jeudi 26 janvier 2017

♪ 53 : Les Fleurs Solaires se Prennent dans les Flux Électriques

L'artiste a beau avoir déclaré qu'il est anti-religieux, Prayer and Resonance d'Unearth Noise est un des albums les plus empreints de spiritualité que j'ai pu écouter. Et surtout un des seuls qui donne véritablement une impression-illusion de transcendance par les sons, plutôt que de simplement évoquer le sujet dans les paroles.

C'est un disque avec des drones psychédéliques, inspiré par Coil et qui me rappelle plus encore Cyclobe (le projet semi-ambient très étrange et organique de deux ex-membres de Coil). Des chants païens instrumentaux, des prières chuchotées répétées tout autour de soi, la paix au sein du trouble… Chaque plage du disque est déstabilisante, mais assez répétitive, statique et séduisante pour induire une sorte de transe. L'influence de musiques indiennes et arabes s'entend également, et j'aimerais en savoir assez sur la théorie de la musique pour définir les modes utilisés ; en tout cas, ce n'est pas ce qu'on entend d'habitude. On pourrait prendre peur et pourtant on a envie de se laisser porter. Cette musique est fascinante. Et le final est absolument parfait.

Je peux remercier Lexo7 sur L'Ombre sur la Mesure d'en avoir parlé !




Blomma de Minilogue : un long disque d'ambient techno qui fait du bien, une musique fluide, claire et naturelle qui coule tranquillement le long de pistes d'un quart d'heure, une écoute légère mais captivante. L'enchaînement des quatre premières pistes, qui dure à lui seul une heure cinq, figure parmi les meilleurs exemples du genre que j'ai pu écouter : aussi entraînant que planant, avec des lignes de basse discrètes mais efficaces, des sons environnementaux qui donnent l'impression d'être au grand air… En fait, le groupe aurait pu s'arrêter là et ça aurait déjà donné un excellent album auquel rien n'aurait manqué. J'ai tendance à considérer la suite comme du bonus. Le second CD, nettement plus ambient, est aussi moins inspiré : toujours quelques beaux moments, mais c'est plus flou et moins original. Disons que ça ressemble à une outro d'une heure dix qui ne m'empêche pas de trouver que Blomma est un excellent album.

À noter aussi qu'il s'agit d'une performance live en studio, donc nettement plus spontanée et ressentie que calculée.




Flux de Robert Turman est un drôle d'album minimaliste. Des boucles rythmiques, quelques notes de piano et de kalimba (souvent répétées elles aussi), une réalisation et un son tellement lo-fi que le bruit de fond est aussi présent que la musique. C'est une musique discrète, en demi-teintes et en suggestions, mais touchante. Instable. Avec de belles mélodies habillées comme des clochardes invisibles dans le paysage, et pourtant dignes. C'est une musique d'automne ou d'hiver, qui n'est pas si éloignée que ça au niveau de mon ressenti que la (très grande, majestueuse et pourtant très mélancolique) November de Dennis Johnson…

Étonnamment, Robert Turman fut un membre de Non, le projet industriel du sulfureux Boyd Rice (et à la vue de leurs pages Facebook respectives, ils ne sont pas très proches au niveau politique même s'ils gardent de bonnes relations). On ne l'aurait jamais dit à l'écoute.




A de Denki Groove est un disque qui n'aurait pu être que japonais. Déjanté, ultra-coloré, une explosion multicolore hybride de pop et d'EDM. Chaque piste part dans une direction différente, et même indépendamment, elles sont trop excentriques pour être rattachées à un genre ; un peu de big beat ou de shibuya-kei dans l'esprit, une chanson où chaque syllabe est modifiée pour avoir un timbre différent et qu'on dirait chantée par un petit robot, des passages intenses avec du rap et du breakbeat, une piste de neuf minutes qui se la joue faussement grandiloquente avant de balancer un sacré groove, de l'humour un peu partout…

Ce disque aurait pu figurer sur la bande son d'un Jet Set Radio, ou même la constituer en entier. C'est un compliment.




Le petit disque EDM du mois, c'est le deux-titres XLB / Tsunan Sun de Pearson Sound (n° 2 dans le top pistes de 2016 chez Resident Advisor, je le préfère au n° 1). Une musique pétillante et inhabituelle, en partie UK bass (un genre que je connais encore mal, y'a des trucs que j'aime et d'autres pas du tout), en partie techno. “XLB” est à la limite de l'atonalité, très rythmée et dansante mais carrément expérimentale. “Tsunan Sun” garde des rythmes étranges mais est nettement mélodique, joli contrepoint.

