Inscapes from Exile d'Elodie Lauten s'inspire du Nouveau Mexique, où l'on trouve aussi bien des traces de civilisations préhistoriques que des industries de pointe, des paysages désertiques spectaculaires, des villages abandonnés et des gens qui affirment avoir vu des extraterrestres ou des soucoupes volantes… On peut se demander quelle place y a l'humain.
L'artiste retranscrit très bien ses impressions en musique, avec des synthétiseurs calmes mais étranges qui s'épandent sur des pistes de dix minutes, des mélanges d'assonances et de dissonances, des rythmes carillonnants aux airs artificiels et hypnotiques, un long poème inattendu. De longues pistes, souvent. Émerveillement, éloignement, mystère, léger malaise et solitude, un bel album très ancré dans un territoire étrange.
L'artiste retranscrit très bien ses impressions en musique, avec des synthétiseurs calmes mais étranges qui s'épandent sur des pistes de dix minutes, des mélanges d'assonances et de dissonances, des rythmes carillonnants aux airs artificiels et hypnotiques, un long poème inattendu. De longues pistes, souvent. Émerveillement, éloignement, mystère, léger malaise et solitude, un bel album très ancré dans un territoire étrange.
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Psychology of Colour d'Ouvala est un très bon album d'ambient conçu en partie avec des enregistrements endommagés par des dégâts des eaux. La musique commence avec une beauté chatoyante, qui oscille doucement entre assonance et dissonance, particulièrement réussie ; puis au fil des pistes, des textures apparaissent, quelques percussions, et de plus en plus d'erreurs réinterprétées en constructions (un glitch répété devient un rythme ou une boucle)… l'album va du paisible à l'étrange puis au chaotique, jusqu'au bruit sur la piste-titre, avant de se terminer sur une note apaisée.
… Mais c'est traître, de décrire le disque de cette manière, parce que ça laisse imaginer que Psychology of Colour vaudrait le coup surtout pour cette valorisation de la décomposition. En fait, même les passages « propres » sont très beaux, et l'album aurait été remarquable rien qu'avec eux. C'est simplement que je n'aurais pas pu le décrire aussi facilement, et qu'il m'aurait fallu m'étendre sur un sentiment finalement peu traduisible en mots.
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C'est Halloween demain, et si vous avez envie de flipper un peu, je vous conseille Pearl Drills. Une demi-heure de déshumanisation brute : des enregistrements divers trouvés ici et là — une femme qui chante, un homme qui semble tester son matériel, des conversations, frère Jacques… bref, des bribes de quotidien tout à fait innocentes et anecdotiques, mais déteriorées par l'usure, accompagnées par un bruit de fond impassible dans un silence de mort. Aucun message, aucune structure apparente, aucun accompagnement — c'est peut-être l'habitude d'entendre ça dans d'autres médias, mais ça suffit à mettre mal à l'aise. Et puis, face B, les choses empirent : ça devient de plus en plus bruyant, les voix se déforment de manière grotesque et infernale. Une représentation sonore de l'enfer. Bref, c'est un disque d'horreur.
… Mais comme ce n'est que du son, ça pourra soit vous prendre aux tripes, soit ne rien vous faire du tout (auquel cas l'intérêt de cet album sera à peu près nul).
(Sinon, parmi les disques qui font peur que je connais, il y a Scott Walker, Bohren & der Club of Gore, Shinkiro, Soliloquy for Lilith ou Homotopy to Marie de Nurse with Wound, Throbbing Gristle en général, Khanate…)
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À celles et ceux qui aiment la house, je recommande de jeter une oreille à ce que font les Parisiens de chez D.KO ! L'EP multi-artistes Cœur d'Artichaut (le premier que j'ai entendu) est excellent, Join the Groove est très bon aussi, et dans une veine un peu plus fantaisiste j'aime beaucoup ce que fait Mézigue, qui gagne un point bonus pour ses titres et pochettes (mention spéciale à “Du Son pour les Gars Sûrs”, avec sa voix de dessin animé incongrue qui aurait pu être gonflante et qui est au final très bien trouvée, sur une piste excellente par ailleurs — [edit] oh et puis à “Mangeur de Pez Germain” aussi ! —). Je découvre encore, et au hasard en plus, mais eux-mêmes ne font que commencer et c'est très prometteur !
J'ai découvert ça grâce à la Chinerie, un groupe de puristes passionnés qui cherchent les perles rares et en postent plein tout le temps sur Youtube et Facebook (faut regarder leurs pages spécialisées : Chineurs de House, de Techno, des Origines etc.). C'est une mine d'or.
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Alors on dépense des milliards en campagnes de prévention contre la drogue, et là, pouf, les deux hurluberlus de Shpongle (dont l'un a 74 ans, quand même) débarquent et réduisent ces efforts à néant. J'ai commencé par écrire « à néon », c'est bon signe.
Nothing Lasts… But Nothing Is Lost, c'est un trip planétaire à travers la psytrance ultra-psychédélique, une musique qui prend une bonne dose de DMT et des influences de partout, entre les chants d'un pays, les instruments d'un autre, une intensité protéiforme impressionnante. Et on passe par la joie, l'étonnement, la mélancolie parfois, la paix, c'est un feu d'artifice, un truc de techno-hippies qui voient tout l'univers en même temps dans la cinquième dimension. Si on entre dans le trip, franchement, c'est assez génial. Sinon, euh, je ne sais pas !
