mercredi 15 janvier 2014

Lectures (4) : les détectives roses plongent dans les arcs-en-ciel bossus des marais

Dernièrement, j’ai lu :

Les Détectives Sauvages de Roberto Bolaño. Drôle de roman : on pourrait en sauter des sections entières sans que ça ait véritablement d’importance. C’est un livre long et parfois ennuyeux, que j’ai dû me forcer à continuer par moments, entre autres parce que j’avais l’impression qu’il n’allait nulle part — et effectivement, il ne va nulle part, mais maintenant que je l’ai fini, son univers me manque un peu.

Ça commence par le journal intime d’un étudiant de dix-sept ans, Juan García Madero, qui rejoint un peu par hasard le mouvement littéraire des « réal-viscéralistes ». Mouvement voué à l’échec, mené par des jeunes poètes qui ont en tête de faire bouger le paysage culturel de leur pays (le Mexique) sans trop se soucier de comment faire ; écrire ne semble pas être leur préoccupation principale. Cette première partie parle surtout de l’entrée de Madero dans l’âge adulte, ou plutôt de Madero qui se perd dans l’âge adulte et dans la ville de Mexico, entre poètes bohèmes, gens un peu fous ou peu recommandables, liberté dont il ne sait trop que faire, etc.

La troisième partie est la suite de la première.

Et la deuxième ? Elle comprend bien les deux tiers du roman et ne consiste qu’en fragments de vies, presque sans aucun lien entre elles. Ces fragments nous emmènent aux quatre coins du monde, sont tous postérieurs aux événements du début et de la fin du roman (mais ne sont pas racontés en ordre chronologique pour autant), et ne mentionnent pas une seule fois le nom ni l’existence de Madero (bien qu’on puisse avoir un petit doute à un moment donné… je crois). Leur seul point commun est la présence à chaque fois d’Arturo Belano et/ou d’Ulises Lima, fondateurs du mouvement réal-viscéraliste et compagnons de Madero.

Ça sent le mystère à élucider ? Les Détectives Sauvages : est-ce le lecteur qui est détective, qui essaie de trouver ce qui est arrivé à Madero et pourquoi on ne parle plus de lui ?

Hé bien non.

Ces fragments ne mènent nulle part, ce sont des tranches de vies très diverses, tellement variées en fait que l’on se met à douter de la vraisemblance des personnages de Lima et Belano. Tout ce qui ressort de cette longue polyphonie, c’est un portrait d’un monde bohème, précaire, sans véritable but, parcouru par deux voyageurs qui au final sont plus des noms que des personnages, des silhouettes presque vides.

Ça aurait pu être génial s’il y avait eu des liens là-dedans, des rencontres inattendues mais signifiantes entre les différents personnages, une intrigue… mais rien de tout cela. Quand un passage part dans une direction, le suivant part dans une autre. Le livre est riche au final, il est bien écrit (pour autant que je puisse en juger, je n’ai lu qu’une traduction) et vraiment marquant malgré tout, mais il peut aussi paraître vain et frustrant.



Moi, la Fille qui Plongeait dans le Cœur du Monde de Sabina Berman : Ça pour le coup, c’est un livre facile, qui m’a plu instantanément et que j’ai lu vite avec plaisir !

Ouf.

Faudrait que j’en lise plus, des comme ça.

Donc ce roman est l’histoire d’une autiste, jamais élevée correctement, abandonnée et vivant de manière sauvage, qui hérite soudain d’une tante et d’une conserverie de thons. C’est raconté à la première personne par l’autiste en question, et il y a des passages qui peuvent paraître soit terribles, soit hilarants, ou les deux selon votre sensibilité. Ça parle de sensibilités différentes justement, d’incompréhensions et d’incompatibilités entre différentes manières de voir le monde, sans être un plaidoyer moralisateur.

C’est un livre que j’ai beaucoup aimé et qui peut se recommander facilement à n’importe qui, je pense.

(NB : La première édition française s’appelait tout simplement Moi.)



Les Roses d’Atacama de Luis Sepúlveda… « Ah oui, c’est vrai que c’est un nom connu, Sepúlveda ! Faudrait que j’essaie. » J’ai pris Les Roses d’Atacama un peu au hasard, la quatrième de couverture et les premières lignes m’avaient paru prometteuses… mais j’ai déchanté assez vite. Il s’agit d’une collection de (très) courtes biographies, qui racontent les vies de personnes exemplaires qui auront combattu l’adversité avec courage. Des portraits de gens peu connus voire totalement inconnus du grand public, des héros presque anonymes à qui l’auteur a voulu rendre hommage.

Mais voilà : c’est d’un convenu ! Les héros n’ont aucun défaut, la compassion et le courage sont les plus grandes des vertus, les petites gens ont une sagesse qu’il faut réapprendre à connaître, l’oppression sera toujours vaincue par la résistance des justes, on peut tout prendre à un homme sauf son humanité, bla bla bli, bla bla bla. Ces vies pourtant incroyables sont de belles histoires moralisatrices et manichéennes sans aspérités dans lesquelles je n’arrive pas à rentrer.