Ça me fait plaisir d'entendre des disques pareils, on vit une époque pourrie mais au moins la création musicale se porte bien !




OK, la structure de Caught Up de Millie Jackson laisse peut-être un peu à désirer : un début intense mais court et une fin qui traîne en longueur. N'empêche, c'est un sacré bon album de soul et les quatre premières pistes sont parfaites — le coup de prolonger le break non pas sur quelques secondes mais sur une piste entière de cinq minutes est une idée géniale. Le tout raconte une histoire de triangle amoureux classique ; pas une histoire qui vaut le coup d'être analysée sur dix pages, mais ça donne un bon fil conducteur et surtout, les passages où Millie s'en prend à sa rivale sont excellents (“If all is fair in love and war, it's war I do declare!” *cuivres triomphants*). Bon, je précise que je préfère quasi-systématiquement les pistes dansantes ou avec de la tension à tout ce qui ressemble à une ballade.

L'artiste a eu la bonne idée de donner une suite à l'album l'année suivante : Still Caught Up, plus équilibré et toujours très bon même si le thème lui-même (amour, colère, apaisement, regret etc.) finit par tourner un peu en rond. Ça aurait pu continuer indéfiniment si l'artiste n'avait pas prévu de finir sur une fin un peu cruelle, inattendue mais carrément réussie. Les deux albums ont été édités sur un seul CD, pour le moment je les ai surtout écoutés séparément, je les recommande tous les deux en tout cas.

vendredi 20 janvier 2017

Lectures (12)

Dernièrement, j’ai lu (et j’ai pas mal de retard à rattraper, du coup ce post est assez long) :

La Musique et l’Ineffable de Vladimir Jankélévitch. Rien que le titre évoque quelque chose que j’avais déjà ressenti : le fait qu’il y a toujours quelque chose dans la musique que les mots ne sauraient exprimer, sinon que la musique serait intégralement inexprimable… En fait, le philosophe (qui a écrit un paquet de livres sur la musique) va jusqu’à montrer à quel point elle est enchanteresse mais dénuée de tout sens, tout propos, et développe plein de points qui expliquent, par exemple, pourquoi quelqu’un qui parle tout seul paraît fou alors que quelqu’un qui chante tout seul paraît gai. Si le propos m’a parlé, j’avoue que (j’écris ça plusieurs mois après l’avoir lu) j’en ai oublié une grande partie (… qu’est-ce qu’il disait sur le silence, déjà ?) — et que la foule d’exemples que je ne connaissais pas ne m’a pas aidé à suivre (surtout l’opéra de La Ville Invisible de Kitège de Nikolaï Rimski-Korsakov, sur lequel l’auteur n’arrête pas de revenir). C’est une lecture assez courte, et disons relativement digeste pour de la philo. Il faudrait que je le relise.


Nos Gloires Secrètes de Tonino Benacquista… Mouais, encore un bouquin qui a reçu un prix (des lycéens, certes) et qui s’avère décevant. C’est un ensemble de nouvelles qui traitent chacune d’un personnage qui a une « gloire secrète » : un objet qu’il ne peut révéler, une action ou un coup de chance qu’il ne pourra révéler… et si ça se lit facilement et plutôt agréablement, tout est un peu facile, superficiel, prévisible. Le style n’a aucune aspérité, les dénouements tiennent du cliché.


Nuage Rouge de Christian Gailly : Une histoire d’agresseur agressé qui tourne autour de trois personnages plus ou moins instables (dont le narrateur, impliqué plutôt malgré lui dans l’incident), écrit dans un style marqué assez oral (écrit comme une lettre, on sent les hésitations, les sentiments, les limites du narrateur). Le tout forme une sorte de huis clos psychologique malsain et intéressant. Quelque peu limité malgré tout, je pense que ça aurait pu être une nouvelle dans une collection plutôt qu’un roman entier.


Dracula de Bram Stoker : Il mérite sa réputation ! L’histoire est — contrairement à ce qu’on peut lire sur l’horreur qui vieillit mal, mais peut-être est-ce davantage le cas au cinéma qu’en littérature ? — très prenante, angoissante… et surtout, avec une narration particulièrement réussie, des changements de points de vue et de scène particulièrement bien amenés. On en oublierait presque le côté kikoo de « combattre les vampires avec la magie du christianisme ».


