Musique électronique (IDM) hyperactive et mélancolique + grunge/indus rock (Nine Inch Nails, Soundgarden)* + adolescence + vieux blogs, internet et mauvais goût des années 90 + extraterrestres mutants + horreur corporelle + univers parallèles cryptiques + mindfuck = Garden of Delete. Un album à la fois dégueu, bordélique et génial, qui me conforte dans l'idée que Oneohtrix Point Never est l'un des artistes les plus pertinents de notre époque.
Garden of Delete n'est pas juste un album — c'est tout un univers mi-familier mi-bizarroïde qu'a créé Daniel Lopatin, avec un personnage principal du nom d'Ezra (un ado mutant extraterrestre si j'ai bien suivi), un groupe fictif Xx-DⒶRK-REBELLE-xX nommé Kaoss Edge, au moins trois comptes Twitter, un clip barré pour “Sticky Drama” avec des ados qui font du jeu de rôle grandeur nature, des tamagotchis et des blobs… Dire que c'est un album générationnel ou « pas du goût de tout le monde » serait tirer au BFG sur une porte ouverte. Pour les ex-semi-geeks comme moi qui ont passé le changement de millénaire sur des forums Aphex Twin et Nine Inch Nails, ça touche une corde sensible.
* Oui, parce que Oneohtrix Point Never était en tournée avec eux — mais plutôt que d'essayer de mélanger ces genres avec ses sons électroniques, Lopatin a transformé/transposé une partie de l'esprit de ces genres dans sa musique. Ce qui au final est plus proche d'un projet de Skinny Puppy, et encore… on reste loin.
Il est intéressant de contraster Garden of Delete avec son album précédent, R Plus Seven, qui prenait pour objet les esthétiques épurées si à la mode de nos jours et les rendait déroutantes, avec des vides, des configurations d'espaces étranges, une beauté déconstruite, inhumaine, plastique dans les deux sens du terme, mais une beauté quand même (illustrée parfaitement par le clip de “Problem Areas”)… R Plus Seven avait des paroles écrites (dans le livret) mais non chantées. Garden of Delete a des paroles qui confinent au non-sens, générées presque aléatoirement pour coller à la musique et retranscrites après coup.
En tout cas, pour moi c'est son meilleur album. Il n'y a qu'“Animals” que je n'aime pas trop.
Les entretiens qu'a donné l'artiste à des magazines récemment sont intéressants à lire aussi :
http://www.dummymag.com/features/oneohtrix-point-never-garden-of-delete-interview
http://www.factmag.com/2015/11/12/oneohtrix-point-never-garden-of-delete-interview
https://thump.vice.com/en_us/article/oneohtrix-point-never-told-us-the-story-behind-every-single-track-on-garden-of-delete
Avant le mouvement bubblegum bass, je n'aurais pas pensé que la pop puisse être extrême. Je voyais la pop comme un genre à la croisée de tous les chemins, toujours facile d'accès. Pourtant j'aurais dû m'en douter : il suffit d'accentuer à fond tout ce qui est dansant et accrocheur, tout ce qui est « mignon », tout ce qui est vulgaire ou autre, et voilà : on dépasse les limites acceptables et on arrive en terrain inexploré.
Product de Sophie est un disque ultra-pop, extrêmement artificiel et racoleur, aussi sucré et acide que possible, mais aussi très expérimental (même le single le plus évident possède la particularité de n'avoir aucune percussion). À proprement parler, ce n'est pas un album, c'est juste quatre deux-titres mis bout à bout, mais ça fonctionne mieux comme ça. 25 minutes uniquement, mais je pense qu'une heure entière deviendrait écœurante. C'est tour à tour très accrocheur (“Bipp”, “Vyzee”), carrément étrange et déroutant (“L.O.V.E.”), et quand je suis d'humeur j'aime beaucoup.
