mardi 27 janvier 2015

♪ 29 : le roi à la crinière rose privilégie dans son hôtel la saison des systèmes liquides négatifs

Laurie Spiegel est souvent présentée comme une pionnière. Compositrice et programmeuse, elle a développé un logiciel de création de musique, enregistré une composition de Kepler envoyée dans l'espace (sur le fameux disque doré des sondes Voyager)… et surtout créé de jolies musiques avec des synthés et des ordinateurs.

Obsolete Systems regroupe des compositions enregistrées de 1970 à 1983 (plus aucune des machines utilisées n'est encore en usage aujourd'hui). C'est de la musique expérimentale donc, plutôt ambient/minimaliste. La première suite, “Four Short Visits to Different Worlds”, est basée sur quatre textures et timbres abstraits ; il n'y a qu'un son à chaque fois, mais assez intéressant pour qu'il se suffise à lui-même. La suite, avec “Three Modal Pieces” notamment, a des sons qui font penser à la Berlin School (genre Tangerine Dream), en moins psychédélique et plus concis. “Drums” est un jeu de percussions synthétiques simultanées, une de mes pistes préférées. “Voices Within: A Requiem”, dernière piste d'un quart d'heure, fait froid dans le dos avec ses sons modifiés qui rappellent à s'y méprendre des enregistrements lo-fi de voix gémissantes (je croyais vraiment que c'était ça avant de lire les notes !).

Je dois avouer que je ne sais pas à quel point ces musiques étaient « nouvelles » à l'époque — peut-être étaient-elles dans l'air du temps, peut-être avaient-elles des années d'avance ? En tout cas, en plus d'être intéressantes, elles gardent toute leur élégance aujourd'hui. J'aime beaucoup ce disque.

+ Le site officiel de Laurie Spiegel, avec des notes (surtout techniques) sur les compositions : http://retiary.org/ls/
+ Un (assez long) article sur l'artiste : http://pitchfork.com/features/articles/9002-laurie-spiegel/



Long Season de Fishmans : vous en avez peut-être entendu parler ? C'est un petit album de musique progressive, candide, ensoleillée, paisible, et doucement dansante. (Dream pop avec une influence dub, à ce que j'ai lu, mais j'ai l'impression qu'on pourrait classer ça ailleurs aussi.) C'est le premier rayon de soleil du printemps. Un rayon de soleil qui dure juste trente-cinq minutes et qui fait du bien. Trente-cinq minutes, c'est trop court, alors souvent je l'écoute deux fois de suite. Long Season de Fishmans : vous en avez peut-être entendu parler ? C'est un petit album de musique progressive, candide, ensoleillée, paisible, et doucement dansante. (Dream pop avec une influence dub, à ce que j'ai lu, mais j'ai l'impression qu'on pourrait classer ça ailleurs aussi.) C'est le premier rayon de soleil du printemps. Un rayon de soleil qui dure juste trente-cinq minutes et qui fait du bien. Trente-cinq minutes, c'est trop court, alors souvent je l'écoute deux fois de suite.



J'avais commencé à parler de Negativland, ce groupe connu pour ses albums conceptuels basés sur des collages satiriques, il y a quelques mois avec Escape from Noise. C'est toujours l'album que je recommande pour les découvrir — et si vous avez aimé, je vous conseille de continuer avec Helter Stupid. La face A est basée sur un canular morbide perpétré par le groupe* et aborde entre autres la question de la diffusion des informations par les médias. La face B, “The Perfect Cut”, a pour cible la mercatique et l'esthétique des chansons à succès et jingles commerciaux. C'est toujours très bon, très pince-sans-rire aussi.

Sinon dans un autre style, plus léger, il y a Dispepsi, sorti en 1997. C'est un album entier basé sur les campagnes de publicité, leur esthétique artificielle souvent naïve, leur attitude faux-cul et leur omniprésence agaçante… en l'occurence, c'est la marque Pepsi qui est ciblée, mais ça aurait pu être bien d'autres. Comme à chaque fois, Negativland utilise plein de samples signifiants qu'ils juxtaposent avec beaucoup d'humour (on peut vraiment parler de narration sonore) — mais il y a aussi des chansons originales ici, chantées dans un style rock commercial bien kitsch, qui pourraient presque passer pour de vraies chansons publicitaires si les paroles n'étaient pas absurdes ou ironiques. C'est d'une fausse candeur et d'un mauvais goût parfaits, à la fois bien trouvé et complètement débile, et en plus c'est accrocheur ! Je ne sais pas si vous aurez très envie de boire un Pepsi ou si vous ne voudrez plus jamais en boire de votre vie après ça. Le clip d'“Aluminum or Glass” avec ses hommes d'affaires en 3D primitive, ses explosions partout et son hamster en dessin animé est lui aussi génial (même s'il ne se trouve sur internet qu'en qualité toute pourrie, datant sans doute de 1997 elle aussi).
* Vous voulez que je vous raconte ? À la suite de la sortie d'Escape from Noise, Negativland avait entamé une tournée qui s'avéra leur coûter plus d'argent qu'elle en rapportait. Ayant déjà perdu leur studio à la suite d'un incendie, le groupe décida d'arrêter là les frais — et en profita pour lancer un canular. En février 1988, un adolescent américain, David Brom, venait d'assassiner ses parents, son frère et sa sœur à la hache. Les membres de Negativland fabriquèrent un faux article de journal prétendant que la police les avait assignés à domicile, suite à une rumeur prétendant que Brom aurait été influencé par une chanson du groupe, “Christianity Is Stupid”, sur Escape from Noise… Les meurtres étaient réels mais l'association avec le groupe complètement bidon — pourtant, les médias ont fait allègrement circuler l'information sans la vérifier. Helter Stupid reprend ce grand cirque de désinformations-spectacle et de confusion.