The Goldfinch de Donna Tartt : Celui-là, je l’ai adoré ! Un roman d’aventures initiatique où un écolier qui vit seul avec sa mère se retrouve, à la suite d’une explosion (attentat) au Metropolitan Museum of Art, (a) orphelin et (b) en possession du Chardonneret de Carel Fabritius. S’ensuivent voyages, dérives, amitié, traque, coup de foudre et que faire de cette peinture volée maintenant… On a écrit que Donna Tartt a un style d’écriture néo-romantique, plus typique de la littérature du XIXe siècle que des romans d’aujourd’hui, et c’est sans doute une des raisons qui font que j’ai autant accroché à ce livre : un bel éclairage stylistique sur un sujet parfaitement contemporain.


Monologues de la Boue de Colette Mazabrard : Le journal d’une femme (l’autrice, sans doute) qui voyage seule, à pied et sans hébergement, pendant des semaines, au nord-est de la France et un peu au-delà. Le style est très beau. Le propos n’était pas vraiment pour moi : ces ciels gris, ces terrains boueux, ces gens abîmés, ça a quelque chose de déprimant. La troisième partie du texte change, apporte un éclairage nouveau qui était bienvenu.


L’Étranger de Camus : À peu près ce que j’en attendais, ni plus ni moins.


Noise de David Hendy présente une histoire sociologique du son, du bruit et de la musique à travers les civilisations, en une vingtaine de chapitres. Intéressant et présenté de façon agréable ; le fil rouge qui se retrouve à toutes les périodes (à savoir : les classes dominantes contrôlent les sons, les classes dominées les subissent) est assez évident, mais il y a plein de faits et d’anecdotes qui valent le coup d’être lues. À noter qu’il s’agit d’une adaptation d’une émission radiophonique.


Soie d’Alessandro Baricco : Un très beau livre qui ressemble à un conte et à un fantasme. Partout dans le monde, les vers à soie meurent, succombant à je ne sais plus quelle maladie ; en France, un curieux homme en convainc un autre d’aller au Japon pour en ramener des vers sains. Celui-ci y trouve non seulement les vers, qu’il doit vite ramener avant qu’ils ne meurent, mais aussi une belle femme… L’écriture est faussement simple et poétique, l’histoire très belle. La seule chose que je peux reprocher à ce livre, mais ça ne sera pas un défaut pour tout le monde, c’est le fait que l’histoire ressemble un peu trop à un fantasme de l’auteur (honnêtement, seul un homme aurait pu écrire ça) pour être crédible.


Madame Bovary de Gustave Flaubert… Abandonné après un peu plus de cent pages. Le style est impersonnel, le rythme poussif, j’ai l’impression de savoir à l’avance ce qui va se passer cent pages plus loin — alors même si je ne connais que l’idée globale du roman et pas l’histoire en entier.


Barnum des Ombres de Nicole Caligaris : Bon et original, celui-là ! Les passagers d’un avion se retrouvent bloqués dans un aéroport (lieu froid, sombre et artificiel) au milieu de la nuit pendant des heures… et on se demande si le roman ne va pas y rester tout le long, en monologue intérieur (ou en est-ce vraiment un ?). Jusqu’à ce qu’un des personnages se mette à demander aux autres « Avez-vous déjà eu l’impression de devenir fou ? ». L’écriture est poétique et le style excellent, la narration parfois surprenante (comme quoi il est possible de rendre une attente interminable sans que le texte devienne ennuyeux), il n’y a que les passages du journal en courant de conscience vers la fin que j’ai moins aimés.


Rue des Voleurs de Mathias Énard : Plus contemporain — on ne peut plus actuel, même — que ce que je lis d’habitude, mais j’ai aimé aussi. Lakhdar, un jeune Marocain, se fait expulser de chez ses parents après avoir eu une affaire avec sa cousine… et, sans domicile, se fait recueillir par des musulmans intégristes qu’il ne connaît pas trop. Grâce à un ami, proche du groupe. Lakhdar, tout ce qu’il veut, c’est vivre, lire et vendre des bouquins ; il ne se rend pas trop compte de qui ils sont — et il essaie bien d’échapper à tout ça. Il est assez malin, d’ailleurs. Ça ne veut pas dire que ça sera facile.


Wuthering Heights d’Emily Brontë (le nom de la traduction française est Les Hauts de Hurlevent) : Un grand classique dont je ne connaissais pas l’histoire et qui est excellent ! Si vous ne connaissez pas non plus (ou si vous ne connaissez que les adaptations, qui sont très infidèles à ce qu’il paraît), c’est un drame psychologique qui se joue sur plusieurs décennies (dans à peine deux maisons dans la campagne anglaise), entre les riches Linton et les modestes et sévères Earnshaw, avec l’orphelin Heathcliff qui vient troubler l’ordre établi… Dire qu’il s’agit d’une histoire d’amour serait très réducteur — les personnages de Catherine et de Heathcliff sont fascinants et il y a une tension et une cruauté inouïes tout le long. Et assez de tourments pour hanter toute l’histoire.