Dans le même genre, il y a aussi la compile PC Music Vol. 1 qu'il faut écouter, mais là j'atteins mes limites… Là où Sophie se focalise sur le dancefloor, le sexe* et l'expérimentation, les artistes de PC Music se complaisent dans univers digitaux rose bonbon avec des paillettes, des emojis et des amours adolescentes, et là quand je ne suis pas parfaitement dans le bon état d'esprit ça m'insupporte en quelques secondes.
* Suffit d'écouter les paroles de “Hard” ou d'aller voir parmi les produits dérivés officiels sur le site de l'artiste.
Irony Is de 2nd Gen, c'est ce qui arrive quand on croise hip hop industriel, noise et breakbeat. Et encore, quand je dis hip hop… il n'y a presque pas de rap ici, les voix sont plus proches du spoken word voire du chant — c'est plutôt une similarité avec des artistes comme Techno Animal ou dälek qui justifie le genre. La première place est prise par les énormes machines à faire danser qui crachent du bitume et des gravats partout. C'est entraînant, dansant, les sons sentent la distortion et le bruit mais il y a du groove là dedans.
Dans l'esprit, j'ai envie de dire que ça ressemble presque à The Prodigy en beaucoup plus sérieux (pas trace de clowneries ici) et beaucoup plus abrasif. Ça arrache en tout cas.
Je me rends compte que je n'ai jamais parlé d'A Narrow Angle de Marc Behrens. C'est un album composé d'enregistrements pris à Taiwan, « une île à trois noms », et contrairement à d'autres disques de phonographies qui favorisent la contemplation, voire proposent des paysages sonores quasi-ambient, A Narrow Angle est un album intense, très construit, beaucoup plus impressionniste et expérimental que documentaire. Les impressions d'être dans un endroit trépidant, entouré de machines, de lumières multicolores, ou dans des couloirs vides étrangers sont particulièrement vives.
La première piste plonge dans des salles d'arcade, c'est bruyant au point de donner le tournis ; la deuxième, dans le métro, se focalise sur deux types de « bips » qu'émettent les lecteurs de cartes d'abonnements, qui résonnent, interagissent, génèrent des microtons, on n'a plus du tout l'impression d'être dans un lieu de passage appartenant à une civilisation humaine. La troisième est enregistrée dans un temple taoïste, et on a des sons beaucoup plus naturels, du bois, du vent, peut-être de la pierre… mais dans un vide finalement tout aussi étrange et déroutant.
L'album est accompagné de cinq textes courts qui, plutôt que d'illustrer la musique, présentent des fragments complètement différents du voyage, des présences humaines et des événements plutôt que des environnements et des objets. Ils valent le coup d'être lus aussi. Enfin, on peut trouver neuf photos de l'artiste sur la page du label.
Pour pas mal de gens, la lowercase music est une curiosité, une musique qui a plus d'intérêt à être essayée (pour entendre jusqu'où on peut aller) qu'à être écoutée pour elle-même. Ça se comprend. J'aime beaucoup ce genre, mais d'habitude je préfère les albums les plus « musicaux » et les moins « radicaux » du genre, ceux qui m'évoquent quelque chose, qui ont une beauté propre… Là, j'ai affaire à une sacrée exception et ça va être difficile de convaincre qui que ce soit que ce disque n'est pas un foutage de gueule absolu.
Sectors (for Constant) de Sean Meehan est un double album ultra-minimaliste où le silence ne fait pas seulement partie intégrante de la musique : c'en est carrément l'élément principal. L'artiste joue de la cymbale et de la caisse claire en produisant des sons qui ressemblent plus à la vibration d'un doigt sur un verre humide, à un violon déchirant ou même à un ton presque pur qui rappelle les ondes sinusoïdales de Sachiko M. Sur le disque bleu, le plus dépouillé, l'artiste joue quatre fois en 48 minutes. Le reste du temps, soit la majorité du disque : rien ! Le disque violet est nettement plus animé, mais on reste si loin dans l'extrémisme sonore qu'on pourrait ne pas s'en rendre compte à première écoute.
