mardi 30 juin 2020

♪ 94 : Addendum étranger à l'héritage océanique

Jamila Woods
LEGACY! LEGACY!
(2019)
Betty Davis, Zora Neale Hurston, Nikki Giovanni, Sonia Sanchez, Frida Kahlo, Eartha Kitt, Miles Davis, Muddy Waters, Jean-Michel Basquiat, Sun Ra, Octavia Butler, James Baldwin.

Douze personnalités auxquelles Jamila Woods rend hommage en autant de chansons soul, sans parler d'elles directement mais en évoquant des sujets où elles lui ont donné inspiration, courage, ou lui ont fait ressentir quelque chose d'inédit. (Ce qui est très élégant et pertinent — tant d'autres admirent les doigts de qui leur montre les étoiles !)

Le mois dernier, je recommandais Negro Swan de Blood Orange pour ses accroches et son atmosphère aériennes ; Legacy! Legacy! aussi atteint une grâce crépusculaire dansante et émouvante, mais il va encore un peu plus loin et brille par son écriture, ses mélodies, la voix de Jamila Woods aussi. Classique et splendide.


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Jakob Ullmann
Fremde Zeit Addendum 5
(2019)
Jakob Ullmann continue d'ajouter des addendums à son Fremde Zeit Addendum, œuvre réductionniste majeure pour qui aime les compositions fantômatiques où les instruments s'approchent du silence. Toutes sont longues et différentes, je les recommande toutes mais ce cinquième volume est mon préféré je crois ! Sur papier, c'est un solo pour piano, mais on n'entend que peu de notes claires ici — les cordes du piano sont frottées (par trois assistants) pour prolonger le jeu infinitésimal, et ces vibrations donnent l'impression d'un souffle, presque un phénomène naturel, calme mais prégnant.




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>Single
(2002)
Je n'avais pas encore entendu d'album comme celui-là : des rythmes ambient dub/techno associés à du power ambient (= plein de couches sonores) dense et très organique, avec une dose de psychédélisme. Ce style a quelque chose de sauvage, et chaque piste adopte en plus une approche différente : sombres ou colorées, certaines ont de la tension ou une énergie contenue, une forte agitation en arrière-plan.








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Je me mets à la discographie d'Uwe Schmidt, loustic aux mille alias ; Atom Heart et Atom™ sont ses plus connus, mais c'est son label Rather Interesting qui a piqué ma curiosité en premier ! Une série d'albums très éclectique où il a changé de nom et de concept à chaque fois, qui se basent en général sur des beats plutôt relaxants et des touches d'humour fantaisistes.

En suivant les conseils de Jacob Ohrberg (qui a effacé son guide depuis), j'ai commencé par Naturalist, entre ambient et “glitch funk”, très prenant, où le thème de la nature semble sorti d'un peu nulle part quand Herr Schmidt se met à chanter que la nature c'est vraiment trop beau et qu'il faut boire du café ou quelque chose du genre. D'après les notes, l'album (sorti en 1998) était à écouter de préférence avant janvier 2004, mais franchement ça va !

J'aime aussi beaucoup Machine Paisley, plutôt psychédélique et un peu jazzy ; Flextone, ambient techno de très bonne facture qui combine grooves et ambiances froides (vous pouvez commencer par là si vous préférez un disque sérieux) ; Dots, ambient particulièrement narcotique qui rappelle (surtout sur son superbe final “Tonic Edge”) que sieur Cœur Atomique a collaboré avec Pete Namlook et Tetsu Inoue.

Je sais qu'à côté de ça il y a encore du hip hop (Mono™), du downtempo (Interactive Music), du glitch (DOS Tracks), et plein d'inspirations « exotiques », comme ses reprises cha-cha-cha, cumbia ou merengue de Kraftwerk sur El baile alemán, signé Señor Coconut. Y'a de quoi faire !


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Jeu vidéo vénézuélien non officiel et non intéressant à jouer sorti sur Megadrive en 2004 (!), CrazyBus est devenu célèbre pour sa nullité mais aussi et surtout pour sa bande son époustouflante. Sans doute la plus improbable que j'ai jamais entendue ; si le projet avait été plus sérieux qu'une simple démo, ç'aurait été une réussite affligeante ou un échec absolument magistral.

Je vous laisse admirer et écouter ça.

