mercredi 16 mai 2018

Langues (1) : français (1)


Je me rappelle d'un concours dans un magazine pour enfants où il fallait écrire un petit texte expliquant pourquoi on aime particulièrement la langue française. J'avais séché. Qu'est-ce qui me plaît dans cette langue ? Me plaît-elle seulement ? Comment le savoir quand on a sept ou huit ans et qu'on ne connaît que peu les autres langues ?

Aujourd'hui, je peux répondre : j'ai un point de vue mitigé sur la langue française. J'aime bien sa préciosité, son esthétique particulière où l'écrit et l'oral se différencient complètement. Mais j'ai aussi et surtout plein de choses à lui reprocher.

(Et ça donne un post trop long parce que j'ai passé trop de temps dessus.)




C'est un détail, mais les règles pour les majuscules dans les titres sont vraiment mal pensées. D'après l'Académie Française :

Dans tous les titres d’œuvres, le premier terme au moins (ainsi bien sûr que les noms propres) prend la majuscule.

Si le titre commence par un article défini, le premier nom qui suit cet article ainsi que les adjectifs et adverbes le précédant éventuellement prennent la majuscule : Les Misérables, Les Très Riches Heures du duc de Berry, Le Petit Chaperon rouge, Le Vilain Petit Canard.


L’article défini en tête de l’œuvre ne prend la majuscule que s’il fait intrinsèquement partie du titre, et n’est pas contracté : l’Iliade ; Les Bienveillantes, mais un chapitre des Bienveillantes.

Si le titre ne débute pas par un article défini ou s’il consiste en une phrase conjuguée, seul le premier terme prend la majuscule (sauf s’il s’agit d’un adjectif : dans ce cas, le substantif suivant prend aussi la majuscule) : À la recherche du temps perdu, Terre des hommes, Un taxi mauve, Le train sifflera trois fois, Tristes Tropiques.

Si le titre est double ou s’il met en opposition ou en parallèle deux termes, on applique les règles précédemment citées aux deux parties du titre, mais si la deuxième partie est introduite par un article défini, celui-ci perd sa majuscule : Le Rouge et le Noir, Vendredi ou les Limbes du Pacifique.

http://www.academie-francaise.fr/questions-de-langue


Le résultat est singulièrement déséquilibré : regardez les minuscules à « duc » et « rouge » dans les exemples du deuxième paragraphe ! D'ailleurs, de nombreuses publications ne respectent pas ces règles (regardez les titres des livres dans votre bibliothèque…), et les paragraphes trois à cinq ressemblent à des demi-solutions de fortune pour tenter de limiter les dégâts.

Comme j'aime beaucoup les règles anglaises, intuitives et élégantes, j'ai essayé de voir ce qu'elles pourraient donner transposées en français… mais que faire de « qu'il », « c'est », ou même « un » (qui peut correspondre à “a” ou à “one” en anglais) ? Par contre, la règle toute simple — utilisée en allemand ou en espagnol — consistant à mettre une majuscule au premier mot et rien d'autre, ça me va très bien. C'est ce que j'utilise quand j'ai le choix, dans mes publications privées.

L'Académie Française, bien sûr, n'est pas d'accord. Ça m'est bien égal, je préfère avoir une langue vivante qu'une langue réglée par une élite. (Et enfreindre les règles en connaissance de cause me paraît plus légitime que les enfreindre par ignorance ou inadvertance.)




En parlant d'usage non conforme : on a parlé beaucoup d'écriture inclusive ou épicène ces derniers temps, écrire par exemple « physicien·ne·s » plutôt que « physiciennes et physiciens » ou « physiciens ». L'intention est louable, mais le résultat est encombrant et peu pratique : passe pour un slogan, mais tout un roman écrit comme ça serait pénible ; même écrire un texte un peu long comme ça aurait tendance à m'agacer. (En passant, si vous voulez taper un point médian, c'est alt+0183 sous Windows, alt-maj-F sous OS X — ça peut se modifier avec un utilitaire si besoin est.) Ça me paraît être une mauvaise solution à un vrai problème.

La langue française est sexiste : cela me paraît indéniable. Le masculin est le genre dominant et il l'emporte toujours, il n'y a pas de féminin de « vainqueur », de féminin de « génie » ni de masculin de « pute », « le plus grand physicien de notre temps » désigne a priori la personne la plus douée dans ce domaine alors que « la plus grande physicienne de notre temps » laisse clairement entendre qu'un homme a pu faire mieux… comme si les femmes ne pouvaient rivaliser qu'entre elles, comme en sport, contrairement aux hommes. (Ne parlons pas de l'ambiguité des noms de métiers, heureusement en train de disparaître.)