Il existe au moins deux albums « connus » qui semblent jouer dans les mêmes cordes : A Young Person's Guide to Antoine Beuger, et Quartet de Nikos Veliotis, Taku Sugimoto, Kazushige Kinoshita et Taku Unami. Je les trouve moyens. Sur “Sekundenklange”, Antoine Beuger ne fait au final que jouer une mélodie trèèès lentement en espaçant beaucoup les sons (c'est un peu simpliste). Sur “Music for 4 Stringed Instruments” de Veliotis et al., les quatre musiciens jouent si peu et de manière si peu prévisible que rien ne se construit, ça semble aléatoire et du coup ça n'a aucun intérêt à mes oreilles. (Les deux pistes suivantes valent le coup, mais vu que cette première dure une demi-heure, ça tue un peu l'album quand même.)
Sean Meehan a un autre projet, qui me paraît beaucoup plus pertinent : dissocier intégralement l'instrument de tout contexte et toute histoire musicale (plus de rythmes, plus de mélodies, plus d'harmonies ni de dissonances, plus d'interactions entre les musiciens : ne reste que l'existence du son, l'art de la musique est réduit à néant), et rendre les sons et le silence aussi concrets que possible. Ça ressemble plus à de la peinture abstraite qu'à l'immense majorité des œuvres musicales que j'ai pu entendre. Les sons sont beaux, intéressants, mais dénués de tout sentiment, toute évocation. Et le silence (qui n'est pas tout à fait du silence, il y a un très faible bruit de fond) est dense, pas vraiment parce qu'on attendrait avec impatience le prochain son, mais parce qu'il est aussi indispensable à l'impression que provoquent les sons que les espaces blancs sont indispensables dans les arts plastiques.
Un mot sur la pochette : il s'agit de deux feuilles de papier recyclé épaisses thermocollées, sans inscription, qu'il faut déchirer pour pouvoir récupérer les disques et écouter la musique. Textures évanescentes dans les deux cas, et il faut choisir : soit la pochette, soit la musique, mais l'une interdit l'autre. Tirage évidemment limité, aujourd'hui introuvable. J'aime penser que, si tout le monde avait voulu écouter la musique et si internet n'avait pas existé, il n'y aurait aujourd'hui peut-être plus aucun exemplaire intact du disque.
… Ça vous convainc ? Franchement, ça m'étonnerait. Je crois que c'est le genre d'œuvre qui, si elle était plus connue, serait moquée et décriée par tout le monde, et que toute explication qu'on pourrait donner a quelque chose de ridicule.
J'ai écouté un autre album de Sean Meehan, Preconceived and Improvised Compositions for Drum Set ; il est assez éloigné de Sectors (for Constant). Ce sont des soli de batterie qui utilisent une large palette sonore, des rythmes intenses qui remplissent tout l'espace à des sons nettement plus retenus. Très peu de passages calmes ou silencieux. Pourtant, là aussi, l'artiste joue sur la présence et l'absence (celle d'autres musiciens ?), rend chaque son concret. C'est un album plus accessible, plus varié. Il est intéressant aussi mais il me marque moins.
Et puis si vous aimez la techno, procurez-vous la compile Futur II de chez Giegling.
Une heure vingt de beats éclectiques avec des sons minimaux, jazzy, dansants, rêveurs, dub, expérimentaux… par une bande de potes de Weimar qui, après avoir donné quatre concerts dans une baraque de trente mètres carrés qui a tenu lieu de bar étudiant puis de club avant de fermer, ont eu envie de continuer à faire de la musique ensemble. C'est une musique en gris colorés qui sonnent de plus en plus colorés au fil des écoutes, mi-mélancolique mi-joyeuse. Ce sont les pochettes qui m'ont donné envie d'écouter leurs disques, avec ce lettrage mécanique mais imparfait au tampon encreur, ça colle parfaitement.
