jeudi 28 juillet 2016

♪ 47 : Les Cinq Faunes Réunissent leurs Derniers Désirs Acides

Gather & Release de Sarah Hennies est un album qui utilise vibraphone, phonographies, ondes sinusoïdales et « stimulation bilatérale » (soit des tons qui alternent entre un canal et l’autre, ce qui d’après les notes est utilisé pour soulager les traumatismes et l’anxiété chez certains patients).

C’est une musique expérimentale qui utilise beaucoup de drones et d’atonalité, mais qui est surtout introspective. Du bruit gris, venteux, avec un son timide (le vibraphone) qui parfois disparaît, réapparaît, chante doucement. Une tension grandissante finit par se faire sentir, puis par gronder pour s’arrêter brutalement et faire place à une plage de bruit brut. Vient une deuxième piste beaucoup plus apaisée au début… à ce moment-là, on pourrait penser avoir compris où voulait en venir l’artiste. On se détrompe quand tout prend une direction inattendue, nettement plus complexe, parfois brutale.

Gather & Release raconte une histoire sans paroles. Je ne prétends pas la comprendre, mais elle me touche tout de même. J’aime beaucoup ce disque.




Quelque part entre, disons, Grouper et Bardo Pond, il y a Valet. Naked Acid se situe certes dans cette zone floue entre l’ambient, le rock psychédélique et le folk expérimental, mais la musique même n’est pas vague — elle a des attraits qui m’y font revenir depuis des mois. Ce sont les couleurs, déjà. Des atmosphères réellement évocatrices, des dissonances inattendues. Et puis j’aime les tambours et les drones sur “Drum Movie”, la mélodie à la guitare sur “Kehaar” qui me paraît familière sans que je sache où je l’aurais déjà entendue, les beats électroniques complètement inattendus sur “Streets” (enfin du coup vous allez les attendre maintenant)… Et il y a de l’intensité dans ce disque, ce qui manque souvent dans les albums de la même famille. Donc oui, j’aime.




Sur Fauna, Jneiro Jarel (un producteur de hip hop qui a plein d’alias) prend des éléments de musiques tropicales et latines et les fragmente, les déplace, les électrise, les psychédélise, en fait des ingrédients d’un cocktail coloré, foisonnant et très agité. Certains regrettent que l’« esprit brésilien » y soit dénaturé ; c’est justement ce qui rend le disque intéressant à mes oreilles ! Je me demande si Jarel a pris de l’inspiration chez Flying Lotus et Amon Tobin…

En tout cas, au niveau style et concept, l’album se démarque bien. Par contre, il est inégal — vers le milieu, l’artiste joue de juxtapositions osées mais pas très maîtrisées, qui tombent parfois dans un fouillis fatigant. C’est au début et à la fin, quand les mélodies et les rythmes savent où ils vont, que l’album tient vraiment ses promesses. Je trouve que l’originalité compense ces faux pas, après c’est à vous de voir. Jetez-y une oreille dans tous les cas si ça vous intéresse ; Fauna ne dure que trente-six minutes, assez denses.



Vous saviez que Basic Channel, les Allemands qui font de la dub techno, avaient un projet deep house ? Cinq singles, sortis sous les alias Round One, Round Two etc. dans les années 90.

Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que des artistes connus pour un genre plutôt gris sortent quelque chose d’aussi dansant. Alors “I’m Your Brother”, ça fait un choc. C’est un tube, avec un groove impeccable, un chant soul, et cette note qu’on peut entendre comme un bonheur parfait ou teinté de tristesse selon son humeur.

Mais ce n’est que le premier round, et les suivants se mettent à ressembler de plus en plus à de la dub techno, plus vaporeux, plus lents… Andy Caine, qui assure le chant sur “I’m Your Brother” et “New Day” (très bonne aussi), laisse la place à un Paul St Hilaire qui a un accent jamaïcain (n’allez pas plus loin vers la Jamaïque s’il vous plaît, sinon je sors). Quant aux mixes, à part l’étrange “Chicago Twisted Mix”, il s’agit pour la plupart d’instrumentaux qui ressemblent à s’y méprendre à du Basic Channel. Ce qui est étonnant, du coup, c’est que ce projet ne me déçoive pas. Sans doute parce que Basic Channel est une référence dans leur genre habituel, et que même s’il se raréfie, il reste toujours un peu de groove là-dedans.