On peut certes prétendre que tout ça n'est qu'un ensemble de conventions. Sauf que des études ont montré que le genre grammatical des mots influence la manière dont on perçoit les choses (par exemple : « le mot pont, féminin en allemand (die Brücke), est “beau, élégant, fragile, impassible, joli et mince” chez les germanophones, tandis qu’en espagnol, “el puente” est perçu comme “grand, dangereux, large, fort, stable et énorme” »), et qu'il est attesté que des réformes ont été menées au dix-septième siècle dans le but avoué d'associer le masculin à tout ce qui est noble et de rabaisser le féminin, quitte à effacer certaines formes. (Et après, il y a des conservateurs qui crient au scandale dès qu'on veut réformer un peu dans l'autre sens.) Nos mots sont souvent l'unique mode d'expression de nos pensées, ils sont la carte sur laquelle chaque personne se représente chemins et territoires, et qu'ils se basent sur des règles qui, elles, sont bien sexistes. Bien sûr qu'on peut parler français sans être sexiste. Mais la langue nous pousse toujours un peu, insidieusement, à l'être.

Du coup, que faire ?

L'idée de créer un genre neutre ou collectif me plaît beaucoup. (D'ailleurs, en plus de faire la part belle au masculin, le français est aussi une langue excessivement genrée — essayez donc, il est nettement plus facile de rester neutre en anglais qu'en français…) Reste à le rendre attractif ! « Iel », ça sonne bien, ça me plaît ; « celleux » par contre non merci. Cette page (longue et bien argumentée) recense plusieurs propositions, en général j'aime bien. Évidemment, cette complexification de la langue a peu de chances de prendre si la plupart des gens ne se sentent pas concernés ou n'approuvent pas. Mais je soutiens l'initiative.

Une solution alternative consisterait à prendre le parti du chaos et à utiliser féminin ou masculin comme on veut en l'absence de raison objective pour choisir. Par exemple, « toutes les Françaises » pourrait tout aussi bien désigner les femmes que toutes les personnes de nationalité française. Ça ferait hurler les vieux de l'Académie ainsi qu'une bonne partie de la population, ça introduirait de la confusion et de l'aléatoire plus ou moins arbitraire, mais honnêtement ça ne me déplairait pas.

En attendant, en pratique, je privilégie la gymnastique verbale. Même si j'avoue avoir envie de privilégier d'autres langues à cause de ça.

P.S. Lisez Ad Absurdo.




Les règles complètes pour l'accord du participe passé — exceptions comprises, la version qui prend sept pages et demie dans le Bescherelle — sont si complexes et peu usitées qu'elles en sont ridicules. En pratique, tant que l'on n'a pas de supérieur hiérarchique qui juge, note ou paie derrière, on peut se contenter d'appliquer les règles simplifiées… même le Bescherelle indique que les complètes sont « peu respectées » et que « la règle d'accord du participe passé avec le complément d'objet antéposé est l'une des plus artificielles de la langue française ». Il paraît que l'italien, qui avait inspiré à Clément Marot ces règles en 1538, s'est affranchi de tous ces chichis depuis longtemps. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?




… Et les Français sont plutôt élitistes et très conservateurs, dans ce domaine comme dans bien d'autres. Ce qui n'est pas vraiment à notre honneur. Regardez par exemple toutes les levées de bouclier dès que l'on veut toucher à l'orthographe ! Comme si « nénuphar » était plus légitime ou plus beau que « nénufar ». (Pour respecter l'étymologie, on devrait bien écrire « nénufar » !)

Personnellement, ces réformes ne me font ni chaud ni froid. Parce que l'orthographe du français ne sera jamais simple ni logique, à moins de repenser la langue de fond en comble (ce qui équivaudrait à en créer une nouvelle). Le français est, profondément, une langue qui se donne de grands airs et se refuse à être pratique ; l'anglais paraît si naturel à côté, l'allemand si logique.

Certes, je préférerais que le français cède à la beauté plutôt qu'à la tradition et à la difficulté. Mais ce refus de la facilité et de la logique fait un peu son charme malgré tout. (L'apprendrais-je si je ne la connaissais pas déjà ? Je pense que non, elle me découragerait !)




Bon, il y aurait encore plein de choses à dire sur le français, notamment sur sa prononciation et ses sonorités, les particularités régionales etc. mais je laisse ça pour une autre fois. En attendant, je vous recommande vivement la lecture des Cahiers Science & Vie sur la langue française ! Le dossier est très intéressant.

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