Le site du label est très minimaliste, il y a juste plein de dates, quels vinyles sont encore disponibles à l'achat (jamais beaucoup, ils partent vite), et en ce moment, un mix d'une heure en téléchargement gratuit.
Garden of Delete n'est pas juste un album — c'est tout un univers mi-familier mi-bizarroïde qu'a créé Daniel Lopatin, avec un personnage principal du nom d'Ezra (un ado mutant extraterrestre si j'ai bien suivi), un groupe fictif Xx-DⒶRK-REBELLE-xX nommé Kaoss Edge, au moins trois comptes Twitter, un clip barré pour “Sticky Drama” avec des ados qui font du jeu de rôle grandeur nature, des tamagotchis et des blobs… Dire que c'est un album générationnel ou « pas du goût de tout le monde » serait tirer au BFG sur une porte ouverte. Pour les ex-semi-geeks comme moi qui ont passé le changement de millénaire sur des forums Aphex Twin et Nine Inch Nails, ça touche une corde sensible.
* Oui, parce que Oneohtrix Point Never était en tournée avec eux — mais plutôt que d'essayer de mélanger ces genres avec ses sons électroniques, Lopatin a transformé/transposé une partie de l'esprit de ces genres dans sa musique. Ce qui au final est plus proche d'un projet de Skinny Puppy, et encore… on reste loin.
Il est intéressant de contraster Garden of Delete avec son album précédent, R Plus Seven, qui prenait pour objet les esthétiques épurées si à la mode de nos jours et les rendait déroutantes, avec des vides, des configurations d'espaces étranges, une beauté déconstruite, inhumaine, plastique dans les deux sens du terme, mais une beauté quand même (illustrée parfaitement par le clip de “Problem Areas”)… R Plus Seven avait des paroles écrites (dans le livret) mais non chantées. Garden of Delete a des paroles qui confinent au non-sens, générées presque aléatoirement pour coller à la musique et retranscrites après coup.
En tout cas, pour moi c'est son meilleur album. Il n'y a qu'“Animals” que je n'aime pas trop.
Les entretiens qu'a donné l'artiste à des magazines récemment sont intéressants à lire aussi :
http://www.dummymag.com/features/oneohtrix-point-never-garden-of-delete-interview
http://www.factmag.com/2015/11/12/oneohtrix-point-never-garden-of-delete-interview
https://thump.vice.com/en_us/article/oneohtrix-point-never-told-us-the-story-behind-every-single-track-on-garden-of-delete
Avant le mouvement bubblegum bass, je n'aurais pas pensé que la pop puisse être extrême. Je voyais la pop comme un genre à la croisée de tous les chemins, toujours facile d'accès. Pourtant j'aurais dû m'en douter : il suffit d'accentuer à fond tout ce qui est dansant et accrocheur, tout ce qui est « mignon », tout ce qui est vulgaire ou autre, et voilà : on dépasse les limites acceptables et on arrive en terrain inexploré.
Product de Sophie est un disque ultra-pop, extrêmement artificiel et racoleur, aussi sucré et acide que possible, mais aussi très expérimental (même le single le plus évident possède la particularité de n'avoir aucune percussion). À proprement parler, ce n'est pas un album, c'est juste quatre deux-titres mis bout à bout, mais ça fonctionne mieux comme ça. 25 minutes uniquement, mais je pense qu'une heure entière deviendrait écœurante. C'est tour à tour très accrocheur (“Bipp”, “Vyzee”), carrément étrange et déroutant (“L.O.V.E.”), et quand je suis d'humeur j'aime beaucoup.
Dans le même genre, il y a aussi la compile PC Music Vol. 1 qu'il faut écouter, mais là j'atteins mes limites… Là où Sophie se focalise sur le dancefloor, le sexe* et l'expérimentation, les artistes de PC Music se complaisent dans univers digitaux rose bonbon avec des paillettes, des emojis et des amours adolescentes, et là quand je ne suis pas parfaitement dans le bon état d'esprit ça m'insupporte en quelques secondes.