Et vous pouvez télécharger cette bande son en FLAC gratuitement ici ! Une affaire !

On peut aussi trouver des remixes et reprises sur Youtube, j'aime bien celles qui modifient la mélodie pour l'accorder à une gamme.


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Thomas Köner
La Barca
(2009)
Thomas Köner a conçu La Barca comme un journal de voyage, enregistrant sur deux ans des sons de villes à travers le monde et les plongeant dans des nappes dark ambient. Ne vous attendez pas à changer d'atmosphère à chaque piste — ces drones qui accompagnent chaque lieu ne noient pas les enregistrements, mais ils sont une présence constante qui teinte tout de couleurs noires. En fait ça me rappelle un peu le Voyage au bout de la nuit de Céline, où le protagoniste fait le tour du monde mais n'arrive pas à échapper à son état d'esprit — sauf que Céline avait fini par me lasser un peu avec son type qui trouve tout également pourri, alors que La Barca me plaît beaucoup avec ses sons calmes, introspectifs, profonds voire mystérieux.

Une autre image qui m'est venue en tête à l'écoute est celle d'un port où l'on croiserait des gens de toutes nationalités, toujours de passage, portés par l'océan noir des sons.

(L'édition originale de douze pistes ne mentionnait pas les noms des villes mais uniquement leurs coordonnées, de quoi effacer un peu plus les repères ; la complète disponible sur Bandcamp révèle où l'on est.)

lundi 29 juin 2020

Mots (8)



81.

Il peut arriver qu'une abréviation ait un sens différent du mot dont elle est issue ; en français par exemple, « collabo » par rapport à « collaborateur ».


82.
Il est intéressant de se poser la question des différences entre masculinité et virilité — soit (en gros) entre ce qui caractérise les hommes dans la réalité et les qualités qu'on voudrait leur attribuer selon un certain idéal. Pour les femmes, il n'y a longtemps eu que la féminité, mais le mot « matrilité  » (pendant féminin de la virilité) a été inventé récemment… ce qui m'évoque tout de suite la maternité et pas grand chose d'autre. Je préférerai toujours la personnalité et l'individualité.


83.
Les « petits  mots » explétifs (comme le « ne » quand il n'a pas de sens négatif, un « de » phonétique, etc.) ont de quoi rendre fou quelqu'un qui apprendrait la langue, non ? Je crois voir à peu près quand on les utilise, mais je serais incapable d'expliquer pourquoi, quelles sont les règles. Je fais tout par imitation.


84.
Je m'étais déjà étonnée dans un post précédent que l'on n'ait pas d'équivalent au verbe anglais to enjoy. On pourra dire que c'est parce que l'on préfère davantage de précision et un registre plus soutenu avec nos « admirer », « déguster », « apprécier »… restent quand même des lacunes selon les sens et les expériences. (Dans les slogans publicitaires par exemple, “Enjoy X” a pu être traduit par un impératif plutôt péremptoire : « Buvez X », « Lisez X ! »)

Et puis j'ai découvert récemment qu'on a un mot qui ressemble beaucoup, simplement très peu usité en France : « s'enjailler », pour dire s'amuser, passer du bon temps ! Ça vient de Côte d'Ivoire.

… Bon, Wikipédia me dit qu'« enjoyer » est aussi attesté en français maintenant. Soit.


85.
Certains mots français ont été empruntés en anglais avec un sens un peu différent ; les viandes sont un exemple connu, par exemple mutton désigne la viande de mouton (l'animal se dit sheep, ewe pour la brebis), idem pour beef et la viande de bœuf (ox : buffle, bull : bœuf, cow : vache), pork et la viande de porc (pig, swine)… Mais je n'ai appris que récemment que les nombres avaient été empruntés aussi, pour désigner une face de dé ou la valeur d'une carte ! Ainsi sice, cinque, cater, trey, deuce, ace.


86.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas mangé de glace à la réglisse. C'est délicieux. Sauf si on n'aime pas la réglisse, auquel cas c'est non-délicieux. C'est drôle que le mot « réglisse » soit féminin dans tous les cas sauf quand on parle du bonbon. Et drôle aussi de voir à quel point la réglisse est populaire en Scandinavie mais souvent détestée aux États-Unis.

D'ailleurs, pourquoi « amour » est-il masculin en général mais féminin dans certains poèmes ou textes littéraires au registre soutenu ?