Je reviens sur un classique, du moins classique à mes oreilles : Is This Desire? de PJ Harvey. Sacrée artiste. Un album très incisif et très introspectif, du rock relevé de sons électroniques voire trip hop qui ne détonnent que quand elle le fait exprès (le bruitisme de “My Beautiful Leah” ou “Joy”, pistes qui font assez mal, ou la pénombre d’“Electric Light”, piste qui pourrait presque passer inaperçue à côté mais qui hante), des chansons comme une collection de nouvelles, avec un personnage féminin différent à chaque fois. (Je n’ai appris qu’aujourd’hui que “Joy” était inspirée par une histoire de Flannery O’Connor, il faudra que je lise cette autrice un jour.)

Honnêtement, il y a peu d’artistes qui savent faire une musique aussi intense émotionnellement sans me rebuter. Et encore… c’est peut-être cette intensité qui fait aussi que je n’écoute pas PJ Harvey si souvent que ça, malgré le fait que je la citerais parmi mes artistes rock préférés. Je n’ai toujours pas écouté Dry ni White Chalk par exemple.

Le défaut principal d’Is This Desire?, je dirais que c’est son livret particulièrement pénible ; il me faut toujours bien une dizaine d’essais avant de le replier correctement. La prochaine fois je prendrai des notes en le dépliant, ou j’arrêterai de le déplier pour regarder les scans sur Discogs.




Le deuxième album d’Andrés peut s’écouter comme un pendant house du fameux Donuts de J Dilla. Mi-house, mi-hip hop instrumental, avec des accents soul prononcés. Super cool. (Si j’aimais l’été à part les fruits, j’aurais peut-être dit « estival ».) Trente pistes, soixante-dix minutes, soit un rythme assez soutenu mais moins intense que sur Donuts, où on pouvait avoir l’impression que l’artiste allait aussi vite qu’il le pouvait pour échapper à sa maladie… L’album a des allures de mix : plutôt qu’une sélection de singles remarquables, chaque piste apporte une nouvelle touche, une nouvelle étape d’un long voyage dont on ne peut tout retenir en une seule écoute. (J’aurais préféré me passer de la speakerine radio qui fait des bisous au micro par contre, heureusement qu’elle n’est pas là souvent.) C’est sorti chez Mahogani Music, le label de Moodymann — pas forcément une bonne chose, vu leurs tirages toujours épuisés et les prix abusés des versions digitales ! Et c’est la version CD dont je parle, le vinyle est raccourci de moitié. Donc ouais, le piratage c’est cool.




Now Wait for Last Year de Caroline K : soupirs post-industriels, grain et pénombre, synthétiseurs atmosphériques, introspection, amertume, mélancolie et beauté. Le titre vient d’un roman de Philip K. Dick. Le disque date de 1987 et fut le seul album solo de l’artiste, mais elle fut aussi membre fondatrice de Nocturnal Emissions* à leurs débuts.

Face A, “The Happening World”, une piste ambient de 21 minutes qui effleure plusieurs sentiments sans les dévoiler tout à fait. La face B présente une palette émotionnelle similaire avec des synthés et boîtes à rythmes, des sons parfois crus et assez datés mais toujours une très belle sensibilité. C’est une musique sombre très émotive, avec un voile d’austérité parfaitement translucide.

L’album original, que j’aime beaucoup, me laisse un sentiment d’incomplétude ; avec les trois premières pistes bonus de la réédition CD, c’est parfait. (La quatrième semble ne rien avoir à faire là par contre.)

* J’avais parlé d’un album de Nocturnal Emissions ici mais il est plus tardif. J’écouterai Fruiting Body ensuite, Caroline K joue dessus.

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