Book of Numbers
de Joshua Cohen est un bon livre mais avec de gros défauts. Joshua Cohen, un écrivain qui a le malheur de publier un livre d’histoire juive le 11 septembre 2001 (livre qui, du coup, passe à la trappe et ne se vend pas), se fait proposer après plusieurs années de galère un joli contrat : pour une jolie somme, il pourrait devenir le nègre biographe d’un homonyme. L’autre Joshua Cohen dont il devra écrire la vie est le PDG de Tetration, compagnie équivalente à Google… Joshua Cohen (l’écrivain dans le livre) est cynique, amer, macho, dans une relation foireuse et a autant de côtés sympathiques que d’antipathiques. Joshua Cohen (le PDG, que l’écrivain surnomme « le Principal » pour qu’on puisse les distinguer) paraît bizarrement distant, idéaliste, narcissique, et entraîne l’écrivain à Abu Dhabi sans crier gare. Puis à Dubaï, il fait chaud là-bas (et les gens y sont assez musulmans quand même). L’idée est intéressante, j’aime le style (très vivant et personnel), il y a plein de passages brillants. Des références et traits d’esprit en veux-tu en voilà, dont une bonne partie qui me passent au-dessus de la tête — sans que ça entrave jamais la compréhension de l’histoire. Mais Book of Numbers aurait gagné à être raccourci : trop de détails, trop d’oralité aussi (y compris des tics de langage un peu agaçants du Principal, dont un ou deux que je n’ai pas compris et qui revenaient tout le temps) font que le livre est un peu rébarbatif par moments.


Lune de Loups de Julio Llamazares : L’histoire de quatre jeunes hommes qui sont traqués par les forces armées franquistes lors de la guerre d’Espagne, et qui doivent fuir, vivre cachés, résister dans la forêt et les hameaux… sans répit, sans échappatoire en vue. La trame de l’histoire est minimaliste et implacable. Au niveau de l’écriture, c’est réussi, il y a plusieurs descriptions qui arrêtent par leur beauté. Mais le roman (court, direct) est limité de par son concept même : la quatrième de couverture dit que le livre est « loin de nous enfermer dans la nuit sans issue d’un maquis condamné », mais c’est tout de même l’impression principale que j’en garde.




Trout Fishing in America
de Richard Brautigan : Un très bon petit bouquin de hippie mi-absurde, mi-poétique, où le narrateur (auteur ?) vit sans le sou et explore l’Amérique rurale de son époque à travers plein de très courts chapitres, parfois liés entre eux, parfois non. Amusant, beau, émouvant, surréaliste parfois. On peut avoir l’impression que chaque chapitre n’apporte que peu de choses, mais au final l’ensemble a quelque chose d’enchanteur et de mémorable.


Le Jeu de l’Ange de Carlos Ruiz Zafón : Le deuxième tome de la série du Cimetière des Livres Oubliés après L’Ombre du Vent, et il m’a plu tout autant ! Ça se passe toujours à Barcelone, mais juste avant les événements de L’Ombre du Vent ; Le Jeu de l’Ange raconte l’histoire de David Martin, jeune écrivain qui a vu son père (illettré et qui, honteux de ne pas savoir lire, ne voulait pas que son fils lise non plus) se faire tuer par balle… Il travaille pour un journal, écrit des histoires sanglantes et finit par se faire contacter par un personnage mystérieux (et sulfureux) qui se fait appeler Andreas Corelli. Tout est plus surnaturel que dans L’Ombre du Vent, l’ambiance est très gothique et ne répugne pas à donner dans les thèmes classiques (mais le fait très bien). L’auteur sait vraiment tenir en haleine, j’ai dévoré les pages presque sans s’en rendre compte… je me prendrai le troisième tome sans hésiter !


The Crystal World de J.G. Ballard : Un livre de science-fiction où une forêt se met à cristalliser. Il y a quelque chose de beau dans ce livre mais j’en attendais davantage… la cristallisation n’est qu’un élément de départ intéressant, les intrigues sont un peu oubliables, j’ai l’impression que le roman s’arrête sur place là où il devrait continuer. Quant à la thématique omniprésente du blanc et du noir, elle manque de subtilité et n’apporte pas grand chose au final.