87.
En principe, l'abréviation l pour le litre ne prend pas de majuscule. Mais le l minuscule peut facilement se confondre avec un I ou un 1, ce qui n'est pas très pratique (j'ai eu un problème avec ça lors de mon bac de SVT). Ainsi, Ken Woolner de l'université de Waterloo a eu l'idée de publier la biographie d'un savant fictif, Claude Émile Jean-Baptiste Litre, en tant que poisson d'avril en espérant que certains tombent dans le panneau et se mettent à mettre une majuscule à litre. Et ça fonctionna ! Aujourd'hui, même si ça contrevient aux règles en théorie, on peut abréger le litre en L en hommage à monsieur Litre qui n'a jamais existé. Merci monsieur Woolner !

Notez que sur ordinateur, on peut utiliser le symbole aussi (ce qui rentrerait plutôt pour ma série de posts sur l'Unicode mais c'est cool).


88.
Un aptonyme est un nom qui correspond bien à la personne qui le porte (monsieur Lalune, astronome, ou madame Farine, boulangère).


89.
Nigelnagelneu“ en allemand signifie « tout neuf ». L'élément chimique n°111, aujourd'hui baptisé rœntgenium, a été précédemment appelé « unununium » en raison de son numéro. Le tic-tac-toe est un petit jeu basique que vous connaissez sans doute, si vous ne l'appelez pas « morpion ». (Je chercherai d'autres mots du genre plus tard !) L'alfalfa est le nom anglais de la luzerne. Je ne sais pas pourquoi j'adore les mots „nigelnagelneu“ et « unununium » mais je déteste « alfalfa ».


90.
À moins de pouvoir la comparer à une forme connue (une lettre de l'alphabet par exemple), une forme géométrique peut être compliquée à décrire. Par exemple :


Comment décririez-vous celles-ci ?


91.
Le mot “funky” en anglais peut être trompeur et difficile à traduire. Oubliez la musique — le sens original est quelque chose de fort en caractère, une odeur ou un goût très marqués, a priori pas du goût de tout le monde… mais qui peuvent être appréciés. Pensez à certains fromages forts ou à des rhums jamaïcains par exemple. Dans certains cas, on pourrait traduire par « rustique », mais je ne crois pas que cela fonctionne partout.


92.
D'ailleurs, en parlant de rhums jamaïcains et de “funk”, il y a un mot pour désigner leur caractère spécifique : « hogo » (déformation de « haut goût »), que l'on décrit parfois comme une saveur de fruit pourri (ou de terre, de noix rances) mais qui serait paradoxalement plaisante.

Autre exemple d'un terme ultraspécifique : pour désigner un goût particulier que l'on retrouve dans les thés de Darjeeling, surtout ceux d'été, on parle de « muscatel ». Ce serait un goût proche du raisin muscat mais aussi du foin. (Perso, le Darjeeling, ce n'est pas trop ma tasse de thé à cause de leurs notes bergamotées !)



93.
Trouvée sur un autre blog (cliquez pour lire l'article et l'explication !) : la phrase « Allez, va, ça ira ! », constituée de trois formes complètement différentes du verbe « aller »… et de peu d'autres choses !


94.
Par pitié, arrêtez de calquer bêtement le “Wait, what?” anglophone en « Attends, quoi ? » ! On a tellement mieux en français, en un seul mot : « Pardon ? », « Comment ? »… et surtout  « Plaît-il ? » qui permet de rajouter une petite note ironique en plus.


95.
J'aime le mot “milquetoast”, parce qu'il est amusant (on dirait “milk toast” avec “milk” écrit à la française — d'ailleurs ça vient de là indirectement, via un personnage)… mais aussi parce qu'il me rend nostalgique de Persona 4, où il apparaît dans un texte de quête annexe. Il y a d'autres mots comme ça, qui me font toujours penser à un livre, une chanson, une personne parce que je ne les ai lus ou entendus nulle part ailleurs — et parfois il y a des auteurs qui ont des mots fétiches que je remarque beaucoup. Par exemple les verbes loll et lurch chez Douglas Adams. D'ailleurs il y a un livre qui analyse le vocabulaire et les tendances stylistiques de divers auteurs en faisant les comptes : Nabokov's Favorite Word is Mauve, de Ben Blatt.