Le Projet (ou Bangkok Projekt) du collectif -∆t, fondé en 1978, consista à transporter un bloc de granite de cinq tonnes et demie d'Europe jusqu'en Asie. Ce qui prit deux ans aux trois membres, pendant lesquelles ils travaillèrent, se documentèrent, réalisèrent diverses performances et… et je suppose qu'ils concevirent ce disque à partir d'enregistrements pris en route, même si aucune des (trop rares) pages que j'ai consultées sur le groupe n'en fait mention ! Il y aurait bien les liner notes, mais elles sont scannées bien trop petit sur Discogs pour être lisibles, et le disque est épuisé. Tant pis.
En tout cas, on y entend des collages en général courts, avec un, deux ou trois enregistrements (de quels pays ? à vous de le deviner). De la musique, des chants religieux ou populaires, un gamin qui chante “Dallas” (le générique de la série ?) en tentant d'imiter les instruments à la bouche, des mecs qui répètent “bugo schligo bugo schligo bugo schligo” (allez savoir ce que ça signifie)… Plus qu'un carnet personnel ou qu'un documentaire, c'est une série de montages pleins d'esprit qu'on entend. Parfois, c'est beau. Parfois, c'est franchement drôle (sans que je puisse toujours expliquer pourquoi). Parfois, c'est étrange et frappant.
Ma piste préférée (pour n'en citer qu'une, il y en a vingt-six) est “Excuse Me”, qui superpose un chant religieux entonné par des fidèles dans un temple et un cours audio où une femme répète plein de phrases basiques similaires pour apprendre à s'excuser en anglais sur un ton monotone ; c'est tout simple mais l'effet est aussi fort qu'indescriptible.
Clonic Earth de Valerio Tricoli est une plongée dans un monde faussement aseptisé, aux couleurs étranges, rempli de monstres. Ça me rappelle un peu Nurse with Wound, mais sans le désordre et l'inspiration dadaïste ; on n'est plus dans un bric-à-brac de grenier où les jouets côtoient les aberrations lovecraftiennes, mais dans un laboratoire où étrangetés électro-acoustiques et horreurs samplées nous regardent dans les bocaux.
Je pense qu'il est tout aussi possible de trouver ce disque froid et purement expérimental que de le trouver absolument terrifiant. Et la pochette qui me fait penser à une pub pour du parfum ou autre produit de mode ou de beauté ajoute encore à l'étrangeté.
Sur मेम वेर्म [mema verma] de Giovanni Lami, on entend d'abord une shruti box manipulée sans être jouée. D'habitude, ces assemblages de matériaux que sont les instruments émettent des sons qu'on dirait immatériels, détachés de toute cause perceptible ; ici, c'est entièrement l'inverse, les claquements, frottements, pressions que l'on entend sont résolument concrets — et il est difficile de savoir à quel point ils sont accidentels ou pas.
Mais les enregistrements sont édités, transformés, et ça donne quelque chose d'aussi paradoxal que prenant ; une sorte de poésie de la matière, de l'illusion et de la manipulation.
Sur la deuxième piste, les harmoniques se font plus musicales et les sons commencent à m'évoquer un bateau : les rames, l'eau, la vapeur. Plus loin, un passage me fait penser à plein de crayons qui dessineraient en même temps. Et la shruti box est jouée sur la troisième et dernière piste, qui se rapproche plus de drone classique. En fait, tout le disque devient de plus en plus musical au sens classique du terme… tout en n'offrant quasiment aucune résistance au niveau des compositions ; l'exact opposé de ces musiques que l'on peut fredonner, chanter ou reprendre avec toute voix ou tout instrument. C'est un disque qui procure des sensations complexes et inhabituelles, je l'ai beaucoup écouté. Tout au plus peut-on lui reprocher d'être court.
Bonsoir, j'ai écouté And Then Nothing Turned Itself Inside-Out de Yo La Tengo et c'est un bon disque, mais vous n'auriez pas la même chose en plus dissonant, s'il vous plaît ? Plus de mystère, plus de suggestion et de pénombre, moins de chaleur, moins de lumière. Des silences aussi, pourquoi pas. J'aime l'ambiguité d'“Everyday”, moins la tendresse et le son pop de la plupart des chansons qui suivent.
Cette première piste me donne envie de chansons fantômes, qui glacent autant qu'elle séduisent. On est à une croisée des chemins en ce début de disque, une introduction qui colore tout le disque en bleu nuit et me fait espérer le meilleur ; mais le groupe part trop résolument dans l'autre direction, on voit de moins en moins la nuit, on se réchauffe, on se réchauffe encore et je commence à zapper des pistes. Pour me rendre compte que non, décidément, on ne reviendra pas de l'autre côté.