Risibles Amours de Milan Kundera : Le premier livre que je lis de Kundera, et il me donne envie d’en lire plus ! Un ensemble de nouvelles qui parlent d’amour et d’ironie, de jeux(,) de masques, de conventions sociales… C’est écrit de manière simple mais très vivante, à la première histoire j’ai cru voir où l’auteur voulait en venir et finalement non. Il y a des surprises tout le long. La masculinité et la féminité des personnages peuvent paraître clichés par moments (je me demande si ça paraîtra obsolète d’ici… genre un siècle ?), mais l’usage qu’en fait l’auteur en est très fin.


Short Cuts de Raymond Carver : Impressionnant. Une collection de nouvelles, des tranches de vies américaines très réalistes où il ne se passe pas toujours grand chose et qui se terminent aussi souvent sur des doutes, des impressions ou des suggestions que sur des dénouements… Ça aurait pu être fade, et pourtant c’est quasiment magique : on dirait que l’auteur écrit entre les lignes, le sujet n’est jamais montré explicitement mais il est toujours rendu avec une clarté étonnante. Je ne sais pas comment il fait ça.

vendredi 23 décembre 2016

Liens (4)


Des liens, parce que ça faisait longtemps :

Tulipe : une BD colorée, faussement simple et philosophique avec Tulipe l'ours, Crocus le serpent, Violette l'oiseau, le caillou, etc. J'aime beaucoup. Il est sorti en livre il y a peu ! * Philosophy Experiments : des expériences de pensée interactives en ligne. Vous connaissez celle du tramway ? Il y en a plein d'autres ! * http://www.xibalba.demon.co.uk/jbr : Un très bon site perso (à l'ancienne, comme on n'en fait plus) avec des pages très intéressantes sur la linguistique et la science-fiction. * Les Boloss des Belles Lettres : De grands romans résumés en argot contemporain. * Zen Pencils : des citations qui font du bien mises en BD. * http://draves.org/pix/kdn/ : De très belles illustrations de biologie marine d'Ernst Haeckel, colorées en PNG. * MuchPolitik fait les dessins politiques les plus géniuls que j'ai jamais vus. SES MIROBOLAN ! * Veritasium : Une chaîne de vulgarisation scientifique sur Youtube que j'aime bien. * Crash Course Philosophy : Quarante vidéos de vulgarisation philosophique avec Hank Green (un des mecs que l'on voit tout le temps sur Youtube, j'aime ce qu'il fait). Il y a d'autres Crash Courses sur d'autres sujets aussi ! * Nine Planets Without Intelligent Life : Un excellent webcomic qui raconte, après l'extinction de l'humanité, le voyage de deux robots dans le système solaire. Minimaliste, intelligent, marquant. * The Voyeur's Motel : Un article sur un voyeur qui a acheté un motel pour y espionner les clients… et ne s'est jamais fait prendre. Il en a vu, des choses, pendant des années. L'article est long mais très prenant, il est adapté d'un livre. * Baker's Dozen : Une BD que j'ai beaucoup aimée où il est question de sorcellerie dans un village imaginaire d'Asie du Sud, par Aatmaja Pandya (dont les autres BD sont très bien aussi). * Dumbing of Age : Un webcomic quotidien qui se passe dans une université aux États-Unis ; la vie avec Joyce la religieuse fondamentaliste, Amber la nerd, Sarah la misanthrope, Walky le glandeur cool, Joe le mec ultra-mec qui ne cherche qu'à se taper les filles… c'est super prenant, les personnages sont très sympathiques — et c'est intéressant aussi quand on sait que l'auteur a, comme Joyce, été éduqué à domicile dans un environnement ultra-religieux. L'histoire est la preuve qu'il en est revenu. Joyce qui découvre « le monde extérieur » (avec les athées, les dinosaures, les homosexuels…) est l'un des moteurs principaux de la BD. Pour autant, le ton reste léger et très agréable ! * Phoebe and Her Unicorn : Un webcomic très mignon et réussi où une petite fille typique découvre une licorne magique merveilleuse mais incroyablement narcissique et prétentieuse. * Également dans le genre mignon, les BD de Liz Climo sont mignonnes et drôles et ça fait du bien de voir de l'humour « innocent » comme ça, qui ne soit pas noir ou méchant ! * Si vous êtes de ma génération, vous connaissez sans doute, et XKCD y a fait référence une fois, mais au cas où : vous connaissez Zombo.com ? On peut absolument tout y faire. C'est génial. * Un autre lien vieux comme la pluie mais qui fait toujours partie de mes préférés d'internet (et qui risque de disparaître quand le format Flash ne sera plus supporté nulle part) : rgb.swf. Attention, il y a des lumières qui flashent à toute vitesse et de la musique !

mercredi 21 décembre 2016

♪ 52 : Thé Glacial et Projections Avancées dans le Vide Clonique

Le Projet (ou Bangkok Projekt) du collectif -∆t, fondé en 1978, consista à transporter un bloc de granite de cinq tonnes et demie d'Europe jusqu'en Asie. Ce qui prit deux ans aux trois membres, pendant lesquelles ils travaillèrent, se documentèrent, réalisèrent diverses performances et… et je suppose qu'ils concevirent ce disque à partir d'enregistrements pris en route, même si aucune des (trop rares) pages que j'ai consultées sur le groupe n'en fait mention ! Il y aurait bien les liner notes, mais elles sont scannées bien trop petit sur Discogs pour être lisibles, et le disque est épuisé. Tant pis.

En tout cas, on y entend des collages en général courts, avec un, deux ou trois enregistrements (de quels pays ? à vous de le deviner). De la musique, des chants religieux ou populaires, un gamin qui chante “Dallas” (le générique de la série ?) en tentant d'imiter les instruments à la bouche, des mecs qui répètent “bugo schligo bugo schligo bugo schligo” (allez savoir ce que ça signifie)… Plus qu'un carnet personnel ou qu'un documentaire, c'est une série de montages pleins d'esprit qu'on entend. Parfois, c'est beau. Parfois, c'est franchement drôle (sans que je puisse toujours expliquer pourquoi). Parfois, c'est étrange et frappant.

Ma piste préférée (pour n'en citer qu'une, il y en a vingt-six) est “Excuse Me”, qui superpose un chant religieux entonné par des fidèles dans un temple et un cours audio où une femme répète plein de phrases basiques similaires pour apprendre à s'excuser en anglais sur un ton monotone ; c'est tout simple mais l'effet est aussi fort qu'indescriptible.




Clonic Earth de Valerio Tricoli est une plongée dans un monde faussement aseptisé, aux couleurs étranges, rempli de monstres. Ça me rappelle un peu Nurse with Wound, mais sans le désordre et l'inspiration dadaïste ; on n'est plus dans un bric-à-brac de grenier où les jouets côtoient les aberrations lovecraftiennes, mais dans un laboratoire où étrangetés électro-acoustiques et horreurs samplées nous regardent dans les bocaux.

Je pense qu'il est tout aussi possible de trouver ce disque froid et purement expérimental que de le trouver absolument terrifiant. Et la pochette qui me fait penser à une pub pour du parfum ou autre produit de mode ou de beauté ajoute encore à l'étrangeté.




Sur मेम वेर्म [mema verma] de Giovanni Lami, on entend d'abord une shruti box manipulée sans être jouée. D'habitude, ces assemblages de matériaux que sont les instruments émettent des sons qu'on dirait immatériels, détachés de toute cause perceptible ; ici, c'est entièrement l'inverse, les claquements, frottements, pressions que l'on entend sont résolument concrets — et il est difficile de savoir à quel point ils sont accidentels ou pas.

Mais les enregistrements sont édités, transformés, et ça donne quelque chose d'aussi paradoxal que prenant ; une sorte de poésie de la matière, de l'illusion et de la manipulation.

Sur la deuxième piste, les harmoniques se font plus musicales et les sons commencent à m'évoquer un bateau : les rames, l'eau, la vapeur. Plus loin, un passage me fait penser à plein de crayons qui dessineraient en même temps. Et la shruti box est jouée sur la troisième et dernière piste, qui se rapproche plus de drone classique. En fait, tout le disque devient de plus en plus musical au sens classique du terme… tout en n'offrant quasiment aucune résistance au niveau des compositions ; l'exact opposé de ces musiques que l'on peut fredonner, chanter ou reprendre avec toute voix ou tout instrument. C'est un disque qui procure des sensations complexes et inhabituelles, je l'ai beaucoup écouté. Tout au plus peut-on lui reprocher d'être court.



Bonsoir, j'ai écouté And Then Nothing Turned Itself Inside-Out de Yo La Tengo et c'est un bon disque, mais vous n'auriez pas la même chose en plus dissonant, s'il vous plaît ? Plus de mystère, plus de suggestion et de pénombre, moins de chaleur, moins de lumière. Des silences aussi, pourquoi pas. J'aime l'ambiguité d'“Everyday”, moins la tendresse et le son pop de la plupart des chansons qui suivent.

Cette première piste me donne envie de chansons fantômes, qui glacent autant qu'elle séduisent. On est à une croisée des chemins en ce début de disque, une introduction qui colore tout le disque en bleu nuit et me fait espérer le meilleur ; mais le groupe part trop résolument dans l'autre direction, on voit de moins en moins la nuit, on se réchauffe, on se réchauffe encore et je commence à zapper des pistes. Pour me rendre compte que non, décidément, on ne reviendra pas de l'autre côté.

And Then Nothing Turned Itself Inside-Out est un bon disque, certes. Assez réussi pour que je puisse apprécier et même recommander cette pop indé résolument nocturne, qui ne décevra que peu de monde sans doute. Mais il me donne envie de chercher un autre disque apparenté, qui partirait dans l'autre sens.




Le disque pour danser du mois (je pense que je vais en rajouter un à chaque fois, sans commentaire parce que ce n'est pas vraiment une musique qui se décrit ou s'analyse) : Vol. 2 (Forward) de S3A.











Je ne sais rien du tout sur Audrey Chen, je n'avais jamais entendu parler d'elle — c'est la durée de ce disque (22 minutes), son packaging et son nom qui m'ont donné envie de l'écouter. Glacial : violoncelle, voix et sons électroniques. Si vous n'aimez pas les femmes qui s'égosillent ni les sons dépouillés atonaux, vous risquez de ne pas aimer ! Deux notes de violoncelle répétées forment une boucle rythmique on ne peut plus frugale, sur laquelle l'artiste joue, chante, hurle, se lamente, et fait entendre des grincements comme autant d'éboulis, de matières tendues sur le point d'éclater. Je ne dirais pas que cette musique est glaciale, ça ressemble plutôt la réaction de l'artiste dans un environnement qui le serait. Il y a un paradoxe dans cette musique, à la fois intense et très contenue.




Et puis je vous recommande vivement (même si je sais que ça fera fuir 99 % des gens) Tea Chairs, un triple album de trance psychédélique bizarroïde. Plus précisément, c'est du “Suomisaundi” (« son finlandais »), un type de trance qui se démarque par son caractère expérimental et volontiers humoristique qui part dans tous les sens. Et qui vient donc de Finlande, sauf ce disque-là, qui vient d'un peu à côté, en Australie.

C'est d'une originalité étonnante, sans production maximaliste ni longueurs, sans rien de primaire, avec plein de sons inattendus, des compos qui tiennent sérieusement la route… et surtout, avec un psychédélisme incroyable. Bienvenue dans l'univers des drogues hallucinogènes, on vous déroule le grand tapis arc-en-ciel ! Même si le disque dure trois heures, il est tellement barré que j'ai du mal à m'arrêter — quand ce ne sont pas les beats ou les mélodies qui m'accrochent, c'est l'inventivité de la musique. En général, ce sont les trois.

Non, je n'ai pas pu trouver la pochette en plus grand, et le disque semble épuisé partout, introuvable sauf en VBR sur Soulseek. [edit — Il est sorti sur Bandcamp !] Je me répète, mais il vaut le coup.

jeudi 24 novembre 2016

♪ 51 : Les Fleurs Martiennes Défuntes Secouent leurs Cordes Oculaires

Je n'aime toujours pas l'opéra classique, et je préfère largement la musique classique instrumentale à celle avec chant… mais je commence à me poser des questions quand, après avoir aimé The Death of Don Juan d'Élodie Lauten, j'ai un coup de cœur pour Mars: Requiem de Helga Pogatschar.

Les chants sur ce requiem (c'en est bien un) sont classiques, les textes aussi, mais l'instrumentation est industrielle. En partie atonale, avec des samples, des dissonances, des sons mécaniques, torturés, hostiles… Ce qui donne des clairs-obscurs saisissants (chant lumineux, textures sonores complexes et infernales). À un moment seulement, le chant se met à s'accorder avec cette dissonance de la langue musicale moderne, et ce moment suffit à donner une autre dimension à la composition ; sur d'autres passages, plus que des pistes, ce sont des mélodies, parfois sur une seule syllabe, qui me donnent des frissons.

Seuls les textes, religieux et en latin (à part la dernière piste en hébreu), ne me parlent en rien. Mais les sentiments d'inquiétude, d'espoir, de résistance, de tristesse sont exprimés de superbe manière.




Ça fait déjà pas mal d'années que j'aime Ogham Inside the Night de Sieben, un disque de folk sur un alphabet antique irlandais — un bel album dans un genre et surtout avec des évocations qui changent nettement de mes écoutes habituelles, calme mais souvent empreint de mystère et d'ambiguité.

Mais je ne m'attendais pas du tout à ce que l'album précédent, Sex & Wildflowers, soit si différent ! Est-ce encore du folk ? Parce que cette musique me paraît plus intense que n'importe quel disque de folk que j'ai pu écouter. Ou du moins intense d'une autre manière. Les boucles de violons sont encore là, la voix reste calme — et très belle, d'ailleurs ! —, mais si ce disque est en grande partie pastoral, il y a une tension dès le départ qui rend la musique d'autant plus belle et plus excitante… Maintenue jusqu'à ce que des distortions surviennent, des sons électriques, des pulsations, jusqu'à la tempête comme sur la géniale “Bleeding Heart” avec ses paroles simples rendues étranges par une énumération froide, précise, presque maniaque, et une musique qui aurait pu être mélancolique sans ces dissonances et cette énergie furieuse. Sex & Wildflowers est cru, violent même, ces légendes-là n'ont pas été adoucies ! Et c'est un sacré bon disque.




Biosphere, à mes oreilles le maître de l'ambient, n'avait pas sorti de disque entièrement convaincant depuis plus de dix ans. Et pas qui arrive à la hauteur de sa réputation depuis Shenzhou, en 2002 ! Ce n'était pas faute d'essayer de nouveaux styles, mais plus ses essais ratés s'enchaînaient, plus je pensais qu'il avait définitivement perdu la main.

Departed Glories est une renaissance : en plus d'être très bon, l'album ne ressemble en rien à ses précédents. Le Norvégien est parti à Cracovie et s'y est inspiré de l'histoire de Bronisława, une nonne qui, au XIIIe siècle, aurait vécu cachée dans la forêt pour échapper aux envahisseurs tatares. La musique, qui se base sur des échantillons de musiques traditionnelles russes et européennes, est fantômatique — des voix désincarnées qui viennent de tous côtés dans une langue démembrée, des nappes empreintes de mystère… Des souvenirs translucides, parfois joyeux, parfois anxiogènes, parfois paisibles, dans une atmosphère de contes et de revenants déconcertante. La photo de la pochette, qui date du début du vingtième siècle, colle parfaitement. En plus d'être envoûtant, le disque présente des passages impressionnants au casque ; tout juste peut-on reprocher à Departed Glories de ne pas avoir de dynamique d'album, un problème classique sur les albums avec beaucoup de pistes (dix-sept). Mais rien qui m'empêche de vivement le recommander !




Un bon single d'EDM en passant : Shake Your Body Down* de Discreet Unit, de la house qui se déhanche façon coup de fouet, sorti chez Prime Numbers.

* Rien à voir avec la chanson des Jackson 5 qui est très cool aussi.










Music Vol. de COH, c'est de la musique électronique minimaliste… qui s'approche autant que possible d'Eleh sans être du drone. Pas de percussions, mais des pulsations, des ondulations. Des mélodies discrètes. De grands espaces sombres, sphériques, avec quelques formes géométriques, une noirceur plus contemplative qu'anxiogène.








J'en profite pour parler de mon album préféré de l'artiste : Strings. Plus proche du minimalisme que des musiques électroniques classiques, la première partie au piano est d'abord très éparse — avant que s'introduisent répétitivité, pulsations et sons électroniques qui nous rappellent qu'on écoute un disque de COH sorti chez raster-noton. La mélodie est toujours belle, mais chaque note se répète, à l'identique ou dans un cycle de deux ou trois, avec des basses électroniques et des glitches, ce qui donne un effet de répétitivité trompeur et hypnotique. Sur la deuxième partie, une guitare électrique au son saturé quasi-électronique gronde sur une mélodie qui aurait pu être annonciatrice de groove dans un autre contexte mais ici n'est qu'une phrase minimaliste de plus. Une troisième partie se base sur de enregistrements improvisés de saz et d'oud, en duo avec ces sons de basses et d'éléments qui s'allument et s'éteignent… Le final garde les mêmes sources sonores mais avec une structure nettement différente : on démarre par des drones, puis un rythme arrive, les sons électroniques deviennent plus agressifs mais les instruments acoustiques rivalisent d'intensité eux aussi.

Ça ne ressemble vraiment à aucun autre disque que je connais.




Syclops est un groupe composé de trois Finlandais imaginaires et d'un vrai Maurice Fulton. On peut dire qu'il fait de la house, mais de la house très atypique, complètement déracinée ; beaucoup de sons acides et élastiques, plein de percussions différentes (tribales, rock, électroniques…), des instruments acoustiques inattendus… Un son hybride qui lorgne vers le rock ou le jazz, complexe, travaillé, expérimental, et qui incorpore aussi deux ou trois élements plutôt crus et improvisés. I've Got My Eye on You est le premier album du projet, c'est sorti chez DFA (le label de LCD Soundsystem) et c'est carrément bon !