* Suffit d'écouter les paroles de “Hard” ou d'aller voir parmi les produits dérivés officiels sur le site de l'artiste.
Irony Is de 2nd Gen, c'est ce qui arrive quand on croise hip hop industriel, noise et breakbeat. Et encore, quand je dis hip hop… il n'y a presque pas de rap ici, les voix sont plus proches du spoken word voire du chant — c'est plutôt une similarité avec des artistes comme Techno Animal ou dälek qui justifie le genre. La première place est prise par les énormes machines à faire danser qui crachent du bitume et des gravats partout. C'est entraînant, dansant, les sons sentent la distortion et le bruit mais il y a du groove là dedans.
Dans l'esprit, j'ai envie de dire que ça ressemble presque à The Prodigy en beaucoup plus sérieux (pas trace de clowneries ici) et beaucoup plus abrasif. Ça arrache en tout cas.
Je me rends compte que je n'ai jamais parlé d'A Narrow Angle de Marc Behrens. C'est un album composé d'enregistrements pris à Taiwan, « une île à trois noms », et contrairement à d'autres disques de phonographies qui favorisent la contemplation, voire proposent des paysages sonores quasi-ambient, A Narrow Angle est un album intense, très construit, beaucoup plus impressionniste et expérimental que documentaire. Les impressions d'être dans un endroit trépidant, entouré de machines, de lumières multicolores, ou dans des couloirs vides étrangers sont particulièrement vives.
La première piste plonge dans des salles d'arcade, c'est bruyant au point de donner le tournis ; la deuxième, dans le métro, se focalise sur deux types de « bips » qu'émettent les lecteurs de cartes d'abonnements, qui résonnent, interagissent, génèrent des microtons, on n'a plus du tout l'impression d'être dans un lieu de passage appartenant à une civilisation humaine. La troisième est enregistrée dans un temple taoïste, et on a des sons beaucoup plus naturels, du bois, du vent, peut-être de la pierre… mais dans un vide finalement tout aussi étrange et déroutant.
L'album est accompagné de cinq textes courts qui, plutôt que d'illustrer la musique, présentent des fragments complètement différents du voyage, des présences humaines et des événements plutôt que des environnements et des objets. Ils valent le coup d'être lus aussi. Enfin, on peut trouver neuf photos de l'artiste sur la page du label.
Pour pas mal de gens, la lowercase music est une curiosité, une musique qui a plus d'intérêt à être essayée (pour entendre jusqu'où on peut aller) qu'à être écoutée pour elle-même. Ça se comprend. J'aime beaucoup ce genre, mais d'habitude je préfère les albums les plus « musicaux » et les moins « radicaux » du genre, ceux qui m'évoquent quelque chose, qui ont une beauté propre… Là, j'ai affaire à une sacrée exception et ça va être difficile de convaincre qui que ce soit que ce disque n'est pas un foutage de gueule absolu.
Sectors (for Constant) de Sean Meehan est un double album ultra-minimaliste où le silence ne fait pas seulement partie intégrante de la musique : c'en est carrément l'élément principal. L'artiste joue de la cymbale et de la caisse claire en produisant des sons qui ressemblent plus à la vibration d'un doigt sur un verre humide, à un violon déchirant ou même à un ton presque pur qui rappelle les ondes sinusoïdales de Sachiko M. Sur le disque bleu, le plus dépouillé, l'artiste joue quatre fois en 48 minutes. Le reste du temps, soit la majorité du disque : rien ! Le disque violet est nettement plus animé, mais on reste si loin dans l'extrémisme sonore qu'on pourrait ne pas s'en rendre compte à première écoute.
Il existe au moins deux albums « connus » qui semblent jouer dans les mêmes cordes : A Young Person's Guide to Antoine Beuger, et Quartet de Nikos Veliotis, Taku Sugimoto, Kazushige Kinoshita et Taku Unami. Je les trouve moyens. Sur “Sekundenklange”, Antoine Beuger ne fait au final que jouer une mélodie trèèès lentement en espaçant beaucoup les sons (c'est un peu simpliste). Sur “Music for 4 Stringed Instruments” de Veliotis et al., les quatre musiciens jouent si peu et de manière si peu prévisible que rien ne se construit, ça semble aléatoire et du coup ça n'a aucun intérêt à mes oreilles. (Les deux pistes suivantes valent le coup, mais vu que cette première dure une demi-heure, ça tue un peu l'album quand même.)
Sean Meehan a un autre projet, qui me paraît beaucoup plus pertinent : dissocier intégralement l'instrument de tout contexte et toute histoire musicale (plus de rythmes, plus de mélodies, plus d'harmonies ni de dissonances, plus d'interactions entre les musiciens : ne reste que l'existence du son, l'art de la musique est réduit à néant), et rendre les sons et le silence aussi concrets que possible. Ça ressemble plus à de la peinture abstraite qu'à l'immense majorité des œuvres musicales que j'ai pu entendre. Les sons sont beaux, intéressants, mais dénués de tout sentiment, toute évocation. Et le silence (qui n'est pas tout à fait du silence, il y a un très faible bruit de fond) est dense, pas vraiment parce qu'on attendrait avec impatience le prochain son, mais parce qu'il est aussi indispensable à l'impression que provoquent les sons que les espaces blancs sont indispensables dans les arts plastiques.
Un mot sur la pochette : il s'agit de deux feuilles de papier recyclé épaisses thermocollées, sans inscription, qu'il faut déchirer pour pouvoir récupérer les disques et écouter la musique. Textures évanescentes dans les deux cas, et il faut choisir : soit la pochette, soit la musique, mais l'une interdit l'autre. Tirage évidemment limité, aujourd'hui introuvable. J'aime penser que, si tout le monde avait voulu écouter la musique et si internet n'avait pas existé, il n'y aurait aujourd'hui peut-être plus aucun exemplaire intact du disque.
… Ça vous convainc ? Franchement, ça m'étonnerait. Je crois que c'est le genre d'œuvre qui, si elle était plus connue, serait moquée et décriée par tout le monde, et que toute explication qu'on pourrait donner a quelque chose de ridicule.
J'ai écouté un autre album de Sean Meehan, Preconceived and Improvised Compositions for Drum Set ; il est assez éloigné de Sectors (for Constant). Ce sont des soli de batterie qui utilisent une large palette sonore, des rythmes intenses qui remplissent tout l'espace à des sons nettement plus retenus. Très peu de passages calmes ou silencieux. Pourtant, là aussi, l'artiste joue sur la présence et l'absence (celle d'autres musiciens ?), rend chaque son concret. C'est un album plus accessible, plus varié. Il est intéressant aussi mais il me marque moins.
Et puis si vous aimez la techno, procurez-vous la compile Futur II de chez Giegling.
Une heure vingt de beats éclectiques avec des sons minimaux, jazzy, dansants, rêveurs, dub, expérimentaux… par une bande de potes de Weimar qui, après avoir donné quatre concerts dans une baraque de trente mètres carrés qui a tenu lieu de bar étudiant puis de club avant de fermer, ont eu envie de continuer à faire de la musique ensemble. C'est une musique en gris colorés qui sonnent de plus en plus colorés au fil des écoutes, mi-mélancolique mi-joyeuse. Ce sont les pochettes qui m'ont donné envie d'écouter leurs disques, avec ce lettrage mécanique mais imparfait au tampon encreur, ça colle parfaitement.
Le site du label est très minimaliste, il y a juste plein de dates, quels vinyles sont encore disponibles à l'achat (jamais beaucoup, ils partent vite), et en ce moment, un mix d'une heure en téléchargement gratuit.