And Then Nothing Turned Itself Inside-Out est un bon disque, certes. Assez réussi pour que je puisse apprécier et même recommander cette pop indé résolument nocturne, qui ne décevra que peu de monde sans doute. Mais il me donne envie de chercher un autre disque apparenté, qui partirait dans l'autre sens.
Le disque pour danser du mois (je pense que je vais en rajouter un à chaque fois, sans commentaire parce que ce n'est pas vraiment une musique qui se décrit ou s'analyse) : Vol. 2 (Forward) de S3A.
Je ne sais rien du tout sur Audrey Chen, je n'avais jamais entendu parler d'elle — c'est la durée de ce disque (22 minutes), son packaging et son nom qui m'ont donné envie de l'écouter. Glacial : violoncelle, voix et sons électroniques. Si vous n'aimez pas les femmes qui s'égosillent ni les sons dépouillés atonaux, vous risquez de ne pas aimer ! Deux notes de violoncelle répétées forment une boucle rythmique on ne peut plus frugale, sur laquelle l'artiste joue, chante, hurle, se lamente, et fait entendre des grincements comme autant d'éboulis, de matières tendues sur le point d'éclater. Je ne dirais pas que cette musique est glaciale, ça ressemble plutôt la réaction de l'artiste dans un environnement qui le serait. Il y a un paradoxe dans cette musique, à la fois intense et très contenue.
Et puis je vous recommande vivement (même si je sais que ça fera fuir 99 % des gens) Tea Chairs, un triple album de trance psychédélique bizarroïde. Plus précisément, c'est du “Suomisaundi” (« son finlandais »), un type de trance qui se démarque par son caractère expérimental et volontiers humoristique qui part dans tous les sens. Et qui vient donc de Finlande, sauf ce disque-là, qui vient d'un peu à côté, en Australie.
C'est d'une originalité étonnante, sans production maximaliste ni longueurs, sans rien de primaire, avec plein de sons inattendus, des compos qui tiennent sérieusement la route… et surtout, avec un psychédélisme incroyable. Bienvenue dans l'univers des drogues hallucinogènes, on vous déroule le grand tapis arc-en-ciel ! Même si le disque dure trois heures, il est tellement barré que j'ai du mal à m'arrêter — quand ce ne sont pas les beats ou les mélodies qui m'accrochent, c'est l'inventivité de la musique. En général, ce sont les trois.
Non, je n'ai pas pu trouver la pochette en plus grand, et le disque semble épuisé partout, introuvable sauf en VBR sur Soulseek. [edit — Il est sorti sur Bandcamp !] Je me répète, mais il vaut le coup.
En tout cas, on y entend des collages en général courts, avec un, deux ou trois enregistrements (de quels pays ? à vous de le deviner). De la musique, des chants religieux ou populaires, un gamin qui chante “Dallas” (le générique de la série ?) en tentant d'imiter les instruments à la bouche, des mecs qui répètent “bugo schligo bugo schligo bugo schligo” (allez savoir ce que ça signifie)… Plus qu'un carnet personnel ou qu'un documentaire, c'est une série de montages pleins d'esprit qu'on entend. Parfois, c'est beau. Parfois, c'est franchement drôle (sans que je puisse toujours expliquer pourquoi). Parfois, c'est étrange et frappant.
Ma piste préférée (pour n'en citer qu'une, il y en a vingt-six) est “Excuse Me”, qui superpose un chant religieux entonné par des fidèles dans un temple et un cours audio où une femme répète plein de phrases basiques similaires pour apprendre à s'excuser en anglais sur un ton monotone ; c'est tout simple mais l'effet est aussi fort qu'indescriptible.
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Clonic Earth de Valerio Tricoli est une plongée dans un monde faussement aseptisé, aux couleurs étranges, rempli de monstres. Ça me rappelle un peu Nurse with Wound, mais sans le désordre et l'inspiration dadaïste ; on n'est plus dans un bric-à-brac de grenier où les jouets côtoient les aberrations lovecraftiennes, mais dans un laboratoire où étrangetés électro-acoustiques et horreurs samplées nous regardent dans les bocaux.
Je pense qu'il est tout aussi possible de trouver ce disque froid et purement expérimental que de le trouver absolument terrifiant. Et la pochette qui me fait penser à une pub pour du parfum ou autre produit de mode ou de beauté ajoute encore à l'étrangeté.
