Bonjour, vous allez bien ? Aujourd'hui, je vais vous parler de Devin Townsend. Un artiste prolifique, très talentueux, très ambitieux, diagnostiqué bipolaire, dont les disques peuvent aller du thrash metal indus extrême à des expérimentations ambient bruitistes ou au country/blues rock — avec toutefois une prédilection pour le prog metal. On dit parfois de lui que c'est le Frank Zappa du genre (avec moins d'humour gras, quand même).
Il a notamment sorti une tétralogie d'albums qui vaut vraiment le coup qu'on se penche sur elle. Quatre disques en partie écrits en même temps, dans quatre styles complètement différents. (1) Ki : un album de prog rock tout en retenue et en tensions, souvent beau et paisible (parfois proche de l'ambient), à d'autres moments au bord de l'explosion. (2) Addicted : du metal carrément pop, dansant, accrocheur, qui enchaîne les tubes. (3) Deconstruction… j'en parle ci-dessous. (4) Ghost : un album new age serein.
Deconstruction, donc. C'est un album de prog metal très maîtrisé et complètement barré, avec deux batteurs, l'Orchestre Philharmonique de Prague (c'est la première fois que j'entends du metal « symphonique » qui se justifie), une odyssée musicale infernale et chaotique. Aucune idée du nombre de genres qu'il y a là-dedans, et les styles de chant de Devin sont légion (c'est d'ailleurs une de ses spécialités). Et si les mots « prog », « metal » et « symphonique » vous laissent imaginer une triple explosion de mauvais goût, vous n'avez ni tort ni raison : ce disque est extrêmement ambitieux sans se prendre au sérieux, ne se refuse rien et justifie intégralement ses excès, au point que la distinction entre bon et mauvais goût n'a ici plus aucun sens. Deconstruction est tellement maximaliste et excessif qu'il est difficile d'en avoir une vue d'ensemble : fixez votre attention sur une partie, il y en a dix autres qui vous échappent.
Il y a également une histoire dans cet album, ça aurait été dommage de s'en priver : un homme cherche à découvrir la nature de la réalité, et dans son périple, se rend en enfer. Satan lui présente (en lieu et place de la pomme du jardin d'Eden) un cheeseburger magique qui lui dévoilerait les secrets qu'il recherche. Sauf que l'homme est végétarien et n'arrive pas à l'avaler, ça le fait vomir. La piste-titre raconte cet épisode sur neuf minutes dans un grand n'importe quoi qui part en sucette dans tous les sens. L'album contient aussi (1) une première piste paisible et groovy avec des sons électroniques (avant que tout ne sombre dans la folie), (4) un tube schizophrène accrocheur avec des chœurs et des percus-mitraillettes, et (6) un délire fluide polymorphe de seize minutes et vingt-huit secondes, complètement incroyable, avec des « doo-wap shoo-wap », un passage scandé sur un rythme martial avec des bip-bips rigolos, et une dizaine d'autres genres qui se fondent les uns dans les autres. Son titre est parfait lui aussi : “The Mighty Masturbator” !
… Bon, il faudrait des pages pour parler de tout Devin Townsend, et d'ailleurs je suis loin de connaître sa discographie complète. Mais si vous voulez une présentation plus détaillée, avec des extraits musicaux et tout, il y a cette émission Youtube très sympathique que je vous recommande : Enjoy the Noise #7: Devin Townsend.
Pour donner mon avis vite fait sur la tétralogie dans son ensemble : Deconstruction est mon album préféré, mais Addicted est sacrément fun lui aussi (pour peu qu'on aime le style, sinon c'est pas la peine de forcer). Ki est un très bon disque, beau et intéressant, avec une approche inhabituelle et peu évidente du prog (aucune grande envolée mais une multitude de directions différentes, des résolutions plus suggérées que balancées, ce qui au final fonctionne très bien). Quelques belles surprises aussi, et pas mal de subtilité. J'ai mis plus de temps à l'apprécier, mais il vaut vraiment le coup ; à noter qu'il n'a que très peu d'éléments metal, je le conseille donc même aux réfractaires au genre. J'accroche moins au new age un peu kitsch et facile de Ghost. On peut tout à fait écouter les quatre indépendamment, et chacun semble être l'antithèse des trois autres.