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Un pendant de Shpongle sur le territoire du rock pourrait être Ozric Tentacles. Du joyeux space rock instrumental plein d'effets spéciaux, qui semble se prendre par moments pour de la musique électronique, ou du drone, ou de la musique indienne, voire du trip hop ou… enfin vous voyez. Y'a des synthés, de la flûte, des harmonies spatiales colorées, des solos électriques et plein de surprises et trouvailles sonores tout le long, on peut trouver ça un peu kitsch sans doute mais c'est cool. Le groupe existe depuis 1985, l'album que j'ai écouté s'appelle Strangeitude, il paraît que les autres sont du même acabit.
Ils ont un site web qui est tout aussi psychédélique avec du texte fluo, des étoiles et des nébuleuses. Je pourrais m'en inspirer !
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Pourtant je savais que The Gerogerigegege n'était pas qu'un projet pour rire. Je l'avais lu, Émilien avait tout décrit ! Mais à l'époque, je n'avais écouté que Tokyo Anal Dynamite (dans mes souvenirs : gonflant) et Yellow Trash Bazooka (dans mes souvenirs : hilarant), tous deux basés sur le principe débile de (1°) crier ONE TWO THREE FOUR (2°) jouer quelques secondes de bruit n'importe comment. J'avais aussi retenu les inécoutables Art Is Over (un tentacule collé dans une boîte de casette sans cassette), 0 Songs EP (un vinyle sans sillons), Night (ONE TWO THREE FOUR *bruits de caca dégoûtants*) et leur slogan JAPANESE ULTRA SHIT BAND.
Du coup, au fil du temps, je n'ai gardé que l'idée d'un groupe extrême qui n'avait rien à foutre de quoi que ce soit et qui se permettait tout, y compris le plus débile. “Fuck compose [sic], fuck melody, dedicated to no one, thanks to no one, ART IS OVER” : l'attitude punk à fond. Je n'écoutais quasiment jamais, mais j'aimais le fait que ça existait.
Alors quand de nulle part j'entends « Juntaro est vivant ! » en 2016, je ne me doute de rien. Quand j'en entends un peu plus, je me dis que j'ai manifestement raté un épisode. Je me dis que je devrais écouter ce nouvel album inattendu qui serait apparemment sombre, même si je ne m'attends pas à un chef d'œuvre. Je m'y mets quand même, parce que c'est ce genre d'inattendus qui font qu'une œuvre n'est pas le fait d'un personnage mais d'une personne…
Tu parles d'un choc.
Gero 30, le mec qui se masturbait sur scène lors des concerts du groupe, aurait 70 ans aujourd'hui et serait soit mort, soit en hôpital psychiatrique. On aurait aussi eu de sérieux doutes sur l'état de santé voire d'existence de Juntaro Yamanouchi, qui n'avait plus donné signé de vie depuis quinze ans après un dernier album de « ONE TWO THREE FOUR » qui, de l'avis des fans, sonnait singulièrement triste et fatigué.
… Ce ne sont là que des rumeurs à ma connaissance, mais Juntaro Yamanouchi revient vraiment de loin. L'écoute de Moenai Hai (燃えない灰, « cendres incombustibles ») ne laisse aucun doute là-dessus. Certains diront que cet album n'est que très peu musical ; il est en tout cas seul, désolé, sans compromis. Quatre pages d'un journal intime avec à peine quelques mots et surtout beaucoup de blancs, mais ces silences-là hurlent. Un sentiment d'abandon, de froideur consommée, une peine sourde, et à un moment, une intensité brûlante et déséspérée. L'album dure 53 minutes qui paraissent très courtes, ces 53 minutes sont les plus marquantes que j'ai entendues dans le genre depuis longtemps.
Et ce à quoi je m'attendais encore moins de la part du Gerogerigegege : ce disque n'est pas que de l'expression brute, mais le son a une esthétique parfaite. Cette désolation est belle, un noir profond qui me rappelle ceux de Soliloquy for Lilith, Imperial Distortion ou Zeichnungen des Patienten O.T..
Est-ce qu'on pourrait faire un album plus dévastateur que celui-là avec ces artifices que sont le chant, le rythme, les mélodies ? Oui, je sais, il y a plein de guitares rock sur la deuxième piste (qui s'appelle “The Gerogerigegege”, ce qui m'a paru étrange avant de comprendre), mais dans ce contexte, ce n'est pas vraiment une piste de noise rock ni de shoegaze. Ou plutôt il m'a été impossible de l'écouter comme telle la première fois. Je n'entendais que son intensité, ce qu'elle signifiait. Le fait que ce soit peut-être la première fois qu'une piste de Gerogerigegege tienne la route selon un barème musical classique, et soit même carrément bonne, était secondaire, voire accessoire à côté de cela, dans ce contexte-là. Je crois que quand on atteint ce point-là, il n'y a plus rien à ajouter.
(Une parenthèse quand même pour signaler qu'apparemment, on aurait Grim à remercier pour le retour de Juntaro, et que je recommande toujours beaucoup son double album Maha dont j'avais parlé il y a quelques mois. Et que lui aussi a fait un hiatus de… 23 ans, avant de réapparaître. Vous savez que les disparitions volontaires sont un vrai phénomène de société au Japon ? … Enfin, je m'égare.)
(Depuis, j'ai jeté une oreille aux autres disques de The Gerogerigegege, ceux d'avant : Senzuri Champion, None Friendly, Hell Driver, Instruments Disorder. Hell Driver ressemble un peu à Moenai Hai, ça aurait presque pu être une première partie, mais on reste loin. Surtout au niveau de la beauté des sons. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui je comprends très différement “Fuck compose, fuck melody, dedicated to no one, thanks to no one, ART IS OVER”.)
(Au fait, si l'on regarde les premières vingt minutes de None Friendly au spectrogramme, ça fait une forme de zizi carré. Mais l'effet disparaît dès que les minutes suivantes apparaissent.)
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