vendredi 2 janvier 2015

Lectures (6) : le procès des vingt-deux marouettes et des quarante-neuf mouches

Donc : la trilogie MaddAddam de Margaret Atwood, qui commence par Oryx & Crake, se poursuit avec The Year of the Flood et se termine avec MaddAddam. Il s'agit d'une trilogie de science-fiction catastrophe qui se déroule dans un futur relativement proche et dans laquelle, à la suite d'une épidémie mondiale fulgurante, l'humanité se retrouve décimée. Le climat est altéré. La faune également (pas à cause de l'épidémie, mais on a eu le temps de s'amuser avec les manipulations génétiques avant). Un homme, qui se fait appeler Snowman, tente de survivre sur une plage… il se retrouve entouré des « enfants de Crake* », des sortes d'humains améliorés, bien plus adaptés que Snowman à la vie sur cette nouvelle Terre. Ils ne connaissent pas le monde d'avant et ont plein de questions à poser à Snowman. Ils sont naïfs, un peu comme de vrais enfants, mais sinon semblent être… parfaits ? Snowman, lui, se retrouve seul, affamé, sale et à moitié fou, peut-être le dernier représentant de la race humaine telle que nous la connaissons.

Le premier volume alterne entre (a) une histoire de survie, celle d'un réfugié dans les ruines de notre civilisation, et (b) un retour sur les événements qui ont amené à cette catastrophe. Snowman était un étudiant en lettres et en communication, ni un génie ni un gros dur… Comment se retrouve-t-il seul survivant ?

Oryx & Crake est divisé en chapitres courts, je l'ai lu très vite avec beaucoup de plaisir. Le ton est simple, direct mais sonne juste ; les points difficiles sont abordés sans pudeur ni excès dans la narration. The Year of the Flood développe l'histoire en se focalisant sur d'autres points et d'autres points de vue, il est tout aussi bon voire meilleur ; MaddAddam est un peu en-dessous (mais vaut le coup quand même si on a aimé les deux premiers).

Atwood présente son histoire comme crédible, une note à la fin indiquant que tous les éléments de l'univers sont tirés soit de technologies en train d'être développées, soit qui pourraient l'être en théorie selon ce qu'on sait à présent… (même l'épidémie ?) Le monde du futur avant la catastrophe me paraît par contre juste un petit peu trop dystopique, un peu trop cynique pour être entièrement crédible. Ou peut-être est-ce moi qui ne m'inquiète pas assez ? En tout cas, j'ai beaucoup aimé cette série et je la recommande vivement.

* “Crake” : marouette en français, c'est une espèce d'oiseau. Mais en l'occurence, c'est un nom propre. Le nom d'une personne que Snowman connaissait…


 

J'avais dit que je m'attaquerais un jour à Pynchon. Donc voilà : The Crying of Lot 49. (J. m'avait recommandé de commencer par V. plutôt, mais ils ne l'avaient pas en librairie.) C'est de la littérature postmoderne à la fois complexe et loufoque. L'histoire se passe en Californie dans les années 60 ; une femme au foyer, Œdipa Maas, reçoit un jour un courrier l'informant qu'elle est nommée co-exécutrice testamentaire d'un certain Pierce Inverarity, avec qui elle avait eu une relation il y a longtemps. Elle rentre en contact avec un avocat et finit par mettre le doigt sur ce qui semble être une gigantesque conspiration, avec un réseau postal alternatif secret dont les origines remonteraient à plusieurs siècles…

The Crying of Lot 49 est franchement original dans son écriture, mais il faut s'accrocher pour en profiter. Pour vous donner un exemple de phrase :
“Perhaps — she felt briefly penetrated, as if the bright winged thing had actually made it to the sanctuary of her heart — perhaps, springing from the same slick labyrinth, adding those two lines had even, in a way never to be explained, served him as a rehearsal for his night’s walk away into that vast sink of the primal blood of the Pacific.”
Il y a des passages qui se lisent vite, d'autres que je n'ai honnêtement pas compris. Quelque part, difficile de ne pas soupçonner Pynchon d'être obscur voire abscons par simple plaisir élitiste, pour perdre les lecteurs les moins aguerris. The Crying of Lot 49 est également plus un exercice d'écriture, de création de personnages et de situations, qu'une histoire à part entière… C'est un livre pour passionnés de littérature. Mais je l'ai bien aimé, et on ne peut pas dire qu'il manque de personnalité. Ni d'humour. En fait, j'ai envie de continuer avec V. (En me disant aussi que je risque de ne pas le finir surtout que Lot 49 était étonnamment court, alors que ses autres sont longs.)


 

J'ai adoré Lord of the Flies de William Golding. Vous en avez sans doute déjà entendu parler : l'histoire d'un groupe d'enfants qui, à la suite d'un crash aérien, se retrouvent rescapés sur une île… seuls, sans adultes. C'est une histoire de survie, mais aussi — et surtout — un huis clos ; survivre seul dans un milieu inconnu est une chose, vivre ensemble quand on a 10-12 ans, sans les garde-fous imposés par notre civilisation, en est une autre. Doit-on nommer un chef, si oui, qui ? Comment s'organiser, décider des priorités ? D'ailleurs, cette île, qui a l'air étonnamment hospitalière (il fait chaud, il y a des fruits, des animaux à chasser, on peut s'y baigner…), est-elle bien déserte ?

Les tensions entre les personnages (mûrs et débrouillards pour leur âge, mais qui restent des préadolescents) rend Lord of the Flies particulièrement prenant. Il est question de pouvoir, de cruauté, de hiérarchie, de pulsions… dès le départ. Les jeux d'enfants, ça peut vite dégénérer. Les peurs d'enfants, leurs caprices, aussi. C'est une belle exploration de la nature humaine et de la nature de notre civilisation que nous montre William Golding, remarquablement bien écrite — on s'attend à tomber dans l'horreur d'un moment à l'autre, sans savoir exactement d'où viendra le danger (de l'île ? des enfants eux-mêmes ? d'autre part ?). Et non seulement les personnages sont crédibles et intéressants, mais l'œuvre a toute une dimension symbolique profonde, qui n'empiète jamais sur son réalisme. Magistral.


 

J'ai aussi lu Le Procès de Kafka, parce que je n'avais jamais lu Kafka. Je ne peux pas dire que j'aie accroché. Je n'ai pas trouvé l'histoire crédible — le monde semble en partie comme le nôtre, en partie comme une dystopie, et en partie complètement absurde et insensé… Pourquoi les personnages réagissent-ils comme ils le font ? On devine de vagues explications possibles, sans qu'aucune ne soit vraiment convaincante. Les personnages n'ont rien de remarquable non plus, je n'ai pas ressenti d'empathie pour eux, l'écriture (du moins dans la version que j'ai lue) est froide.

Je peux comprendre que l'idée du Procès ait été si populaire. Mais il me semble qu'elle a été traitée de bien meilleure manière dans d'autres œuvres ; je ne garde pas un grand souvenir de ce livre.


 

Catch-22 de Joseph Heller, vous connaissez ? C'est un livre sur la guerre, à la fois terrible et hilarant. On y suit les aventures d'un escadron américain pendant la Seconde Guerre Mondiale, dont quasiment tous les membres sont des crétins, des bras cassés, des cinglés et/ou des salauds. Surtout parmi les haut gradés.

N'importe lequel des premiers chapitres du livre (en fait, la bonne moitié voire plus) pourrait être une saynète comique, une parodie militaire où l'imbécilité des soldats et de leurs supérieurs donne lieu à des situations absurdes et rocambolesques.

(Un exemple ? — Sinon, n'hésitez pas à sauter ce paragraphe, je vais vous résumer une bonne partie d'un chapitre ! — Le major Major, dont le prénom et le deuxième prénom sont également Major (son père l'a appelé comme ça parce qu'il trouvait ça marrant), s'est retrouvé promu major dès son entrée à l'armée à cause du système informatique qui n'a pas su faire la différence entre son nom et son grade. Bien évidemment, personne n'a rectifié la situation, car on ne contredit jamais la hiérarchie et qu'on ne met jamais en doute le système. Hélas, les autres soldats détestent ce pauvre major Major Major Major, qui a gravi les échelons d'un coup sans aucun mérite… Se trouvant trop mal à l'aise, il décide de vivre reclus dans sa tente, et pour être sûr d'y être tranquille, il ordonne qu'on ne puisse lui rendre visite que lorsqu'il n'est pas là. Il y a donc un garde devant la tente de major Major Major Major, qui en interdit l'entrée à quiconque tant que Major est là, et permet d'entrer pour ne pas voir Major lorsqu'il n'y est pas.)

Mais l'humour est une arme à double tranchant, et l'absurdité de ces situations a souvent des conséquences malheureuses… Ce qui est absolument brillant, c'est la manière dont Joseph Heller réussit à passer d'une histoire très légère, qu'on dirait purement comique au début, à une situation inhumaine — presque sans qu'on s'en aperçoive, presque sans changement de ton, simplement en continuant logiquement sur sa lancée. Et malgré les exagérations crasses qui devraient retirer au roman tout réalisme, on finit par prendre à cœur la situation inextricable dans laquelle se retrouve le bombardier Yossarian, qui refuse de participer au nombre de missions toujours croissant imposé par l'horrible colonel Cathcart.

Ah, et le “catch-22” du titre ? Un certain article 22, qui stipule que, pour être considéré comme mentalement inapte, dispensé de service et renvoyé chez lui, tout soldat doit en faire expressément la demande — mais qu'un soldat assez lucide pour faire cette demande est considéré comme apte, et se doit donc de combattre. Bam. Il n'est pas prêt de rentrer, Yossarian.

Le livre fait 500 pages, et comporte une sacrée floppée de personnages ; mais l'auteur s'en sort bien en focalisant chaque chapitre sur un, deux ou trois, et en revenant plusieurs fois sur certains épisodes en les développant. Catch-22 est un chef d'œuvre d'humour noir, et un chef d'œuvre tout court.

Note : La règle d'or qui veut qu'il ne faut jamais commencer par la préface ou l'introduction d'un livre s'applique ici ; dans mon édition (Vintage, avec la couverture grise), non seulement elle n'a aucun intérêt mais elle dévoile carrément la fin du livre. Heureusement que je ne l'ai lue qu'après !

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