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Sur मेम वेर्म [mema verma] de Giovanni Lami, on entend d'abord une shruti box manipulée sans être jouée. D'habitude, ces assemblages de matériaux que sont les instruments émettent des sons qu'on dirait immatériels, détachés de toute cause perceptible ; ici, c'est entièrement l'inverse, les claquements, frottements, pressions que l'on entend sont résolument concrets — et il est difficile de savoir à quel point ils sont accidentels ou pas.
Mais les enregistrements sont édités, transformés, et ça donne quelque chose d'aussi paradoxal que prenant ; une sorte de poésie de la matière, de l'illusion et de la manipulation.
Sur la deuxième piste, les harmoniques se font plus musicales et les sons commencent à m'évoquer un bateau : les rames, l'eau, la vapeur. Plus loin, un passage me fait penser à plein de crayons qui dessineraient en même temps. Et la shruti box est jouée sur la troisième et dernière piste, qui se rapproche plus de drone classique. En fait, tout le disque devient de plus en plus musical au sens classique du terme… tout en n'offrant quasiment aucune résistance au niveau des compositions ; l'exact opposé de ces musiques que l'on peut fredonner, chanter ou reprendre avec toute voix ou tout instrument. C'est un disque qui procure des sensations complexes et inhabituelles, je l'ai beaucoup écouté. Tout au plus peut-on lui reprocher d'être court.
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Bonsoir, j'ai écouté And Then Nothing Turned Itself Inside-Out de Yo La Tengo et c'est un bon disque, mais vous n'auriez pas la même chose en plus dissonant, s'il vous plaît ? Plus de mystère, plus de suggestion et de pénombre, moins de chaleur, moins de lumière. Des silences aussi, pourquoi pas. J'aime l'ambiguité d'“Everyday”, moins la tendresse et le son pop de la plupart des chansons qui suivent.
Cette première piste me donne envie de chansons fantômes, qui glacent autant qu'elle séduisent. On est à une croisée des chemins en ce début de disque, une introduction qui colore tout le disque en bleu nuit et me fait espérer le meilleur ; mais le groupe part trop résolument dans l'autre direction, on voit de moins en moins la nuit, on se réchauffe, on se réchauffe encore et je commence à zapper des pistes. Pour me rendre compte que non, décidément, on ne reviendra pas de l'autre côté.
And Then Nothing Turned Itself Inside-Out est un bon disque, certes. Assez réussi pour que je puisse apprécier et même recommander cette pop indé résolument nocturne, qui ne décevra que peu de monde sans doute. Mais il me donne envie de chercher un autre disque apparenté, qui partirait dans l'autre sens.
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Le disque pour danser du mois (je pense que je vais en rajouter un à chaque fois, sans commentaire parce que ce n'est pas vraiment une musique qui se décrit ou s'analyse) : Vol. 2 (Forward) de S3A.
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Je ne sais rien du tout sur Audrey Chen, je n'avais jamais entendu parler d'elle — c'est la durée de ce disque (22 minutes), son packaging et son nom qui m'ont donné envie de l'écouter. Glacial : violoncelle, voix et sons électroniques. Si vous n'aimez pas les femmes qui s'égosillent ni les sons dépouillés atonaux, vous risquez de ne pas aimer ! Deux notes de violoncelle répétées forment une boucle rythmique on ne peut plus frugale, sur laquelle l'artiste joue, chante, hurle, se lamente, et fait entendre des grincements comme autant d'éboulis, de matières tendues sur le point d'éclater. Je ne dirais pas que cette musique est glaciale, ça ressemble plutôt la réaction de l'artiste dans un environnement qui le serait. Il y a un paradoxe dans cette musique, à la fois intense et très contenue.
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Et puis je vous recommande vivement (même si je sais que ça fera fuir 99 % des gens) Tea Chairs, un triple album de trance psychédélique bizarroïde. Plus précisément, c'est du “Suomisaundi” (« son finlandais »), un type de trance qui se démarque par son caractère expérimental et volontiers humoristique qui part dans tous les sens. Et qui vient donc de Finlande, sauf ce disque-là, qui vient d'un peu à côté, en Australie.
C'est d'une originalité étonnante, sans production maximaliste ni longueurs, sans rien de primaire, avec plein de sons inattendus, des compos qui tiennent sérieusement la route… et surtout, avec un psychédélisme incroyable. Bienvenue dans l'univers des drogues hallucinogènes, on vous déroule le grand tapis arc-en-ciel ! Même si le disque dure trois heures, il est tellement barré que j'ai du mal à m'arrêter — quand ce ne sont pas les beats ou les mélodies qui m'accrochent, c'est l'inventivité de la musique. En général, ce sont les trois.
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