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[9 février] Là j'ai une foutue sinusite qui m'a fait passer une nuit blanche, le cerveau en compote, j'écoute U.M.A. de Progenie Terrestre Pura et ça fait carrément du bien. Peut-être l'effet cathartique du côté « gros son massif dans la gueule » ? C'est une combinaison de black metal, d'IDM et de psybient, première fois que j'entends ça. Classé dans le « space black metal » (j'imagine bien un androïde maquillé en squelette d'alien qui essaierait de faire brûler des églises dans l'espace, lol). En tout cas ça me paraît vraiment bien. Faudra que je réécoute ça sans sinusite.
[14 février] Je n'ai plus de sinusite, et à la deuxième écoute U.M.A. me plaît toujours autant. Pour le décrire un peu mieux, c'est une variante inspirée du black metal atmosphérique — la violence crade des guitares et les nappes électroniques propres et envoûtantes se complémentent d'excellente manière. Deux opposés reliés par des blast beats (ce genre de percus extrêmes qu'on entend dans le grind ou le metal indus), des guitares plus atmosphériques, une impression simultanée d'intensité folle et de paix.
(D'ailleurs, pourquoi certaines musiques rappellent-elles l'espace comme ça ? Sur cet album, OK, il y a la pochette et le nom, mais 76:14 de Global Communication me fait la même impression et cet album-là n'a aucune image spatiale. Il n'y a aucun son dans l'espace. C'est un lien qui a commencé avec une œuvre en particulier ?)
[22 février] Une comparaison à laquelle je n'avais pas pensé les fois précédentes : Touched de Nadja, cet excellent disque que j'aime décrire comme du doom metal onirique. U.M.A. a un son et une ambiance différentes, mais fonctionne d'une manière similaire. Les voix sont ici des instruments parmi les autres, presque en retrait ; ce qui est mis en avant sur ce disque, en plus du chaud-et-froid sonore, ce sont les mélodies. L'album a beau être brutal, il est également subtil. Non, y'a pas à dire, c'est un très bon disque.
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The Hands of Caravaggio de MIMEO (Music In Movement Electronic Orchestra) et John Tilbury est un concerto électro-acoustique inspiré de L'Arrestation du Christ, un tableau du Caravage. C'est Keith Rowe qui a eu l'idée d'interpréter le tableau pour en faire de la musique : « L'œuvre est surprenante par son animation des mains et des têtes ; c'est presque un croisement entre une série d'instantanés tirés d'un film et une photo pour tabloïd, “prise sur le fait” avec un flash », dit-il.
On a donc treize musiciens (pianos, guitares et plein d'instruments électroniques), dont John Tilbury, connu pour ses interprétations de Morton Feldman et pour avoir fait partie — avec Keith Rowe — du groupe d'improvisation AMM. Plus quelques noms que j'ai vus sans me rappeler trop où, comme Kaffe Matthews. Et Kevin Drumm, qui remplace Christian Fennesz pour l'occasion.
Michelangelo Merisi da Caravaggio Cattura di Cristo vers 1602; huile sur toile, 133,5 × 169,5 cm National Gallery of Ireland, Dublin |
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Un seul mot m'a suffi pour avoir envie d'écouter Mirrors in Your Eyes de Soundpool. Ce mot est “discogaze”.
Oui, c'est bien un album de chansons pop/rock avec des murs de guitares psychédéliques et des percussions dansantes ! Disco + shoegaze, pas de tromperie sur la marchandise. Rien ne s'oppose à ce que ça fonctionne, j'aime beaucoup l'idée, et pourtant je n'ai jamais entendu ça ailleurs.
OK, mais est-ce un bon disque de discogaze ? Hé bien… ça aurait pu être mieux. Ni les rythmes, ni l'écriture ne se démarquent vraiment, c'est du shoegaze de base mélangé à du disco de base, et le disque vaut l'écoute surtout parce que c'est le seul à ma connaissance à avoir ce son-là. Pas que ça soit mauvais, hein, mais c'est… ordinaire. Dommage.