Le dernier Cibo Matto, donc. En fait je vais parler de tout Cibo Matto, tant qu'à faire. C'est un groupe de pop électique et dansante formé par deux japonaises de New York ; Miho Hatori a fait partie de Gorillaz et chante en anglais avec un accent japonais, Yuka Honda a sorti des disques chez Tzadik et collaboré avec pas mal de musiciens expérimentaux.

Leur premier album, Viva! La Woman, était assez génial, une musique shibuya-kei avec des influences trip hop, funky, électroniques, plus rarement rock, des pistes souvent dansantes, parfois douces, parfois incongrues — aussi varié que la liste de plats énumérés (chaque piste parle de nourriture). Elles ont suivi ça par Stereo★Type A, un disque plus inégal, avec toujours de bonnes idées et quelques tubes excellents mais aussi quelques ratés (genre quand elles essaient de se mettre au metal). Et il y a eu Butter 08, un « supergroupe » plus rock, avec trois membres en plus dont un ou deux du Jon Spencer Blues Explosion. Ça fait longtemps que je ne l'ai plus écouté, mais dans mes souvenirs le résultat était sympathique.

Tout ça, c'était à la fin des années 90. Leur nouvel album, Hotel Valentine, sort quinze ans après. Bonne nouvelle, elles n'ont rien perdu de leur énergie ni de leur style (liste des genres sur RYM : art pop, trip hop, lounge, dance-punk, shibuya kei et hip hop expérimental !) ; mais alors que les albums précédents étaient des collections de chansons variées, Hotel Valentine est davantage pensé comme un album. Ce disque baigne dans une atmosphère à la fois dansante et vaporeuse, dans laquelle ce sont plus souvent des passages isolés que des morceaux qui se démarquent. Et au-delà des chansons, ce que j'aime sur Hotel Valentine, c'est une sorte de paradoxe : la musique est ludique, rythmée, positive, mais tous les textes parlent de fantômes, une sorte d'angoisse, de solitude ou de peur du vide sous-jacente. Il y avait la mélancolique/apathique “White Pepper Ice Cream” sur Viva! La Woman, mais cette piste-là tranchait avec le reste. Sur Hotel Valentine, “Empty Pool” est au contraire très représentative de l'album : relaxante, agréable, mais ambigue et qui hante presque. Quant aux tubes, il y en a peu — ce qui pourra décevoir —, mais “10th Floor Ghost Girl” est du tonnerre.

J'ai laissé le temps à cet album avant d'en parler (en fait, ça fait depuis février que je l'écoute), j'ai trop souvent tendance à surévaluer les disques des artistes que j'aime — mais je peux dire aujourd'hui que je l'aime beaucoup. Pas autant que Viva! La Woman, mais plus que Stereo★Type A.



Ce qui me rebute en général dans le metal, ce sont les voix. Ces beuglements caverneux, ces cris torturés, je trouve ça franchement ridicule. Et puis, cette tendance à vouloir toujours en imposer, impressionner, à se prendre trop au sérieux… Tout ça fait que j'en écoute très peu, exception faite des groupes qui se rapprochent du rock.

Mais là, bonne surprise : Vilosophe de Manes, un album de metal varié, avec une voix normale, des compos jamais trop chargées et qui prennent volontiers sons et inspirations dans divers genres, électroniques notamment (drum'n'bass sur “Death of the Genuine”). Il y a presque un côté post-rock sur certaines pistes, comme sur “Diving with Your Hands Bound” ; “White Devil Black Shroud” est très calme, pas ambient mais presque. Et puis il y a cette excellente piste d'introduction, avec ce rythme dansant, presque groove, qu'une guitare électrique endiablée change en chute vertigineuse lors du refrain… Bon, on peut regretter que l'expérimentation n'aille pas plus loin que le mélange des genres, et il manque un petit quelque chose pour me séduire totalement quand même. Mais ce disque mérite qu'on se penche dessus.

(Le groupe ne s'est pas arrêté là et a continué de s'éloigner du metal pour aller un peu n'importe où sur leur album suivant, How the World Came to an End. Il y a hélas du rap français dans celui-là, ce qui est le comble pour un groupe norvégien. Je ne sais pas si je le réécouterai souvent, du coup.)



