day, où l'on célèbre le fameux synthétiseur TB-303 qui a donné son son à l'acid house, l'acid techno, l'acid trance etc. (Ça aurait plus de sens de fêter ça le 30 mars du coup, mais bon, les Américains..!) Du coup ce jour-là je me suis fait une journée 100% TB-303. Une recommandation au pif parmi les disques que j'ai écoutés : Off the Leash de Textasy, un artiste qui a le vent en poupe ces derniers temps. “Illusions of the Mind” est un très bel hommage à l'electro de Cybotron qui incorpore une mélodie orientalisante et même à la fin un solo de guitare déformé vers la fin ; l'artiste envoie ensuite de la techno plus lourde mais qui ne manque ni de finesse ni d'une pointe d'humour, comme sur “Acid Bleach (i live with my mom edit)”… et surtout “Bustanut”, hommage à un certain aspect de la sexualité masculine qui dépasse sans difficulté son aspect comique parce qu'elle cartonne sur tous les points.
༣
D'habitude, j'aime tout particulièrement les montées en puissance, mais c'est étonnant de voir à quel point la stratégie inverse fonctionne sur Fabriclive 50: Autonomic de dBridge et Instra:mental. Il faut dire que c'est un mix particulièrement tranquille. Ainsi, les deux artistes commencent tout de suite par un petit bijou accrocheur et mélancolique, “Seems Like” de Riya… et les huit pistes suivantes se déroulent comme une longue coda, rythmée mais surtout atmosphérique, qui évolue si progressivement et de manière si cohérente qu'il faut vraiment tendre l'oreille pour savoir où les pistes commencent et finissent. Pourtant les couleurs changent, tour à tour plus froides, plus calmes… et on se rend à peine compte que c'est de la drum'n'bass, vu à quel point c'est posé. Avant que le souffle ne finisse par retomber, on relance un coup le mix avec un hybride, a capella de r'n'b (chœurs inclus) combiné à des beats d'n'b. La suite alterne joliment entre explorations atmosphériques et hooks parcimonieux qui tombent toujours à point nommé. C'est un des mixes les plus fluides que j'ai pu écouter, qui donne beaucoup sans en avoir l'air.
༤
Alors évidemment, après ça, j'ai écouté l'album de Riya. C'est un album de collaborations dans l'ordre inverse de l'habituel : Riya y assure toujours le chant, mais chaque piste est produite par un autre artiste. Parfois ils s'y mettent carrément à trois, mais il faut être honnête, les beats de drum'n'bass classique, c'est aussi efficace qu'impersonnel ; la plupart des producteurs sont interchangeables, ce sont bien les chansons qui font la différence (et si on se focalise là-dessus, l'album prend presque des airs de r'n'b). Le plaisir d'écoute est là en tout cas.
Là où j'accroche moins, ce sont sur les quelques pistes qui usent de ce son de basse déformé lourd, dissonant et vulgaire (que tout le monde a déjà dû entendre dans le dubstep). Et pourtant… il y a une piste en particulier, “I Don't Need” (co-signée Break), qui ne s'en prive pas mais joue si bien avec les contrastes (piano et basse à mi-vitesse contre progression lente contre synthés et percus frénétiques, chant qui tourne en rond avant de s'envoler contre grosse basse qui tache…) que ça en devient carrément ma préférée. Comme quoi.
༥
Le club expérimental de RYM a ressuscité (et je vais recommencer à parler de mes préférés). Casse-tête de Bernard Bonnier est un album qui prouve qu'on peut donner dans l'expérimentation sans bouder les plaisirs immédiats : chaque piste est un assemblage insolite d'éléments disparates qui confinent à l'absurde, créent ensemble des scènes évocatrices — et surtout sont carrément rythmés. Ça ressemble à certains passages de Nurse with Wound, sans noirceur et sans temps morts. En fait, Casse-tête est meilleur que la plupart des albums de Nurse with Wound.
Dommage que l'artiste n'ait sorti que cet album-là ! Mais il a aussi collaboré avec Pierre Henry, il faudra que je jette une oreille aux disques sur lesquels il a joué.
༦
Non, John Cassavetes n'a pas à ma connaissance composé de musique. Ekkehard Ehlers Plays n'est pas, comme je l'ai cru au départ, un disque d'interprétations (d'ailleurs je me demanderais bien à quoi ressembleraient les partitions de ces musiques !) ; c'est une série d'hommages à Cornelius Cardew¹, Hubert Fichte², John Cassavetes³, Albert Ayler⁴ et Robert Johnson⁵. Et un disque dont on ne fait pas le tour facilement.
Si la première piste de Cornelius Cardew est très belle avec son orgue calme et ses petits sons de-ci de-là, la deuxième exprime ce même calme avec un torrent qui enveloppe (et un sample en arrière-plan que je connais mais que je n'arrive plus à replacer). Les pistes pour Hubert Fichte sont plus étranges et prennent volontiers à rebrousse-poil, en fait la seconde est le seul passage que je n'aime pas sur la compilation. John Cassavetes a droit à vingt minutes de superbe “fuzzy ambient” qui fait partie du meilleur que l'on peut trouver dans le genre, avec une boucle de violon du plus bel effet (que vous reconnaîtrez sans doute) ; pour Albert Ayler, on sort les violoncelles et on glitche tout, et on continue d'enchaîner les surprises jusqu'à la fin.
En cherchant des informations sur l'artiste, j'ai vu qu'il a aussi sorti un album de blues, étudié Theodor Adorno et travaillé avec les Red Hot Chili Peppers (groupe que je n'aurais jamais pensé citer). Éclectique, décidément.
¹ D'après Wikipédia, un compositeur communiste qui renonça à la musique expérimentale en cours de carrière pour se consacrer à une musique politique. ² Écrivain. ³ Cinéaste. Vous, vous le connaissez sans doute ; moi pas encore. ⁴ Jazzman. ⁵ Bluesman. (Heureusement que je l'écris, je me rends compte que j'avais confondu avec Daniel Johnston jusqu'à présent.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire