Lonnie Holley est né septième enfant d'une fratrie de vingt-sept à l'époque des lois Jim Crow, et raconte qu'il fut échangé contre une bouteille de whisky quand il avait quatre ans. En plus de faire de la musique, Lonnie Holley travaille aussi des objets trouvés pour en faire des sculptures étranges et familières, des trucs collés et assemblés à des bidules tirés du grand bazar d'une vie, ou encore des silhouettes qui partent dans plusieurs directions.
Mais c'est sa voix qui me touche en premier : une voix vraiment belle, sur une musique qui l'est autant et que je ne saurais pas où classer. Du chant libre sur des boucles rythmiques ou mélodiques, ça peut durer trois minutes comme vingt-cinq, peu importe. Ce style a quelque chose d'intemporel (même quand il utilise des sons électroniques), et pourtant les sujets sont précis et actuels, qu'il parle de lui-même, des ambitions de sa fille ou de l'évolution du cinéma aujourd'hui (sur la piste la plus étonnante, qui tient treize minutes dans un équilibre instable ; d'autres sont très belles dans leur simplicité comme “Here I Stand Knocking at Your Door”).
Je n'ai pas encore écouté les suivants, mais “I Woke Up in a Fucked Up America”, sorti après 2016, est déjà nettement plus sombre…
⢺
R.I.P. Phil Western, un artiste que je ne connaissais à vrai dire que par ses collaborations : avec cEvin Key de Skinny Puppy sur Download, avec Mark Spybey de :zoviet*france: sur Beehatch… et avec Tim Hill (que je ne connais pas) sur Frozen Rabbit.
26,000 comprend huit pistes, huit styles, un équilibre impeccable entre minimalismes atmosphérique et déstabilisant, un peu de glitch et d'expérimentations que l'on a pu entendre dans ces groupes de musique post-industrielle abstraite. Les répétitions de la voix sur la piste-titre sont incroyables, carrément lumineuses. (D'ailleurs elle est aussi sortie en version très longue, pour constituer un album à elle seule.) Sur “Purification Process”, des chants de gorge sont utilisés sans être modifiés directement mais dans un tel contexte qu'on ne les reconnaît pas tout de suite. Ailleurs, ce sont des jeux plus subtils d'assonances et dissonances, ou parfois de l'arctic ambient classique mais très maîtrisé.
Vous pouvez acheter l'album sur Bandcamp. Mais je ne sais pas où va l'argent quand l'artiste est décédé ?
⡪
Un point de comparaison évident pour parler d'
Esperanto de Ryuichi Sakamoto, c'est
Life in the Bush of Ghosts de Brian Eno et David Byrne (sorti quatre ans plus tôt). On retrouve la même idée de musiques experiméntales rythmiques qui empruntent à plein de sources différentes, mais
Esperanto est plus heurté, plus vivant, avec des rythmes qui s'arrêtent et recommencent abruptement, des samples tranchés en plein milieu qui créent des rythmes évidents de manière totalement irrégulière. C'est de la découpe-recoupe plus que de la juxtaposition. Sakamoto va aussi plus loin qu'Eno et Byrne dans le minimalisme et la dissonance ; c'est assez fou, ça passe du coq à l'âne constamment, ça a des airs bancaux mais ça reste cohérent et très agréable !
Et puis
Esperanto ne cherche pas tant à intégrer des musiques d'autres traditions qu'à surprendre avec sa gamme de sons. Parfois ce sont des instruments « exotiques » mais ça peut tout aussi bien être des guitares électriques (sur “Adelie Penguins”, sorte de tube barré pour lequel une vidéo tout aussi improbable est sortie) ou des chants d'oiseaux.
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Current 93 — Lucifer Over London (1994) |
Je continue de creuser la discographie de Current 93 ;
j'en ai déjà pas mal mais on n'en fait pas le tour facilement ! J'aime
la voix de
David Tibet, j'aime quand sa musique est mystérieuse*,
terrifiante (
I Have a
Special Plan for This World,
Dogs Blood Rising), mélancolique jusqu'à un certain point (
Earth Covers Earth,
Black Ships Ate the Sky). Je décroche seulement quand il fait du folk acoustique super triste — bel exemple d'un artiste où je ne recommande pas à son œuvre la plus populaire (
Thunder Perfect Mind) .
Lucifer
Over London est mon préféré parmi les disques que j'ai découverts
récemment ; c'est un EP étonnamment rock, avec une première piste qui
s'inspire de Black Sabbath suivie d'une reprise
d'un groupe de rock peu connu, les Groundhogs (reprise assez directe,
ce sont eux qui méritent le crédit, mais elle est réussie et colle bien à
l'esthétique du projet) avant d'attaquer la nettement plus mystérieuse
et mélancolique
“The Seven Seals Are Revealed at the End of Time as Seven Bows: The
Bloodbow, the Pissbow, the Painbow, the Faminebow, the Deathbow, the
Angerbow, the Hohohobow”. Tu parles d'un titre, mais malgré l'humour
c'est plutôt sérieux, et les deux moitiés du disque se complémentent très bien.
(Il y a aussi Jhonn Balance au chant sur ce disque, même si ce n'est pas sa meilleure performance.)
*
En général son côté mystérieux est mélangé à d'autres, genre ici sur
“The Seven Seals Are Revealed…” — une de ses pistes mystérieuses que je
préfère est “Twilight Twilight Nihil Nihil”, si vous connaissez tout un
disque comme ça, je prends !
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Pom Pom [POM 33] (2010) |
Trouvez-moi plus techno que Pom Pom : plus de
quarante EPs vinyle sans aucun titre, avec des pochettes unies noires,
tout ce qu'on sait desssus c'est que ça vient de Berlin. Comme j'ai
entendu du bien du projet, j'ai chopé les n°s 18 (EP), 24 (EP) et 33
(album) — et franchement oui, ça le fait. Une base classique (rythmes
minimalistes et répétitifs comme il se doit) et des finitions
inattendues qui jettent plein de couleurs dans la mi-ombre. On
ne sait jamais à quoi va ressembler la prochaine boucle rythmique ou
mélodique, toutes samplées je suppose mais qui viennent de genres très
différents; ça va de l'atonal à la pop, parfois on s'étonne d'entendre
un piano jazzy sur ce qui semble être des fantômes de chanson dansante,
ou encore sur l'excellent final un xylophone et des synthés acidulés.
Il y a aussi
un mix de cinq heures et demie dispo sur SoundCloud.