Je ne peux pas dire que Sepúlveda écrit mal, mais il ne m’émeut vraiment pas… question de sensibilité, sans doute.



À l’opposé, il y a Le Petit Bossu de Roberto Arlt. C’est une collection de nouvelles noires, cruelles, qui parlent de véritables crapules — des personnages ignobles et tourmentés, qui semblent condamnés à commettre le mal par leur nature même. Le style est excellent, l’auteur semble torturé lui-même et prend un plaisir sadique à faire commettre le pire à ses âmes damnées puis à les faire souffrir à leur tour pour ce qu’elles ont fait. Je n’ai lu que trois des nouvelles (il y en a… six je crois ?), chacune en une seule fois — parce que c’est une lecture à la fois jouissive et désagréable, qui ne laisse aucune envie de savoir ce que sont devenus ces personnages abjects (on espère qu’ils crèvent) mais qui suscite l’admiration pour l’écriture même.

À lire à petite dose, disons. Et seulement pour public averti.



What a Carve Up! de Jonathan Coe raconte l’histoire d’un écrivain un peu paumé, engagé pour écrire la biographie d’une famille riche et influente. Une famille composée quasi-exclusivement de fripouilles imbues d’elles-mêmes, ineptes, sans scrupules et qui ne réussissent que grâce à leur nom et leur argent (qu’ils soient dans le journalisme, la politique, l’industrie agro-alimentaire ou autres). C’est l’occasion pour Coe d’écrire une satire mordante des pratiques réelles des puissants, plus particulièrement en Grande-Bretagne à l’ère Thatcher (mais ces gens-là sont un peu les mêmes partout, il me semble…). Les biographies des membres de la famille sont drôles, ou mettent mal à l’aise, souvent les deux à la fois ; elles entrecoupent le récit de l’écrivain qui mène (mal) sa propre vie, rencontre sa voisine un soir de quasi-coma télévisuel, cultive une obsession pour Shirley Eaton et le film dont le roman reprend le nom…

J’ai retrouvé dans What a Carve Up! ce que j’avais aimé dans The House of Sleep : une intrigue très bien ficelée, des personnages hauts en couleur, beaucoup d’humour aussi, même si celui-ci est souvent grinçant et que l’histoire tient aussi de la tragédie. Toujours très recommandable et agréable à lire, je continuerai à suivre cet auteur.



Tous les Diamants du Ciel de Claro. Un roman qui se base sur l’« affaire du pain maudit » survenue à Pont-Saint-Esprit en 1951 : un cas d’intoxication alimentaire qui a résulté en crises de folie et hallucinations, internements, quelques morts… et qui, selon un journaliste américain, aurait été imputable à la CIA qui aurait testé les effets du LSD à l’insu des habitants (histoire peu crédible, mais qui sait !). Le protagoniste est le boulanger du village ; intoxiqué par son propre pain, exalté, il quitte Pont-Saint-Esprit au milieu de la panique générale et se met à voyager. Il rencontre une Américaine vendeuse dans un sex shop, tombe plus ou moins amoureux d’une poupée gonflable, et se retrouve impliqué sans s’en rendre compte dans une histoire d’agents secrets.

C’est bien écrit (on sent que l’auteur est un traducteur, dans son maniement de l’écriture), il manque un petit quelque chose pour me séduire totalement (peut-être un côté trop formel ? difficile d’entrer vraiment dans la peau des personnages…) mais j’ai passé un bon moment.



Paludes d’André Gide. Un texte drôle et satirique sur un écrivain désœuvré, insatisfait de sa vie indolente mais qui ne la remet pas en question pour autant ; il se met en tête d’écrire un roman sur un homme qui vit dans les marais, célèbre la monotonie, se nourrit de vers de vase, etc. Ses connaissances ne comprennent pas l’intérêt d’écrire un tel texte, mais lui persiste dans son entreprise, qui confine souvent au ridicule. C’est court, amusant, un peu mélancolique aussi. Et on peut en retirer pas mal de choses.

(J’ai aussi lu L’Immoraliste, mais j’ai préféré Paludes.)



Acide, Arc-en-Ciel d’Erri de Luca : vu le nom du bouquin (dont je n’avais jamais entendu parler avant de commencer à le feuilleter), je m’attendais à un roman psychédélique, et j’ai cru que les premières pages décrivaient un junkie complètement pété qui n’arrivait même plus à bouger… En fait ça n’a absolument rien à voir. Le titre original, Aceto, arcobaleno, signifie littéralement « vinaigre, arc-en-ciel » — soit les deux premiers mots d’un lexique italien-français qu’un père apprenait à ses fils. Et le livre parle d’un vieil homme qui, à la fin de sa vie, reçoit trois anciennes connaissances (un assassin, un missionnaire et un… je ne sais plus trop quoi, la quatrième de couverture dit « hôte errant »).

J’ai trouvé le livre assez inégal : certains passages étaient beaux, d’autres plutôt ennuyeux. Assez froid dans le style et les propos.

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