Alors, The Lemon of Pink de The Books, hum… par où commencer ? Disons que, d'un certain point de vue, au début oui, vous entendez bien, ce genre de choses, mais d'un autre côté, comment dire — c'est ce que c'est un peu, ce qu'on entend, je ne dis pas, mais c'est aussi, comment dire, ce qui fait que, ce qui sonne un peu mais pas tout à fait comme — ou alors juste un peu — comme ci, ou plutôt comme ça, mais… enfin, vous voyez. Ou plutôt vous entendez, du moins peut-être, si vous le voulez je suppose. Oui ? Non ? C'est non seulement ce type de sons mais aussi… comment dire ? Comme si c'était le cas, c'est le cas de le dire d'ailleurs, et en même temps pas tout à fait. Non. Enfin si. Peut-être. Oui, voilà, un petit peu comme ça. Oui. The Lemon of Pink de The Books, donc. Tout à fait.



J'ai écouté pas mal de techno aussi ces derniers temps. Notamment des disques de Carl Craig. À savoir : More Songs About Food and Revolutionary Art, Elements 1989-1990 (Psyche/BFC), et ses EPs sous l'alias 69… Ce sont ces derniers que je préfère. Les beats sont nickel, les mélodies aussi, les atmosphères aussi, et pas un élément ne prend le pas sur les autres. “Jam the Box” a un son assez cru, basé sur les beats et un sample vocal, mais n'est pas minimaliste ou austère pour autant. “Sub Seducer” est plus feutrée mais reste très rythmée. “My Machines” a un côté presque drôle et loufoque mais est très entraînante. C'est de la Detroit techno de deuxième vague, 1990-1995, et c'est ce que j'ai préféré pour le moment dans ce genre ! (Cela dit, je découvre encore.)

Il existe deux compilations qui regroupent ces pistes, pour les gens qui, comme moi, préfèrent les formats longs : The Sound of Music, celle que j'ai, est excellente pour découvrir ; on peut lui reprocher sa pochette moche et l'omission de plusieurs titres. The Legendary Adventures of a Filter King (ça va, il est humble, le mec) est plus complète — les neuf pistes de The Sound of Music sont incluses ainsi que neuf autres — et a une pochette bien plus élégante. Je l'achèterais bien mais c'est $15 le téléchargement ou $105 le coffret de cinq vinyles colorés, pas d'édition CD. Un peu abusé quand même.



Le fameux Live at the Liquid Room, Tokyo de Jeff Mills, c'est déjà beaucoup plus facile à décrire. Par certains côtés, c'est l'idée que se font de la techno les gens qui haïssent la techno sans en avoir écouté* : du beat, du beat, du beat. Une musique qui parle au corps avant que l'esprit n'ait son mot à dire. Il faut vingt minutes pour qu'une mélodie apparaisse, mais on s'en fout, parce que ce rythme-là a une puissance folle. C'est une musique qui pourrait faire l'effet d'une drogue sans prendre quoi que ce soit. Si vous vous demandez ce que ça fait qu'entrer en transe, essayez ce disque.

Ce sont trois segments d'un mix live de trois heures, enregistré de manière brute, un peu crade, avec les imperfections et le bruit, ce qui au final colle très bien à la musique. On y retrouve principalement des titres de Jeff Mills, mais aussi le fameux “Strings of Life” de Derrick May, des titres de Joey Beltram, Ken Ishii, Surgeon, DJ Funk, etc. Au bout de cinq minutes, si vous n'êtes pas à fond dedans, si vous ne bougez pas sans même vous en rendre compte de manière complètement possédée ou abrutie, je pense que vous pouvez abandonner. Le seul défaut de ce disque, c'est justement la limitation du format CD qui fait qu'on n'a que des extraits du live avec des fondus. Une petite réédition non coupée en format digital, ça serait une bonne idée !

* Genre Pierre Boulez quand il dit que c'est « une musique qui aurait pu être adoptée par Hitler », ou une « musique dont le martèlement imbécile nous dit : vous êtes des esclaves, et vous resterez des esclaves ». Si jamais vous avez un salon et que, d'aventure, vous y recevez Pierre Boulez, ne lui faites pas écouter ce disque.




À l'opposé, il y a, par exemple, Privilege de Glitterbug. Un long double album d'ambient techno assez varié et rythmé pour ne pas lasser ou tomber dans la mollesse, mais avec une nette tendance à la mélancolie, à l'introspection, un son personnel dont les rythmes lents et la froideur voilent à peine une certaine beauté fragile, un sentimentalisme caché sous des abords gris.

Les images de Ronni Shendar illustrent joliment cette esthétique, surtout dans la vidéo pour “Calcutta”.

Pierre Boulez trouverait peut-être que c'est pauvre et chiant, je ne sais pas, il faudrait lui demander.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire