Nouveau coup de cœur :
Il Nuovissimo Mondo de Bologna Violenta ! Projet de Nicola Manzan, violoniste et multi-instrumentaliste italien qui s’est inspiré des “mondo movies” sur cet album à la fois complètement dingue et très maîtrisé.
Le thème du disque est la déchéance du monde et la fin de l’espèce humaine, et les paroles et mélodies sont apparemment tirées ou inspirées de ces films d’exploitation documentaires racoleurs des années 60 — que du bon goût, donc. Mais passons sur le fond ; la forme, elle, est géniale. (Passons aussi sur la non-pertinence de distinguer fond et forme en musique.)
Il Nuovissimo Mondo est un album avec d’agréables mélodies
easy listening qui se changent soudain en éruptions féroces de beats et de guitares… et plutôt que de s’opposer comme on l’entend souvent, les deux formes musicales vont de concert, comme si l’une était le prolongement logique de l’autre ! Les passages les plus violents restent joués de manière propre et précise — on n’assiste pas tant à une opposition du beau et du malsain, de l’ordre et du chaos, qu’à une présentation des deux comme étant les faces d’une même pièce. C’est carrément jouissif, et même drôle par moments.
Vous pouvez télécharger l’album gratuitement
ici, et/ou voir un des clips
là (certaines images peuvent choquer).
Witch de Leslie Winer… Par où je commence ? Winer est poète, musicienne et ex-mannequin, elle a travaillé avec William Burroughs et été amante de Jean-Michel Basquiat. Son premier album, Witch, date de 1990 environ et fut inspiré par les poèmes de la Beat generation, le hip hop et le dub… C’est aussi l’un des disques précurseurs du trip hop. (Certains disent même le précurseur, ce qui prête lieu à débat mais peu importe.)
C’est une musique froide, avec des percussions bien présentes mais des samples presque désincarnés, et la voix de Winer presque monocorde. Au point que quand on entend un peu de chaleur dans les sons, comme la guitare et le chant sur “Skin” ou bien le sample d’“Ohio” de Neil Young sur “5”, le contraste est saisissant.
Je n’aime pas mettre en avant les personnalités des gens plutôt que leur musique, d’ailleurs l’artiste elle-même avait sorti ce disque de façon presque anonyme sous le pseudonyme ©, sans photo ni rien — mais franchement, c’est l’attitude de Leslie Winer qui fait en grande partie le charme de ce disque. Si ça vous intéresse, je vous conseille de lire
son interview parue dans The Quietus ; en français,
cet article (qui date de 1999 quand même) n’est pas mal non plus.
Witch n’est pas disponible en disque pour le moment je crois, mais une réédition vinyle est prévue pour
le 29 avril chez Superior Viaduct . Sinon, Leslie Winer a aussi des trucs sur
sa page Bandcamp (dont des compilations, mais j’aime pas trop les compilations).
Andrew McKenzie est un artiste agaçant. Je ne connais aucun autre musicien qui soit aussi prétentieux à l’égard de sa propre œuvre et qui tienne autant à la rendre impénétrable… La volonté de l’artiste de ne rendre ses œuvres accessibles
que dans leur intégralité et sous leurs formes originales est tout à fait louable, mais
le ton qu’il emploie pour le dire est franchement désagréable — et la manière qu’il a d’insister sur le nombre d’heures qu’il lui a fallu pour tout faire, sur le fait qu’il soit impossible de comprendre sa musique sans l’analyser en regard des textes et des images qui les accompagnent, sur le fait que sa musique n’est pas faite pour le grand public etc. le rend assez antipathique.
Peut-être en partie à cause de cela, je n’ai écouté qu’assez peu de disques du Hafler Trio pour le moment ; mais si Seven Hours Sleep est ennuyeux (une heure de collages qui ne mènent nulle part) et si je n’ai pas accroché à A Thirsty Fish pour le moment, Kill the King est, lui, un disque remarquable. Si vous vous intéressez aux drones, aux musiques concrètes et électro-acoustiques, si vous aimez :zoviet*france:, Troum, Nurse with Wound et autres, vous devriez vraiment l’écouter.
Un texte de Beckett récité par une voix un peu étouffée, qui pourrait être humaine ou générée par ordinateur. Des drones menaçants qui enflent et grondent. Une tension non résolue, un son qui oscille, dissonant, des bruits non identifiés (des pas ? des frottements ? à quelle échelle est-on ?), des cris coupés et répétés qui deviennent glaçants, une clameur dérangeante. Un souffle, un entre-deux, un corridor de sons qui passent… Les sept pistes qui composent l’album sont intrigantes, déstabilisantes, donnent à entendre un univers qui tourne bizarrement.
Kill the King comprend aussi des textes et deux ou trois illustrations… Les photos de sujets grotesques peuvent transmettre une sorte d’inquiétante étrangeté, mais sensiblement différente de celle qu’on entend dans la musique. Les textes, eux, n’expliquent pas la moitié de ce qu’ils devraient pour être vraiment compréhensibles, trop de références manquent — et je soupçonne McKenzie d’avoir rajouté exprès quelques louches de non-sens pour les rendre presque abscons. Je ne sens pas vraiment de rapport entre musique, photos et textes — en fait, s’il faut considérer Kill the King comme une œuvre multi-média, on y perd. N’en déplaise à McKenzie, la musique se suffit largement à elle-même. Et c’est elle qui vaut le détour.
Un classique breakbeat + progressive house/trance, avec Julee Cruise et l’Orchestre Fédéral de Russie en guest stars… Même si vous n’avez jamais écouté Wide Angle d’Hybrid, vous en avez probablement déjà entendu parler quelque part, et peut-être déjà entendu l’une ou l’autre piste sans le savoir. C’est un album extrêmement populaire et qui, à mes oreilles, mérite son succès ; je prends toujours grand plaisir à l’écouter et je n’ai, en fin de compte, rien à lui reprocher.
Quant à trouver quoi dire d’intéressant à son sujet… c’est une autre histoire. La formule est parfaitement dosée et appliquée sans faux pas du début à la fin. On pourrait replacer Wide Angle dans un contexte historique — voir à quel point ce disque était original (ou pas ?) à sa sortie, quelles sont ses origines, quelle influence il a eu, etc. C’est sans doute l’approche qui serait la plus intéressante. Parce que la musique, elle, parle d’elle-même.
“IS THERE ANY ESCAPE FROM NOISE?”
Escape from Noise de Negativland est un disque que j’ai commencé par trouver drôle mais fatigant, et qu’aujourd’hui je trouve très drôle et génial. C’est un album conceptuel : dix-huit pistes qui sont autant des compositions musicales que des collages satiriques, et qui dressent un portrait complètement absurde de la société américaine à la fin des années 80… plus précisément, des attitudes qu’adoptent les gens pour surnager face à la déferlante d’informations, de stimuli, de conventions, de convictions contradictoires auxquels ils sont confrontés. C’est parfois attendrissant, parfois caustique, le plus souvent plein d’humour — sous forme de musiques denses et chaotiques, avec un peu de rock, un peu de synthés, des imitations ou réutilisations de plusieurs genres populaires, et surtout beaucoup, beaucoup de samples.
Aujourd’hui, avec le même concept, on pourrait faire un triple, un quintuple, un décuple album qui rendrait complètement fou… Le bruit est devenu de pire en pire, et les signaux sont devenus si nombreux qu’ils se mettent eux aussi à ressembler au bruit. Avec un peu de volonté, on peut toujours en rire ! (Y échapper, par contre…)
* NB : Si vous comptez acheter
Escape from Noise, prenez
la version du label Seeland, éditée par le groupe lui-même ! Les musiciens ne sont pas payés pour les rééditions de chez SST.