Un utilisateur sur RYM recommande Ceremony comme alternative. J'écoute donc un de leurs albums, Disappear, sorti en 2007. C'est effectivement meilleur ! Mais aucune ambiance disco ici : c'est du shoegaze qui sent le post-punk et le rock gothique, une pop dansante, des mélodies et des boîtes à rythmes efficaces qui résonnent à travers le feedback, un chant sombre et des paroles simplistes du type « journal intime d'ado gothique après une dépression amoureuse » (au moins évitent-elles les envolées poétiques maladroites). On est bien plus proches de Jesus & Mary Chain et Bauhaus que des couleurs, des pattes d'eph' et des paillettes. Pas vraiment ce que je recherchais donc… Mais au final, je ne boude pas mon plaisir, Disappear est un bon album.
Prochaine étape : trouver du disco black metal. Ou du disco lowercase.
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Un disque d'ambient techno qui rend hommage à la Detroit techno tout en accueillant ce genre encore naissant qu'était l'IDM, avec une pochette rétrofuturiste qui pourrait tout aussi bien sortir d'un jeu WipEout que d'un vieux roman de S-F : voici Time Tourist de B12. Un album sorti chez Warp en 1996, dans l'ombre des grands Aphex Twin, Autechre et Boards of Canada, et qui n'a d'ailleurs pas été réédité depuis.
L'album fait référence à plusieurs auteurs et ouvrages de S-F dans ses titres, et même les notes dans le livret présentent le disque comme une sorte d'artefact historique de la fin du XXe siècle (la Seconde Ère de l'Atome), une époque où les humains ne savaient pas que les extraterrestres avaient déjà investi leur société depuis les années 50 (« comme l'atteste Sci-Fi, notre protecteur »). Ça pourrait être une béquille, mais ça me rend cet album sympathique.
Et à défaut d'être novateur, Time Tourist ne manque pas d'âme. C'est une musique qui semble être consciente de sa place dans l'histoire, consciente qu'elle sera « datée » d'ici peu, et qui l'assume ; c'est presque un album documentaire, une belle synthèse des tendances de son époque. Un tel disque aurait peu de chances de sortir aujourd'hui, on l'accuserait d'avoir vingt ans de retard ou de trop s'appuyer sur le côté rétro. Mais si vous me lisez depuis un moment, vous savez sans doute que le milieu des années 90 était ma période préférée pour la musique, surtout électronique, alors forcément Time Tourist touche une corde sensible chez moi. Ça a ce côté grisant des après-midi passées chez mon cousin à jouer à la PlayStation, devant ces polygones colorés encore un peu bruts, un peu maladroits mais fascinants, tout en s'imaginant comme ça serait bien plus tard, quand on jouera avec des casques de réalité virtuelle, avec les gants et tout, et qu'on ira à la fac en hoverboard. Ouais. C'est cool, le rétrofuturisme.
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D. I. Go Pop de Disco Inferno est un album de post-rock que je n'avais encore jamais écouté, qui ne ressemble pas aux autres disques de post-rock que je connaissais jusque-là*, et que je trouve carrément intéressant. C'est un album court, concentré, de rock expérimental qui se base sur des boucles de samples souvent rythmiques, un peu dissonantes, parfois bruitistes. La répétition les change parfois de manière étonnante, comme ces voix d'enfants hachées qui prennent des allures de chant tribal sur “Starbound” (oui je sais, les chants d'enfants en général, c'est mal, mais pas ici. On n'est pas sur un disque de rock indé pour spots publicitaires).
Et puis il y a du post-punk là-dedans. Certains ont comparé D. I. Go Pop à 154 de Wire, et je pense que le groupe a effectivement dû s'en inspirer. (J'ai eu du mal à me mettre à Wire alors j'ai aimé Disco Inferno tout de suite, mais c'est peut-être parce que j'avais déjà écouté 154 avant d'essayer D. I. Go Pop ?) Les voix aussi ont un côté froid qui rappelle le genre, sans que ça devienne glauque. Par rapport au post-punk en général, oui, ce disque est pop — mais il paraîtrait sans doute trop bizarre à qui s'attendrait à de la vraie pop. En tout cas je l'aime beaucoup, c'est peut-être le disque que j'ai le plus écouté ces derniers temps.
* Il faut dire que ce genre est assez bâtard. Et ce sont souvent les disques atypiques que je préfère, ou ceux qui ont plus d'énergie.
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